L’année 2020 est sévie, depuis son premier trimestre, par la pandémie de la Covid-19 d’origine chinoise, perturbant ainsi l’ensemble des activités économiques et sociales à l’échelle mondiale. La RDC n’a pas fait exception car son économie en ressent l’impact. L’observance des mesures barrières et le confinement de la population à domicile ont eu pour effet de ralentir considérablement l’activité économique.
Vulnérabilité et extraversion de l’économie nationale
À l’instar des crises économico-financières antérieures, l’actuelle crise sanitaire révèle à nouveau la vulnérabilité et le caractère précaire de l’économie congolaise. La RDC comporte le double handicap de s’afficher à la fois comme une économie vulnérable et extravertie. La vulnérabilité est due au fait que la création de ses richesses dépend crucialement du secteur minier et de la demande extérieure globale. Il suffit d’un choc ou d’une crise survenant aux économies importatrices principalement à la Chine, à l’Union Européenne et aux Etats Unis d’Amérique pour que l’impact négatif soit ressenti sur l’économie nationale. A cette vulnérabilité se greffe son caractère d’extraversion étant donné notre pays importe l’essentiel de ses produits de consommation de masse que sont notamment les biens alimentaires et sanitaires.
Le plus grand impact macroéconomique subi au niveau national du fait de la pandémie de Covid 19 se situe principalement sur le marché de change où la monnaie nationale, le Franc congolais (CDF), a sensiblement dévissé par rapport au dollar américain (USD). En effet, de janvier à septembre 2020, pour un dollar américain, la cotation est passée de 1.683,95 à 1.961,10 CDF à l’indicatif, soit une dépréciation sur la période de 14,13 %. Sur le marché parallèle le taux de change avait même atteint 2.030 Francs congolais pour un dollar américain.
Une monnaie de singe
Pour rappel, en 22 ans d’existence, la monnaie congolaise n’a cessé de se déprécier par rapport aux autres monnaies de référence. En guise d’illustration : 1 dollar américain valait 1,33 CDF à son lancement en juin 1998. A ce jour, cette parité se chiffre à 1.961,10 CDF pour le même dollar. En 22 ans, la monnaie nationale a connu une perte de valeur de près de 150.000 %. En perdant toute sa valeur, notre monnaie nationale est devenue une monnaie de singe et est totalement discréditée.
Les implications néfastes de la pandémie pouvaient bien être contenues si la conduite des politiques macroéconomiques était bien en phase avec la gestion de réserves de change internationales. En effet, l’économie étant dollarisée et extravertie, le recours au dollar américain devient pressant pour les besoins d’importation des biens dans un contexte marqué par la contraction de l’offre de devises au niveau national. Pour faire face au besoin en monnaies étrangères, la Banque Centrale du Congo se charge de constituer et gérer les réserves en devises pour le compte de l’économie nationale. Mais la BCC est également tenue d’intervenir sur le marché de change pour le maintien de la stabilité externe et par ricochet celle interne de la monnaie nationale. Ainsi, la gestion des réserves de change internationales pour notre économie dollarisée et extravertie devient l’une des missions principales pour la BCC car elle concourt directement à l’atteinte de l’objectif de stabilité des prix, mission primordiale de toute banque centrale.
Il ressort de l’analyse de l’évolution du taux de change sur les dix dernières années que la baisse de nos réserves de change à un certain seuil, implique une dépréciation continue de la monnaie nationale qui entraine une augmentation du niveau général des prix connue comme l’inflation.
A fin septembre 2020, les réserves de change internationales détenues par la BCC sont de l’ordre de 709,7 millions équivalant à 0,65 mois d’importation ou 2,81 semaines. De 2010 à 2015, le niveau moyen de réserves de change était évalué autour de 1,84 mois d’importation avec 2,16 mois d’importation en 2012, pour l’année 2013, son niveau était de 2,14 mois d’importation et 2,01 mois d’importation pour 2014.
