Le secteur minier comme moteur de développement exige bien plus qu’une simple révision du code (Tribune)

PAR Deskeco - 05 avr 2018 14:14, Dans Analyses

Dans une tribune envoyée à ACTUALITE.CD,  Kabange Nkongolo, professeur à l’Université de Kinshasa (UNIKIN) a étalé ses craintes vis-à-vis de la réforme du secteur minier caractérisé essentiellement par la promulgation du nouveau code minier. Pendant que le gouvernement et ses autres partenaires travaillent sur l’élaboration du règlement minier, Professeur Kabange alerte notamment sur la possibilité de négocier au cas par cas l’application de ce code minier.

Tribune.

Apres près de six années de tractations, la révision du code minier congolais a finalement connu son aboutissement. Boudée par les uns, acclamée par les autres, mais aussi peu comprise par le commun des citoyens, il faut retenir en premier que celle-ci n’est pas le fruit d’une abstraction, mais bien plutôt d’une démarche dont le leitmotiv est à situer à travers l’évolution  historique du secteur minier après la messe des indépendances de la décennie 60. Reprenant la pleine et libre disposition de tous les droits miniers cédés ou concédés avant le 30 juin 1960 à travers l’ordonnance-loi 66-343 du 7 juin 1966 (dite loi Bakajika du nom de son initiateur), l’Etat congolais, à la suite d'autres Etats Africains, entendait imposer sa présence dans la gestion du secteur minier. Malheureusement, en plus des pratiques de mauvaise gouvernance (corruption et clientélisme),  l’ensemble du continent Africain, en ce compris le Congo zaïre, connaîtra une baisse du taux d’investissement due entre autres  à l’absence d’un régime rassurant de droit de propriété pour les investisseurs étrangers, une fiscalité peu attractive ainsi qu’une réglementation parfois excessive. Ainsi dès la décennie 80, un mouvement de libéralisation du  secteur minier va progressivement se mettre en place sur l’ensemble du continent et les politiques d’ajustement structurel de la Banque Mondiale vont conduire au Congo à l’adoption d’un code minier en 2002 après celui de 198. Bien que les investissements miniers vont  connaître une augmentation (1,9 milliard de dollars en 2002 à 7,5 milliards de dollars en 2006 sur le continent), les faibles revenus fiscaux recueillis par l'État ainsi que l'apport insignifiant au développement socioéconomique des communautés locales vont conduire à une remise en question, spécialement en rapport avec la clause de stabilité, l'impôt sur le profit exceptionnel, la responsabilité sociale des opérateurs miniers etc.

C’est dans ce contexte qu’il faut situer la révision actuelle du Code minier qui naturellement devenait inéluctable. L’économie de cette révision repose sur une augmentation du taux de la redevance minière qui passe de 2 à 3,5% (10% sur les minerais stratégiques, notamment le cobalt de plus en plus convoité) ; de la part non diluable de l'Etat dans les sociétés minières qui passe de 5% à 10%, l’introduction d’un impôt de 50% sur le superprofit lorsque les cours des matières premières connaissent un accroissement remarquable supérieur à 25% par rapport aux prévisions projetées dans l'étude de faisabilité ; la responsabilité de l'opérateur minier en cas de contamination sur la santé des individus vivant aux alentours et la consécration d'un cahier des charges reprenant plus spécialement l'obligation de l'opérateur minier de contribuer à la conception et à la réalisation des projets socio-économiques et industriels des communautés locales affectées par ses activités.

Tous ces éléments de la réforme sont autant importants. Cependant, comme d’aucun ne l’ignore, partant de la constitution, en passant par les lois, jusqu’aux actes réglementaires, ce ne sont pas souvent les textes eux-mêmes qui posent problème en RDC, mais bien plus leur application qui elle, reste un défi majeur dans la consolidation de l’Etat de droit au pays de Lumumba. Le secteur minier n’y a pas fait exception jusqu’ici. Il est une lapalissade que l’impact de l’industrie minière en RDC a longtemps été limité par l’opacité et les malversations dans la gouvernance du secteur ainsi que les insuffisances structurelles et infrastructurelles. Les rapports (sur le pillage, l'exploitation illicite des ressources minières et le manque de transparence dans leur gestion) qui se sont multipliés depuis le début de la décennie 2000 en témoignent largement.

Image retirée.Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale de 2009 avait par exemple révélé que le taux de recouvrement des impôts dans le secteur minier se situait à moins de 10% pour les exercices des deux années précédentes. Partant de là, il devient tout naturellement légitime de s'interroger sur le fait qu'une simple réforme des textes puisse être suffisante pour remédier à cette faiblesse dans la gouvernance qui elle, est un exercice pratique qui se déploie au quotidien. L'initiative révisionniste est certes utile, mais n’est pas suffisante à elle seule. Les capacités structurelles de renforcer le respect des dispositions légales et la transparence dans la gestion des revenus du secteur sont des facteurs incontournables. Déjà l’application sélective telle que cela aurait été évoquée lors de l’entretien du 6mars entre les miniers et le Chef de l’Etat pose déjà un problème. Il faut craindre dans ce cas la résurgence d’un régime conventionnel. Bref, en l’absence d’un leadership responsable et sans restauration effective de l’autorité de l’Etat, le code minier révisé restera une simple lettre d’intention.

Notre analyse approfondie sur la question peut être lue dans la Revue de droit africain n84-2017, pp87-111.

Le Professeur Kabange Nkongolo est docteur en droit économique de l'Université d'Afrique du sud. Spécialiste des questions liées au droit des investissements étrangers et à la gestion des ressources naturelles, il enseigne le droit commercial international à la Faculté de droit de l'Université de Kinshasa. Il est en outre membre du réseaux de l'Institute for Gobal Law and Policy attaché à Harvard University.

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