Le Congo n’est pas à vendre fustige l’opacité qui entoure depuis plus d’un an le dossier des $180 millions de dollars que Glencore a versé à la République Démocratique du Congo, y compris l’interférence suspecte de l’Agence de Prévention et de Lutte contre la Corruption. La coalition de lutte contre la corruption demande au gouvernement de publier une note complète détaillant tous les contours de la négociation de cette prime et de sa destination ultime.
Un règlement à l’amiable de $180 millions non publié
Pour rappel, en décembre 2022, Glencore a annoncé un accord avec la République démocratique du Congo pour verser 180 millions de dollars en compensation de l’abandon de poursuites pour des
accusations de corruption la concernant. Selon une lettre de la Ministre de Justice, cet accord aurait été négocié avec le concours du ministère de la justice, d’experts de la CENAREF et de deux cabinets d’avocats non cités.
Le protocole d’accord transactionnel entre Glencore et la RDC n’a jamais été publié, malgré l’intérêt public notoire. En effet, par cet accord, le gouvernement a décidé de passer l’éponge sur plus d’une décennie de pratiques suspectes du géant minier et ce, sans avoir mené une réelle enquête de fond sur celles-ci.
Pourtant, des enquêtes précédentes ont démontré que la RDC a connu un manque à gagner allant jusqu’à $440 millions sur le pas de porte d’une des sociétés de Glencore au Congo. Par ailleurs, les estimations du CNPAV montrent que le pays a perdu plus d’un milliard supplémentaire suite aux contrats controversés entre les entreprises d’état congolaises et Dan Gertler, le partenaire de choix de Glencore pendant la quasi-totalité de la période couverte par l’accord à l’amiable. Ainsi, le CNPAV regrette que le gouvernement soit passé par une telle solution amiable plutôt que d’avoir constaté par une enquête rigoureuse les dégâts réels pour la République.
Par ailleurs, la destination des $180 millions n’a jamais été clarifiée. La lettre de la Ministre de Justice indique en effet que plusieurs parties s’attendent à être rémunérées : “les Aviseurs, les experts du CENAREF, ceux du Ministère de la Justice et les avocats.” Cette liste inclut plusieurs fonctionnaires publics, dont le métier est d’enquêter sur les crimes financiers et de promouvoir la justice au pays. Il convient de clarifier sur quelle base légale ceux-ci auraient le droit de collecter une partie du montant récupéré pour le compte de la République, et à quel montant ces sommes s’élèveraient.
L’interférence douteuse de l’APLC
Plus grave encore, une société strictement privée réclame aujourd’hui $36 millions sur les $180 millions versés par Glencore, et ce en raison de manœuvres de l’Agence de Prévention et de Lutte contre la Corruption (APLC).
Accord secret
En effet, selon une lettre du 21 juillet 2022, l’APLC aurait donné mandat au Centurion Law Group, une société sud-africaine pour recueillir des informations concernant le scandale de corruption impliquant Glencore Energy UK limited et ses sociétés affiliées, et des fonctionnaires congolais selon l’aveu de culpabilité aux Etats-Unis d’Amérique et dans d’autres pays.
En contrepartie, l’APLC se serait engagée à payer les honoraires de réussite sur toutes les sommes obtenues et/ou récupérées, pouvant aller jusqu’ à 20 % si le montant récupéré était supérieur à 100 millions de dollars. Suite à cet accord, le Centurion Law Group a demandé par une lettre du 12 décembre 2022 dont copie avait été réservée au Directeur de Cabinet du président de la République, qu’on lui paie sa rémunération de 36 millions de dollars.
Cet accord signé secrètement depuis 2022 n’a été révélé au grand public que suite à la parution de l’article de Africa Intelligence.
Défaut de mandat
Par ailleurs, la tâche de négocier un contrat revient exclusivement au gouvernement congolais et non à
l’Agence de Prévention et de lutte contre la corruption (APLC), partant de sa mission. L’APLC devra fournir une procuration émanant du gouvernement démontrant que ce dernier l'invite à agir en son nom.
Au cas contraire, ce contrat doit être considéré comme nul et ne doit pas engager la population congolaise qui fait déjà face à plusieurs défis. En effet, il s’agirait alors d’une usurpation de qualité qui interroge sur les motivations de l’APLC et rappelle des sombres mémoires « l’Affaire access bank » qui avait déjà éclaboussée cette agence.
Absence de sanctions à ce jour
Nous sommes également surpris de constater qu’à ce jour aucune mesure disciplinaire à l’encontre du coordonnateur de l’APLC n’ait été prise par le cabinet du président de la République, l’autorité de tutelle de l’APLC. Sans enquête, ni mesure disciplinaire, tout laisserait croire que le coordonnateur aurait agi de concert avec ses supérieurs hiérarchiques, en l’occurrence le directeur de cabinet du président de la République copié sur les correspondances avec Centurion.
Au regard de ce qui précède, le CNPAV suggère aux autorités exécutives et parlementaires du pays ce qui suit :
- La publication du protocole d’accord transactionnel de décembre 2022 entre Glencore et la République Démocratique du Congo ;
- La publication d’une note détaillant la destination des $180 millions ainsi que le détail sur les rémunérations exceptionnelles éventuellement promises aux agents étatiques et acteurs privés impliqués dans la négociation ;
- L’ouverture d’une enquête judiciaire pour déterminer les responsabilités quant à la lettre d’engagement entre l’APLC et le Centurion Law Group ;
- La publication de la preuve, par l’APLC, du mandat obtenu par le gouvernement pour la signature de ladite lettre d’engagement; à défaut d’une telle preuve, l’annulation dudit contrat pour défaut de qualité en matière d’engagement du gouvernement congolais ;
- La suspension du coordonnateur de l’APLC pendant la durée de l’enquête.
Communiqué de la coalition Congo n'est pas à vendre (CNPAV)