A la veille de lindépendance, léconomie de la RDC était classée parmi les économies en expansion disposant dune base de production relativement diversifiée et soutenue par des infrastructures économiques et sociales solides.
Une comparaison internationale de lévolution économique de plusieurs pays du monde à la fin de la décennie 50 indique que le Congo-Belge avait une structure économique plus développée et un taux dexpansion économique plus élevé que le Brésil, lAfrique du Sud, lInde, le Mexique notamment. Ces pays sont aujourdhui classés parmi les géants en matière économique.
Une analyse rétrospective de la trajectoire économique de la RDC montre, à travers les différents graphiques qui suivent, que léconomie congolaise a connu une croissance soutenue sur une période denviron 50 ans, soit entre 1920 et 1970. Si cette tendance avait été maintenue, sans doute, la RDC serait, aujourdhui, la tête de pont de léconomie africaine et sa population aurait des conditions de vie bien meilleures.
[caption id="attachment_31279" align="alignright" width="616"] Graphique 1 : Evolution de léconomie congolaise de 1920 à 1956 (PIB réel). Source : Revue congolaise déconomie, sources de la croissance en République Démocratique du Congo avant lindépendance. Document de travail, juillet 2006.[/caption]
La croissance économique du Congo-Belge entre 1950 et 1959 était soutenue par un important effort dinvestissement notamment dans le secteur de lénergie électrique et dans celui des transports. Cette croissance sest accompagnée dune amélioration des conditions générales de vie de la population : approvisionnement en eau et en électricité, soins de santé, mobilité, logement, consommation etc.
Après lindépendance, la RDC a connu une décennie de croissance économique enregistrée entre 1960 et 1970. A partir de 1974, léconomie du pays est entrée dans une phase de récession pour se redresser au début des années 1980. Lévolution observée au cours de cette période est le résultat des effets liés au premier choc pétrolier, aux effets induits par les mesures de zaïrianisation et à la crise de lendettement. A la suite de ces phénomènes, léconomie du pays a été plongée dans un profond marasme. Le redressement amorcé au début des années 80 fait suite aux mesures dajustement structurel mises en uvre au cours de cette période avec le soutien financier des institutions de Bretton Woods.
Les données sur la décennie 1990 2000 traduisent un effondrement de la capacité productive du pays. Le graphique ci-dessous le montre bien. Au cours de cette période, léconomie du pays est passée de létat de crise économique à celui de ruine économique avec comme manifestations concrètes leffondrement et la disparition progressive des structures de base de léconomie : structures de production, de distribution, déchange, de consommation et de financement.
Cest au cours de cette décennie que le pays a connu leffondrement de la société Gécamines, autrefois pilier de léconomie nationale, avec léboulement de la mine de Kamoto, les pillages des unités de production en 1991 et 1993, les fermetures des banques et autres institutions financières (notamment les coopératives dépargne et crédit), la disparition de plusieurs unités industrielles (industrie textile, industrie de production et de conservation des produits de la pêche, industrie de fabrication de chaussures etc.), avec comme conséquence, la flambée du chômage avec les licenciements massifs des travailleurs pour raisons économiques.
[caption id="attachment_31280" align="alignright" width="408"] Graphique 2 : Evolution de léconomie congolaise de 1960 à 2000 (PIB réel).
Source : Revue congolaise déconomie, sources de la croissance en République Démocratique du Congo avant lindépendance. Document de travail, juillet 2006.[/caption]
Les projets de développement ainsi que les investissements réalisés notamment dans les secteurs des mines et des télécommunications ont permis la relance de léconomie congolaise observée entre 2001 et 2005, avant le ralentissement provoqué par la crise financière internationale en 2008 et 2009. Relancée en 2010 avec le boom du secteur minier, la croissance de lactivité économique nationale sest essoufflée en 2015 avec la chute des cours des produits de base exportés par la RDC, traduisant ainsi sa forte vulnérabilité aux chocs extérieurs.
Depuis lindépendance, hormis les aménagements hydroélectriques dInga 1 et 2, aucun projet structurant na été réalisé en RDC. Les projets de développement des autres phases du site dInga (Inga 3 et Grand Inga) et de construction du port maritime en eau profonde à Banana devaient saccompagner dautres grands projets qui auraient pu contribuer au développement et à lenrichissement du pays. Ces derniers nont pas été réalisés.
Sil était évalué, le manque à gagner résultant de la non réalisation de ces projets se chiffrerait, à ce jour, en milliards de dollars américains. Ceci traduit de nombreuses opportunités manquées.
