La condamnation de Vital Kamerhe, ancien allié du président Tshisekedi, est un signal fort, mais la RDC aurait besoin d’un véritable arsenal législatif pour défendre ceux qui osent dénoncer les actes délictueux.
Plus de sept mois se sont écoulés depuis que le président Félix Tshisekedi a prononcé son premier discours sur l’état de la nation devant le Parlement congolais, discours pendant lequel il a promis d’être intraitable dans la lutte contre la corruption. Depuis, Vital Kamerhe, qui était son principal allié politique en même temps que son directeur de cabinet, a été arrêté et condamné à vingt ans de prison pour détournement de deniers publics et corruption aggravée.
La rapidité de la procédure (Kamerhe a été arrêté le 8 avril, a comparu à partir du 11 mai et a été condamné le 20 juin) et la sévérité de la peine n’ont pas manqué de faire réagir. Et pendant que certains criaient au complot politico-judiciaire, d’autres saluaient un procès inédit dans ce pays habitué à l’impunité.
Mais une question s’est posée : compte tenu de l’énormité de la somme détournée (plus de 50 millions de dollars selon la justice), n’y avait-il donc personne pour donner l’alerte plus tôt ? Comment est-il possible qu’au sein de la présidence ou de l’une des agences de l’État impliquées, personne n’ait dénoncé ces fraudes ?
Mauvaise élève
Certes, la RDC n’a jamais fait figure de bon élève en matière de lutte contre la corruption. En 2019, selon l’indice de Transparency International, elle était classée 168e sur la liste des 180 pays les plus corrompus de la planète. Les experts affirment que ce fléau coûte chaque année plusieurs milliards de dollars à cet État et, en décembre 2019, le président Tshisekedi avait lui-même reconnu devant le Congrès la persistance du phénomène et l’existence de réseaux de fraude massive.
Bien sûr, les personnes les mieux placées pour détecter les faits de corruption et tirer la sonnette d’alarme travaillent généralement là où ces forfaits sont commis. Mais comment un témoin pourrait-il oser alerter l’opinion publique ou les autorités judiciaires alors qu’en RDC, il n’existe aucun mécanisme susceptible de les protéger d’éventuelles représailles ? Comment peut-on attendre de quelqu’un qu’il ait le courage de se manifester, en toute bonne foi et dans l’intérêt du pays, s’il doit par la suite être menacé, poursuivi en diffamation ou tout simplement licencié ?
Rappelons qu’en droit congolais, la définition de la diffamation est très large ; elle inclut même le fait d’imputer à une personne des faits précis et vérifiés, mais portant atteinte à son honorabilité.
Souvenons-nous aussi que, en 2016, le banquier et lanceur d’alerte Jean-Jacques Lumumba avait été contraint de fuir la RDC après avoir révélé des détournements de fonds publics commis par l’entourage de l’ancien président Joseph Kabila.
Sans mesures de protection adéquates, on ne peut donc pas attendre que les individus qui ont connaissance d’actes délictueux (faits de corruption, mais aussi scandales sanitaires ou environnementaux) prennent le risque de les porter à la connaissance du public.
En France et aux États-Unis, mais aussi en Afrique du Sud ou au Nigeria, des lois ont été promulguées pour protéger ces personnes. Et dans ces pays, plus 40 % d’actes de fraude et de corruption sont révélés par les lanceurs d’alerte, selon le rapport sur la fraude de l’organisation Kroll.
La création de l’APLC, un signal fort
Il est vrai que le président Tshisekedi a envoyé un signal fort en n’intervenant pas en faveur de son ancien allié et en créant l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption [APLC].
Mais cela n’empêche pas de travailler, en parallèle, à améliorer l’arsenal législatif congolais et à élaborer un système de protection des lanceurs d’alerte qui agissent de bonne foi pour l’intérêt public. Dans un pays où les contrats miniers sont parfois passés dans l’opacité la plus totale, c’est même absolument indispensable.
Roger-Claude Liwanga, Chercheur à l'université Harvard, professeur de droit et de négociations internationales à l'université Emory
Tribune tirée de Jeune Afrique