Sous cette période, le Franc congolais a affiché une relative stabilité par rapport au dollar américain. En effet, de 2010 à 2015, la dépréciation en moyenne annuelle, sur les cinq ans, n’est que de 0,28 %, il importe de relever qu’en 2011 et 2014, en termes annuels, le CDF avait même enregistré des appréciations annuelles respectives de 0,47 % et 0,11 %.
Cependant, de 2015 à 2019, le niveau des réserves de change a évolué bien en-deçà de la moyenne de 1,81 mois d’importation. Sous cette nouvelle période, les réserves de change renseignent une moyenne annuelle de 0,91 mois d’importation et la monnaie nationale accuse une dépréciation moyenne annuelle de 13,05 % avec des taux de dépréciation élevés en 2016 et 2017 respectivement de 23,67 % et 23,64 %.
Pour l’année 2020, sur ses trois trimestres, le niveau moyen de réserves de change est de 0,74 mois d’importation et sous cette période la dépréciation correspond à 14,13 %.
Réserves de change pour stabiliser le taux de change et les prix intérieurs
Il sied de relever que la constitution et la gestion de réserves de change internationales par la BCC constituent un instrument indispensable dans le maintien de la stabilité du taux de change et celle des prix intérieurs. La grande lacune dans la conduite de la politique de change par la BCC est l’absence formelle d’objectifs à court et moyen termes comme c’est plutôt le cas avec la BCE ou les Banques Centrales de la zone CFA. Ces dernières ont chacune défini des mécanismes stratégiques de l’évolution de leurs monnaies sur le marché de change. Ainsi, la BCE maintient la parité de sa monnaie avec le dollar américain dans une fourchette d’intervalle alors que les Banques Centrales de la zone CFA ont établi, à la faveur de la coopération monétaire avec le Trésor français, un régime de change fixe entre leurs deux monnaies.
Pistes de solutions au problème des réserves de change
Comme pistes de solution pouvant améliorer les réserves de change internationales de l’économie congolaise et préserver la stabilité du Franc congolais sur le marché de change, il est formulé des recommandations à court, moyen et long termes.
- A court terme :
- La BCC a échoué en tant que banque centrale à remplir adéquatement ses missions statutaires telles que la réalisation des objectifs de stabilité de la monnaie et des prix, la bonne gestion des fonds publics, la mise en place d’un système national des paiements fonctionnel, la supervision adéquate des banques et le développement du marché des capitaux. L’échec est tellement patent qu’il faut un nouveau départ pour restructurer profondément l’institut d’émission avec notamment la mise en place d’une nouvelle haute direction, d’un nouveau conseil d’administration, de nouveaux commissaires aux comptes et d’un nouveau comité de politique monétaire pour implémenter une nouvelle vision de promotion de la monnaie nationale et du système financier dans le pays.
- La gestion des réserves de change autorise la BCC à effectuer les dépenses locales en devise tout en tenant compte d’un niveau plancher et d’un arbitrage pour les postes dépensiers du budget en devise. Mais cette option consacre l’échec de la politique monétaire nationale et aggrave la dollarisation de l’économie, ce qui est contraire à l’Article 170 de la Constitution de la République qui fait du Franc congolais la seule monnaie utilisable sur l’étendue du territoire national. Pour sortir de cette idiotie, il faudra envisager de réviser la réglementation de change pour l’adapter à la constitution qui consacre l’exclusivité monétaire nationale.
- Il revient à la BCC de se doter d’une nouvelle approche dans l’exécution de la réglementation de change. Le contrôle de rapatriement des recettes d’exportation suivant les dispositions légales et réglementaires doit demeurer de stricte application. L’informatisation de tout le processus du rapatriement des recettes d’exportation et du paiement des recettes de suivi de change devrait constituer une priorité dans la restructuration de la BCC. En effet, l’informatisation permet de réduire l’intervention humaine exposée à la tentation de fraude, de corruption ou de détournement. Il serait également judicieux que l’Inspection Générale des Finances effectue le contrôle de rapatriement des recettes parallèlement à celui de la BCC.
