Elle se réalise de manière insidieuse et subtile. On ne s’en rend même pas compte. Et, par certains côtés, elle est même, aussi étonnant que cela puisse paraitre, assumée voire souhaitée par nos populations. Et pour cause ! L’Etat congolais, depuis plus de 60 ans, les a abandonnées à leurs tristes sorts...
Voici !
En novembre 2006, j’étais à Beni, dans le Nord-Kivu. J’y ai rencontré un jeune commerçant, originaire du coin, dynamique, brillant et dont les affaires étaient plutôt florissantes. Il m’avait loué son véhicule, une Toyota Land-Cruiser, pour un voyage à l’intérieur du territoire de Beni.
A mon retour à Beni-ville, on taillait bavette à l’hôtel et je lui exprimais toute mon admiration pour son dynamisme et son sens des affaires. Je ne pouvais pas, non plus, dissimuler ma surprise agréable : La ville de Beni était, visiblement, en plein essor économique. Des chics quartiers avec des villas modernes y foisonnaient et j’en étais impressionné. En y arrivant, j’étais à mille lieux de m’imaginer que cette contrée avait un tel niveau de viabilité. Plus moderne que beaucoup de villes de l’Ouest de la RDC...
Je voulus donc comprendre le secret d’une telle vitalité qui dénotait une certaine réussite économique...
La réponse de mon interlocuteur me désarçonna quelque peu : Ils (les habitants de Beni) sont plutôt branchés sur Kampala et Nairobi. Voire Kigali. Mon gars se rendait, par exemple, à Kampala, minimum deux fois par mois. Les « béninois », me dit-il, dealent et s’inspirent du modèle de développement des villes de ces pays de l’Est, pour développer leur coin. L’architecture des belles villas que j’admirais était copiée à Kampala.
Je lui posais alors la question de savoir s’il lui arrivait d’aller aussi à Kinshasa, la capitale de son pays. Sa réponse était à la fois surprenante et bouleversante. Non seulement qu’il n’avait jamais mis ses pieds à Kin, il n’en éprouvait même pas le moindre désir. Kinshasa était perçu, par lui, comme une ville d’un pays étranger. Il n’y avait aucune connexion. Ni économique, ni social. La position géographique de cette capitale (située à l’extrémité du pays) et surtout son inaccessibilité (par voie terrestre) ne l’encourageaient nullement à envisager ne fut-ce qu’une visite de curiosité.
Voyez-vous, la Balkanisation dont on parle tant n’est pas que politique, elle est aussi et surtout économique et social. Et ce, par la faute des…congolais, eux-mêmes, qui n’ont pas construit des infrastructures pour relier leurs villes entre-elles. Comment peut-on, dans ces conditions, continuer à claironner que nous sommes un seul et même pays ?
Un autre cas
Goma, juin 2010. Le restaurent dans lequel je prends mon déjeuner est particulièrement animé. Je m’apprête à rejoindre la ville de BUKAVU, pour au plus tard le lendemain. J’exprime mon intention de le faire par route. Tous mes convives sont unanimes. Et formels. Si vous voulez aller vite et bien à Bukavu, par route, il faut passer par le Rwanda.
- Pourquoi ? - Parce que là-bas, la route est bonne et très bien entretenue. Et puis, il n’y a pas de... tracasseries... - Et notre route à nous ? - Elle est en piteux état. Impraticable. Vous pouvez y passer des jours...
Alors que je méditais sur cette étonnante recommandation, faite par des gens qui sont pourtant, généralement, hostiles au Rwanda, un des convives rajouta une couche à ma surprise. Il régla sa note en Francs...Rwandais. Le serveur en connaissait le taux (de change)... Il ne discuta pas.
