Le prix du cobalt connaît une baisse vertigineuse ces trois dernières années. Sa valeur a été divisée par trois. C’est une mauvaise nouvelle pour la RDC qui est pourtant officiellement le premier pays producteur et détient l’essentiel des réserves mondiales. Plusieurs creuseurs artisanaux qui ne supportent pas cette baisse de prix de cobalt ont dû quitter les sites miniers et d’autres se rabattent sur le cuivre qui n’est pas du tout rentable pour eux. ( Reportage)
Sous un hangar ondulé, localisé dans la mine artisanale de Kamilombe, au quartier Kapata, dans la ville de Kolwezi, Guelord Kongolo, 39 ans, concasse les pierres du cobalt brut qu’il s’apprête à vendre.
« Si tu fais un constat sur ce site, tu vas te rendre compte que le mouvement est devenu timide, ce n’est pas comme ça que nous travaillions dans le passé », explique Guelord Kongolo, père de quatre enfants qui n’arrive plus à subvenir aux besoins de sa famille suite à la baisse du prix de cobalt et se rabatte sur le cuivre qui est moins rentable. « Nous souffrons, nous avons des enfants à scolariser et nous ne gagnons absolument rien dans le cuivre, à part les miettes, nous travaillons pour la survie », ajoute t-il.
Le cours du cobalt a chuté de manière vertigineuse au courant des trois dernières années, il se négociait à plus de 80 000 par tonne au printemps 2022, aujourd’hui il se vend à 23 945 dollars la tonne. La RDC est le premier pays producteur du cobalt au monde et représente plus de 50% des réserves et 70 % des exportations. Ce minerai est crucial pour la transition énergétique parce qu’il sert à la fabrication des batteries, y compris les batteries des voitures
Le hangar où travaille Guelord Kongolo contient une centaine de sacs de cobalt et de cuivre prêts à être acheminés chez les négociants. Ces derniers ne sont pas loin de lui,
Le chef du site Serge Kamwanayumba explique qu’à cause de la baisse du prix du cobalt, des milliers de creuseurs ont renoncé à cette activité depuis 2022. « On faisait l’encadrement des 21 000 creuseurs mais présentement nous sommes en train d’encadrer 15 000 creuseurs », explique-t-il à DESKECO.COM.
Non loin des mines elles-mêmes, une dizaine de femmes nettoient des morceaux de cuivre dans un lac artificiel, les pieds dans l’eau, du cuivre est aussi constatée.
« C’est grâce au cobalt que nous arrivions à scolariser nos enfants, payer nos loyers et même trouver quelque chose pour notre survie”, explique Charlotte Muyombe, une jeune mère de 3 enfants.
“ Mais dans le cuivre nous ne gagnons pas grand chose et mes enfants par exemple n’ont pas étudié cette année », ajoute-t-elle.
Selon l’expert congolais du secteur minier Jean-Pierre Okenda, cette baisse du prix de cobalt est due entre autres à la renégociation par le gouvernement congolais de contrat de la mine de Tenke Fungurume ( TFM). La Gécamines est entré en conflit avec son partenaire CMOC qui détient 80% de la mine de TFM, l’une des plus grosses mines de cuivre et de cobalt au monde.
Cette répartition des parts était jugée défavorable par le gouvernement. Pendant presque un an, il a interdit à CMOC d’exporter pour les forcer à négocier un nouvel accord. Mais TFM n’a pas arrêté de produire. Cela a créé des stocks très importants qui ont été vendus sur le marché d’un seul coup lorsque la crise a pris fin.
« Le Congo ne contrôle pas le prix du cobalt, nous subissons le prix du cobalt. Ce sont les exportateurs qui déterminent les règles du jeu », explique Jean-Pierre Okenda.
Selon les informations d’ACTUALITÉ.CD, à l’issue de cette renégociation, l’Etat n’a pas obtenu plus de parts dans TFM, mais selon l'accord il a gagné 800 millions de dollars, et des dizaines de millions supplémentaires en dividendes.
Il n’y a pas que les mineurs artisanaux qui sont impactés par cette baisse de prix. Un autre grand perdant, c’est l’Etat, les provinces et les communes qui sont censés toucher des redevances minières.
« La baisse des prix du cobalt, cela signifie une baisse de revenus pour tous », témoigne maître Donat Kambolalenge , l’un des responsables de la société civile locale à Kolwezi.
« Les gens déclarent n’acheter que le cuivre et c’est de la tricherie. C’est la faute de l’état congolais et des autorités provinciales qui ne sont pas en mesure de réglementer le marché du cuivre et de cobalt », ajoute t-il.
L'exploitation industrielle du cobalt en RDC représente plus ou moins 170.000 tonnes l'an et l'artisanat représente au moins entre 10% à 30%. En 2019, le gouvernement congolais a créé une filiale à la Gecamines, l’entreprise générale du cobalt ( EGC) qui devait améliorer le contrôle de la filière artisanale de cobalt. Mais c’est toujours difficile de contrôler ce secteur parce que certains creuseurs artisanaux opèrent illégalement sur des concessions minières dont les permis appartiennent à d’autres sociétés.
« Pour tous les sites qui sont envahis, il faudra que EGC arrive à entrer en contact avec les détenteurs du Permis d’exploitation pour qu’elle puisse arriver à mettre en place le mécanisme pour contrôler, mais aujourd’hui on contrôle pas l’exploitation artisanale », explique le directeur général adjoint de l’EGC, Willy Bosimba.
Début octobre, les acteurs du secteur minier congolais se sont réunis à Kolwezi à l’occasion de la 8e édition de l’Alternative mining Indaba qui était consacrée aux minerais critiques et à la transition énergétique. La rencontre consistait à réfléchir sur une possibilité de transformer localement les minerais stratégiques dont le cobalt qui a vu son prix chuter. Au lieu d’exporter des minerais bruts, qui rapportent peu, la RDC pourrait transformer ces minerais sur place et les revendre beaucoup plus chers sous une autre forme. « La question de la transformation locale apporte plus de valeur. Aujourd’hui on gagne plus lorsqu’on évolue dans la chaîne de valeur », note Jean-Marie Kanda, l'un des responsables du conseil congolais de la batterie, l’établissement public qui est censé promouvoir cette idée. «Dans le cas du cobalt, on pourrait fabriquer les batteries nous-mêmes. C’est ce qu’on appelle créer de la valeur ajoutée », ajoute t-il.
La RDC peut arriver à remonter le prix du cobalt dans deux ans mais si les entreprises minières s’entendent. « Si nous arrivons à imposer des quotas par rapport à l’exportation il y a des fortes probabilités que le prix remonte », explique John Kanyoni, représentant national de la commission artisanale minière à la Fédération des entreprises du Congo.
Yassin Kombi