Cest ici loccasion dindiquer que les indicateurs économiques habituellement utilisés pour évaluer les performances économiques réalisées par la RDC sont insuffisants. Et pour cause, ces indicateurs sont conjoncturels (taux général de croissance économique, taux dinflation, taux de change, solde primaire du budget de lEtat, niveau des réserve de change).
Bien sûr que la RDC a besoin dune économie stable pour permettre aux agents économiques et aux ménages dévoluer dans un environnement lisible et prévisible, mais, la stabilité macroéconomique nest pas une fin pour que, depuis autant dannées, elle soit lobjectif principal des différents programmes économiques mis en uvre. Les indicateurs repris ci-dessus ne reflètent pas la capacité de léconomie nationale à créer des richesses réelles pour améliorer, de manière durable, les conditions de vie de la population.
[caption id="attachment_31281" align="alignright" width="516"] Graphique 3 : Evolution de léconomie congolaise de 2000 à 2016.
Source : Crispin Malingumu, suivant les données de la BCC.[/caption]
Comment pouvons-nous parler de performances économiques quand, en termes dIndice de Développement Humain, la RDC figure, très souvent, dans les dernières places du classement mondial ? En termes de revenu par habitant, suivant lAtlas de la Banque Mondiale, en 2017, la RDC sest classée à lavant-dernière position en Afrique Centrale, juste avant la Centrafrique, avec un revenu par habitant qui est le tiers de celui du Cameroun et du Congo-Brazzaville.
La croissance observée en RDC est conjoncturelle, fragile, superficielle et instable. Il ne peut en être autrement dans la mesure où léconomie congolaise est une économie de rente et de consommation. Sa croissance tire sa source de deux produits de base, le cuivre et le pétrole, qui génèrent 98% de ses recettes dexportation.
Les prix de ces produits sont fixés sur le marché international et sont instables. Par ailleurs, léconomie congolaise importe lessentiel de ce quelle consomme, avec environ 1,5 milliard de dollars américains par an pour les denrées alimentaires.
Ce dont la population congolaise a besoin, cest dune économie qui produit, qui avance et gagne des points dans le classement mondial des nations en termes de niveau de revenu et de qualité de vie. Pour voir si léconomie développe ses capacités de production et avance, il convient de se référer à des indicateurs structurels qui traduisent lefficacité des politiques publiques menées pour générer une croissance réelle de léconomie. Ce que « lAfrican Center for Economic Transformation » appelle croissance en profondeur.
Cette croissance est générée par un secteur productif performant, dynamique et innovant dont la capacité de production et de transformation locale des biens entraîne la création dune grande valeur ajoutée avec des effets induits qui profitent à lensemble de léconomie et à la population (création demplois durables, augmentation des revenus publics et privés, de la consommation, de lépargne etc.).
Ainsi, le programme économique des futurs gouvernants de la RDC devrait être adapté aux enjeux de développement du pays et viser une profonde transformation de sa structure économique pour la faire passer dune économie de rente, de consommation et extravertie à une économie de production, diversifiée et intégrée. Tel est le véritable challenge qui devrait mobiliser toutes nos énergies.
Ce programme doit être bâti en considérant les caractéristiques structurelles de léconomie congolaise, notamment létroitesse de sa base de production, son abondante dotation en ressources naturelles, limmensité et la configuration de son territoire, sa position géographique stratégique, sa population majoritairement jeune mais aussi sa forte dépendance vis-à-vis de lextérieur, son manque dinfrastructures de qualité, sa faible productivité, son manque de compétitivité et sa faible disponibilité en ressources humaines qualifiées dans les sciences et techniques appliquées et les technologies avancées.
Au regard de ce qui précède, les indicateurs structurels qui nous semblent appropriés pour évaluer lefficacité des politiques économiques menées dans un pays comme la RDC sont notamment (i) le taux de croissance de la production agricole, (ii) le taux de croissance de la densité du tissu industriel, (ii) le taux de croissance de la valeur ajoutée manufacturière/PIB, (iii) le taux dexploitation économique des ressources naturelles stratégiques (eau, mines, terres agricoles, forêts), (iv) le taux de croissance des infrastructures dans les secteurs clé de léconomie, (v) le taux de croissance des emplois durables dans le secteur productif et (vi) le taux de croissance des capacités humaines spécialisées dans les secteurs des infrastructures, dans lentretien et la maintenance des unités industrielles, dans la gestion automatisée des unités de production (productique), dans les télécommunications, dans lélectronique, dans la gestion et la valorisation des ressources naturelles.
