Pas encore sur la bonne voie : face à la menace climatique, une action mondiale plus ambitieuse s’impose (Tribune de la DG du FMI)

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PAR Deskeco - 02 nov 2021 09:32, Dans Analyses

Par Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI

Une nouvelle analyse du FMI laisse apparaître des insuffisances quant à l’ambition et aux mesures qui s’imposent pour réaliser des réductions d’émissions de nature à limiter le réchauffement de la planète.

En 1785, Robert Burns méditait sur la façon dont l’humanité en est venue à dominer notre planète :

« Je regrette vraiment que la domination de l’homme ait rompu le pacte social de la nature », écrivait-il alors.

Deux siècles plus tard, les mots du poète écossais gardent toute leur pertinence.

Le changement climatique provoqué par l’homme met en péril l’écosystème de notre planète, ainsi que la vie et les moyens de subsistance de millions de personnes. Du point de vue du FMI, il fait peser une grave menace sur la stabilité macroéconomique et financière.

En tout cas, la fenêtre dont nous disposons pour limiter le réchauffement de la planète à une fourchette comprise entre 1,5 et 2 degrés Celsius est en train de se refermer rapidement.

Alors que les dirigeants mondiaux se réunissent à Glasgow pour la COP26, une nouvelle note des services du FMI sur le changement climatique montre que sans évolution de l’action des pouvoirs publics à l’échelle internationale, le niveau des émissions de carbone en 2030 sera bien trop élevé pour tenir l’objectif de 1,5 degré Celsius. Pour ce faire, il faudrait impérativement réduire ces émissions de 55 % par rapport aux niveaux de référence estimés pour 2030 et de 30 % pour limiter le réchauffement à 2 degrés Celsius.

S’ils veulent rendre cela possible, les dirigeants participant à la COP26 doivent remédier à deux insuffisances critiques : sur le plan de l’ambition et sur le plan des mesures.

Des objectifs mondiaux pas assez ambitieux en matière d’atténuation

135 pays représentant plus de trois quarts des émissions mondiales de gaz à effet de serre ont souscrit à l’objectif zéro émission nette d’ici au milieu de ce siècle, mais les engagements sur le court terme sont insuffisants. Même s’ils étaient tenus, les engagements actuels pour 2030 ne permettraient de réaliser qu’entre un et deux tiers des réductions nécessaires pour atteindre les objectifs en matière de températures.

Pour des questions d’équité et de responsabilité historique, les pays avancés se doivent de diminuer leurs émissions plus rapidement. Ils se sont collectivement engagés sur une réduction de 43 % par rapport aux niveaux attendus en 2030.

Dans le même temps, les pays émergents à revenu élevé se sont ensemble engagés sur une réduction de 12 % et les pays émergents à faible revenu sur une réduction de 6 %.

Cependant, la note sur le changement climatique montre qu’indépendamment de la distribution des réductions entre les différents groupes de pays, tout le monde doit en faire davantage.

Par exemple, l’objectif de 2 degrés Celsius pourrait être atteint si les pays avancés, les pays émergents à revenu élevé et les pays émergents à faible revenu réduisaient respectivement leurs émissions de 45, 30 et 20 %. Une répartition différente des efforts, avec des diminutions de 55, 25 et 15 %, produirait le même effet, tout comme une pondération à 65, 20 et 10 %.

Pour garder le cap de 1,5 degré Celsius, ces mêmes groupes de pays se devraient de relever considérablement leurs ambitions. Il faudrait par exemple qu’ils visent des réductions de 70, 55 et 35 % ou de 80, 50 et 30 % par rapport aux projections de référence pour 2030.

La bonne nouvelle, c’est que ces concessions peuvent se faire moyennant un coût tenable. Ramener les émissions mondiales à un niveau compatible avec un réchauffement de 2 degrés Celsius coûterait entre 0,2 et 1,2 % du PIB, les pays riches assumant la plus grosse partie de la facture. Et dans de nombreux pays, les coûts liés à l’abandon progressif des combustibles fossiles pourraient être compensés par des bienfaits environnementaux, plus particulièrement une réduction du nombre de décès provoqués par la pollution atmosphérique.

Il sera fondamental de renforcer les financements extérieurs afin d’aider les pays émergents et en développement à se montrer plus ambitieux en matière d’atténuation du changement climatique. Les pays avancés doivent honorer leur engagement à fournir 100 milliards de dollars de financements par an aux pays à faible revenu à partir de 2020. Les chiffres les plus récents montrent que nous n’avons pas atteint cet objectif.

De plus, pour que le secteur privé accorde davantage de crédits, il faudra absolument établir des certitudes quant aux objectifs des pouvoirs publics en matière d’atténuation, notamment par des signaux de prix, afin que les technologies propres luttent à armes égales. Il sera aussi primordial d’améliorer la qualité des informations et de les uniformiser afin que les investisseurs puissent contribuer à surmonter les risques perçus, y compris dans les pays à faible revenu.