Voici un troisième exemple
Au Kassaï-Central, l’enjeu - vital - pour lequel les populations locales sont prêtes à tout, c’est - vous le savez sans doute - l’érection de la fameuse route qui doit relier la ville de Kananga à la localité de Kalamba-Mbuji. Cette route est réclamée à cor et à cri et le président de la République, en personne, a lancé le démarrage des travaux, il y a peu, pour calmer la colère qui montait dans la ville de Kananga.... La pression est forte et les populations Kasaïennes ne jurent que par cette route. Mais, qu’est-ce qui les excite autant ??? Kalamba-Mbuji serait-il le nouvel eldorado de la province ? Y-a-t-on découvert des minerais stratégiques ? Rien de tout ça chers amis…L’enjeu, c’est l’accès à l’Angola d’une part et d’autre part à l’océan, via le port de Lobito ou de Luanda. Les Kasaïens espèrent ainsi importer les produits manufacturés d’Angola mais aussi les marchandises, en provenance de l’Europe, de l’Amérique et de l’Asie via le port de Lobito.
Mais, voyez là où le bât blesse. Entre le port de Lobito (lorgné par les Kasaïens) et la cité de Kalamba-Mbuji, il y a à peu-près 1800 Km. Kalamba-Mbuji et Kananga, c’est 200 Km. Et donc, une marchandise déchargée à Lobito doit parcourir 2000 Km pour atteindre Kananga.
Or, entre Kananga et Matadi, c’est près de 1500 Km. S’il faut aller jusqu’à Moanda, c’est près de 1800 Km.
Question : pourquoi les Kasaïens espèrent-ils atteindre l’océan Atlantique par l’Angola et non par leur propre pays, alors que la distance y est plus courte ?
Vous avez la réponse n’est-ce pas ? Comme pour nos compatriotes des villes de l’Est qui sont arrimés sur Kampala, Entebbe, Kigali, Nairobi et Dar es Salam, les Kasaïens veulent profiter aussi des infrastructures (et de l’absence de tracasseries) de l’Angola pour se donner une bouffée d’oxygène. De Lobito à la ville Angolaise frontalière de Kalamba Mbuji, il y a, non seulement une route impeccable, mais aussi une voie ferrée moderne.
Qu’ont-ils, les Angolais, que nous n’avons pas, pour construire et entretenir des belles routes et des rails sur plus de 2000 Km ?
Ceux qui ont inventé le Congo, avaient pourtant, pour ne pas faire dépendre son économie des pays voisins, négocié et obtenu l’ouverture de ce pays sur l’océan Atlantique. Les 27 Km de notre littoral Ouest ont été obtenus pour cette fin. Et les infrastructures étaient en train d’être construites pour garantir une autonomie totale et indépendance vis-à-vis des Etats étrangers....... Un plan quinquennal (1960-1965) prévoyait le prolongement du chemin de fer Sakania-Port Francqui (l’actuel Ilebo) jusqu’à Kinshasa, ville qui était déjà reliée à Matadi par voie ferrée.
Tout cela s’est arrêté net, un certain jour de juin 1960. Depuis, les Congolais sont passés à autre chose.
Du coup, nos villes, pour la plupart, doivent leurs survies à la « viabilité » des Etats voisins qui ont des belles infrastructures jusqu’à nos frontières. Nos villes qui n’ont pas de proximité et donc d’accès à ces Etats étrangers, sont dans un dénuement total. Dans une misère sans nom. Vous en doutez ? Faites un tour à Mbandaka, Kananga, Kikwit, Kenge, Lodja, Kabinda,...et revenez me voir.
C’est quand-même surréaliste que le sort de nos populations dépende des pays voisins....
Je ne le dirais jamais assez. Si nous voulons demeurer un seul et même pays, nous devons relier TOUTES nos villes entre-elles. Toutes affaires cessantes. Fût-il au prix de la suppression des 3/4 de nos institutions politiques. Tous nos budgets devraient y être consacrés.
Sinon, nous sommes, nous-mêmes, les artisans de la balkanisation (de fait) de notre pays.
Tenons-le-nous pour dit !
Me Rémy KASHAMA.