Notons quen dépit de son abondante dotation en ressources naturelles, le taux dexploitation économique des ressources en eau pour la production dénergie électrique nest que de 2,6%, celui des terres agricoles de 10%, de 0% pour le gaz naturel, de 0,7% pour le pétrole, de 10% pour les forêts etc.
Sagissant des ressources en eau, il est intéressant de noter que dans un article intitulé « lEthiopie détient-elle les clés du Nil ? » publié en 2009 dans les Presses de lUniversité du Québec, le Professeur Frédéric Lasserre de lUniversité Laval qui a été Directeur de lObservatoire International de recherche sur leau présente un tableau dans lequel le potentiel hydroélectrique de la RDC est estimé à 530.000 MW alors que dans le pays, lon a lhabitude de lestimer à 100.000 MW, doù la nécessité dune meilleure connaissance des ressources hydraulique du pays.
Les futurs gouvernants de la RDC sont appelés à prendre conscience de la hauteur des défis à relever pour améliorer les conditions matérielles dexistence et la qualité de vie de la population. Le tableau ci-dessous donne un petit aperçu de ces défis.
Tableau 1 : benchmarking du niveau de satisfaction de quelques besoins de base de la population en RDC.
Indicateurs
Niveau de satisfaction
RDC
Moyenne africaine
Taux de desserte en eau potable
53%
60%
Taux de desserte en électricité
9%
30%
Densité spatiale du réseau routier dintérêt général
25 km/1.000km2
204/1.000km2
Densité du réseau routier par habitant
0,9 km/1.000 habitants
3,4 km/1.000 habitants
Source : auteur sur base des données de la Banque Mondiale, à part pour leau et lélectricité.
Pour changer de modèle économique et faire passer léconomie congolaise dune économie de rente, de consommation et extravertie à une économie de production, diversifiée et intégrée, il nous paraît urgent de doter la RDC dun programme économique global constitué de quatre sous-programmes, à savoir : (i) un sous-programme de diversification et dintégration de léconomie nationale sur un horizon de 10 ans, assorti dun plan cohérent de développement dinfrastructures dappui à la production et dinfrastructures sociales, (ii) un sous-programme national de valorisation et de rentabilisation des ressources naturelles stratégiques, (iii) un sous-programme de développement des compétences par la création des centres dexcellence dans les domaines des sciences et techniques appliquées, des technologies, de la télécommunication, de la gouvernance et la valorisation des ressources naturelles et (iv) un sous-programme de renforcement, de consolidation et daccélération des réformes structurelles et sectorielles en cours dexécution, assorti dun tableau de bord de suivi et évaluation.
Il est également important que la RDC se dote de trois instruments économiques importants, à savoir (i) une politique de décentralisation économique et de développement régional qui transforme les provinces du pays en véritables centres de production, de distribution, déchanges et de consommation des biens et des services, (ii) une politique de gestion de la rente des ressources naturelles, assortie des règles budgétaires claires et strictes, et (iii) une banque de projets structurants bancables pour faciliter les contacts avec les investisseurs potentiels dans le secteur des infrastructures.
Pour finir, il convient de noter que lhistoire économique a démontré que les pays riches en ressources naturelles qui avancent et dont les populations ont de bonnes conditions de vie sont ceux dont les institutions politiques sont de bonne qualité, cest-à-dire qui sont favorables à la promotion des activités de production et de développement des capacités humaines et pratiquent la justice sociale.
Ces institutions affectent une part importante de la rente des ressources naturelles aux dépenses en capital (dépenses en infrastructure) et aux dépenses de développement du capital humain (dépenses de santé et déducation). Ces dépenses ont un impact positif sur le développement à travers notamment leurs effets dentraînement sur la production intérieure, sur la qualité générale de vie et sur les qualifications intellectuelles et professionnelles de la population.
Par ailleurs, les institutions de bonne qualité appliquent une politique fiscale qui leur permet de capter une part importante de la rente des ressources naturelles quelles affectent en priorité au développement. Les institutions de mauvaise qualité affectent la rente des ressources naturelles aux dépenses non productives, principalement politiques, provoquant de ce fait, les effets déviction du capital humain et du capital physique.
Le nouveau Code minier récemment promulgué en RDC est une initiative louable. La rente minière attendue de ce Code est un levier important pour la relance de léconomie nationale.
Achille BONDO LANDU
Economiste, Chercheur en économie appliquée à la gestion des ressources naturelles