Des mesures d’atténuation insuffisantes à l’échelle mondiale

Même avec des engagements suffisamment ambitieux, nous avons également besoin de mesures pour concrétiser les réductions d’émissions.

La tarification du carbone, qui consiste à administrer des taxes sur la teneur en carbone des combustibles ou leurs émissions, doit jouer un rôle central, en particulier pour les gros émetteurs.  Du même coup, elle envoie un signal de prix incitant à réorienter l’investissement privé en faveur des technologies sobres en carbone et de l’efficacité énergétique.

Cependant, il existe un décalage considérable entre les dispositifs requis et les dispositifs effectifs. Pour limiter le réchauffement à 2 degrés Celsius, il faudrait que le prix mondial du carbone dépasse 75 dollars la tonne d’ici à 2030.

Au niveau international, la coordination sera primordiale pour surmonter les contraintes liées à l’économie politique et accélérer la mise en place de la tarification du carbone. En effet, il est difficile pour les pays d’agir isolément en raison des inquiétudes en matière de compétitivité et de l’incertitude quant aux mesures prises par leurs homologues.

La résolution de ces questions est justement placée au cœur de la proposition des services du FMI de fixer un prix plancher du carbone à l’échelle internationale pour un petit groupe de gros émetteurs.

Ce plancher serait équitable, avec une tarification différenciée pour les pays en fonction de leurs stades de développement économique, accompagnée d’une assistance financière et technologique pour les signataires à faible revenu. De plus, l’accord sur un prix plancher serait pragmatique, en permettant une mise en œuvre à l’échelon national à l’aide de mesures non tarifaires qui aboutissent à des résultats équivalents.

Il serait collaboratif, ce qui éviterait de conflictuels ajustements aux frontières si certains pays passent à un système de tarifs élevés pour le carbone tandis que d’autres ne le font pas.

Au niveau national, des réformes portant sur la tarification du carbone pourraient servir de déclic pour les réductions des émissions. Quoi qu’il arrive, cela ne saurait se faire au détriment de l’économie. De récentes études empiriques laissent apparaître que de telles réformes n’ont pas porté préjudice au PIB ou à l’emploi. De fait, elles pourraient aider à la réalisation d’objectifs de croissance à long terme. Les recettes issues de la tarification du carbone (en général environ 1 % du PIB, voire plus) peuvent être utilisées pour réduire les impôts sur les salaires ou augmenter les investissements publics, ce qui est bénéfique pour l’économie.

Ce ne sont là que quelques exemples de leviers par lesquels les stratégies d’atténuation peuvent et doivent engendrer des bienfaits plus larges à tous les niveaux de la société. Les dirigeants doivent veiller à opérer une transition juste en apportant une assistance efficace aux ménages, travailleurs et régions vulnérables.

Par exemple, les réformes visant à tarifer le carbone peuvent contribuer à l’équité et être favorables aux pauvres. Si les recettes sont utilisées pour renforcer les dispositifs de protection sociale et relever les seuils de l’impôt sur le revenu, l’action entreprise se traduit par des bienfaits pour les groupes les plus pauvres et un impact neutre pour la classe moyenne. Une autre solution pourrait consister à orienter les recettes vers des investissements publics dans la santé ou l’éducation.

L’investissement public vert constitue un autre ingrédient clé de toute stratégie d’atténuation du changement climatique. Nous devons accélérer l’adoption d’infrastructures technologiques respectueuses de l’environnement comme les réseaux intelligents et les bornes de recharge des véhicules électriques. S’ils sont bien articulés, les investissements privés et publics dans l’énergie propre exercent des effets particulièrement puissants sur la croissance. De surcroît, les industries sobres en carbone ont tendance à nécessiter davantage de main-d’œuvre que celles reposant sur les combustibles fossiles, ce qui peut contribuer à stimuler l’emploi.

Enfin, toutes les réformes doivent être introduites progressivement et accompagnées d’une communication efficace, de manière à ce que les entreprises et les ménages puissent s’y adapter. Elles doivent aussi englober les émissions au sens large, comme celles de méthane, et accroître le stockage du carbone par les forêts.

Il est urgent d’agir

Si nous ne comblons pas de toute urgence ces insuffisances sur le plan de l’ambition, des mesures politiques et des financements, nous nous exposons après 2030 à un dangereux effet de falaise pour les réductions d’émissions, qui verra les coûts liés à la transition augmenter considérablement et les objectifs de température se retrouver définitivement hors de portée.

Une transition ordonnée, concertée et accélérée peut et doit s’opérer. Dès aujourd’hui.

Et je conclurai en citant de nouveau Robert Burns : « Le jour et l’heure sont maintenant venus ».

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