- A moyen et long termes
- Il est de bon aloi pour une économie congolaise dollarisée d’envisager une coopération monétaire avec principalement le Trésor américain pourvoyeur de la plus importante part dans la composition de la masse monétaire nationale. En effet, plus de 95 % de la masse monétaire en RDC est constituée en dollar américain. Bien que la dollarisation de l’économie nationale soit partielle et non totale, elle fait perdre à la RDC tous les revenus de seigneuriage estimés à environ un milliard de dollars par an. Les Etats Unis d’Amérique s’accaparent et s’approprient tous ces revenus perdus annuellement par la banque centrale de la RDC qui devient ainsi comme un pays fonctionnant à perte. La RDC doit donc lever l’option soit de mettre fin à la dollarisation éhontée de son économie afin de permettre à sa banque centrale de recouvrer tous les revenus de seigneuriage actuellement perdus, soit d’opter pour la dollarisation totale qui ferait disparaitre la monnaie nationale au profit du dollar américain, mais aurait l’avantage d’officialiser la perte de souveraineté monétaire nationale au profit de l’impérialisme américain. La coopération monétaire entre le Trésor américain et la BCC aurait l’avantage de permettre à la RDC de récupérer les revenus de seigneuriage qui sont la première forme des ressources pour toute banque centrale. A mon avis, instaurer la dollarisation totale serait une erreur fatale pour l’indépendance politique et monétaire de la RDC en remettant le contrôle de sa monnaie et donc le monopole de la violence aux Etats Unis d’Amérique. Une telle évolution équivaudrait à un aveu d’incapacité des nationaux à gérer leur pays, leur économie et leur monnaie nationale.
- La RDC possède l’avantage de regorger sur son territoire d’importantes ressources minérales dont précisément l’Or, minerai qui est toujours employé comme instrument monétaire sur le plan international. L’acquisition sur le marché local de cette ressource et sa transformation en Or monétaire devrait permettre à la BCC de pallier suffisamment à l’approvisionnement en devise. La RDC pourrait aussi envisager d’exiger que les compagnies aurifères paient leurs impôts et dividendes au trésor public en or qui serait automatiquement alloué au renforcement des réserves de change (en or) de la Banque Centrale du Congo.
- Le code minier et la règlementation de change actuels constituent une solution (pour attirer les investissements) et en même temps un problème pour notre économie (perte automatique d’une portion des recettes d’exportation). Donner aux compagnies minières l’autorisation aveugle de ne rapatrier que 60 % des recettes d’exportation constitue une aberration et une entrave aux efforts de politique monétaire de la BCC. Nous devrons envisager la révision du code minier et de la réglementation de change pour le rapatriement de 100 % des recettes d’exportation avec la précaution que les compagnies exportatrices auraient accès à toutes les devises étrangères nécessaires pour faire face aux besoins de service de la dette en devises étrangères et aux achats d’équipements ou d’autres actifs indispensables à leur fonctionnement normal ininterrompu. Il faut donc supprimer l’autorisation donnée dans le code aux entreprises minières en phase d’investissements de garder 40% des recettes d’exportation à l’étranger. Ce modèle est d’application dans beaucoup de pays tels que l’Algérie ou le Nigeria et constitue un soutien remarquable à la constitution des réserves de change du pays et à la monnaie nationale.
Conclusion
En guise de conclusion, la déchéance effrénée de notre monnaie traduit l’échec de la Haute Direction de la Banque Centrale du Congo, depuis 1998, dans la conduite de la politique monétaire et de change de la République Démocratique du Congo. Cette dépréciation continue de la monnaie nationale est révélatrice de l’évidence selon laquelle la politique monétaire tout comme les autres politiques économiques et budgétaires menées en RDC n’ont point favorisé l’essor d’une monnaie nationale crédible. Pour changer la donne et s’attendre à des résultats différents, il faut de grands remèdes aux grands maux qui ont toujours rongé l’économie et la monnaie du pays. Les pistes de solution que je propose secoueront nos cerveaux pour que nous sortions de la zone de confort qui nous maintient collectivement dans la médiocrité.
Noel K. Tshiani Muadiamvita,
Banquier, Economiste