Code des investissements de la RDC : état des lieux et propositions de réformes

DESKECO.COM
PAR Deskeco - 27 juil 2020 14:04, Dans Analyses

La rédaction vous propose ce jour cette tribune de Robert Moustafa, CEO de Investment DRC et Directeur Général Honoraire de l’ANAPI. 

Etat des lieux

  1. Le financement du développement en Afrique était synonyme, il y a quelques années encore, de dépenses publiques, d’aides de donateurs, de prêts d’organismes de financement ou d’autres sources de fonds publics. Longtemps relégué en arrière-plan, le rôle du secteur privé à la croissance économique et au développement est aujourd’hui reconnu. Mais pour que l’initiative privée puisse jouer son rôle d’agent de développement que lui confèrent de plus en plus les gouvernements africains, il importe de créer des conditions favorables et propices aux investissements du secteur privé, local et étranger. Ce à quoi s’attèlent beaucoup de pays africains depuis quelques années, généralement à travers des codes d’investissement plus attractifs et la création d’agences nationales de promotion des investissements (Homevor, 2005)
  2. Le Code des investissements constitue à ce titre une composante majeure des stratégies de promotion des investissements, par laquelle les Etats cherchent à attirer et séduire les investisseurs.  En outre, ce dernier « fixe les conditions, les avantages ainsi que les règles générales applicables aux investissements directs, nationaux et étrangers » réalisés dans un pays donné en vue de lui permettre d’atteindre ses objectifs de développement.
  3. L’histoire de la République Démocratique du Congo depuis 1969 en matière de la législation sur les investissements est jalonnée par cinq codes des investissements. Le tout premier fut consacré par la Loi du 26 juin 1969, ensuite par la Loi du 27 septembre 1979. Il eut par la suite la Loi du 12 mars 1986. Enfin, au regard d’importantes lacunes qui sont apparues dans l’application des différents codes précités, le législateur congolais a estimé pertinent et opportun d’initier un nouveau code qui fut consacré par la Loi du 21 février 2002.
  4. Ce cinquième Code des Investissements avait la particularité d’instituer pour la première fois de son histoire en son article 4, l’Agence Nationale pour la Promotion des Investissements, ANAPI en sigle, considérée comme un guichet unique en matière des investissements publics et privés en RDC. C’est la seule instance publique en charge de la gouvernance des investissements sous tutelle du Ministère du Plan.
  5. A ce titre, l’esprit du nouveau Code des Investissements met en évidence trois politiques, à savoir : il constitue d’abord une politique incitative (un appât pour attirer les investissements du fait qu’il accorde des incitations ou exonérations), puis une politique compétitive (une stratégie économique pour concurrencer les autres demandeurs dans le marché des capitaux), et enfin, une politique orientative et sélective (oriente les investissements dans les secteurs-clés déclarés prioritaires pour permettre à l’Etat de matérialiser son plan de développement).
  6. Sur le plan des incitations, le Code des Investissements accorde des avantages fiscaux, parafiscaux et douaniers suivants : (i) la TVA (16%), (ii) les droits d’entrée (5%), (iii) le rebattement de la redevance administrative à 2% ; (iii) l’impôt foncier sur les concessions ordinaires et les propriétés bâties ou non bâties ; (iv) l’impôt sur le bénéfice et les profits (30%) ainsi que (v) l’impôt sur le droit proportionnel en cas d’augmentation du capital.
  7. La durée maximale est de 5 ans selon la région économique d’implantation du projet d’investissement : (i) Kinshasa (3 ans) ; (ii) Bas-Congo, Lubumbashi, Likasi et Kolwezi (4 ans) et (iii) les autres provinces (5 ans).
  8. Sur plan des secteurs qui entrent dans le périmètre du Code des Investissements, tous sont éligibles à l’exception des : (i) Mines et Hydrocarbures ; (ii) Banques ; (iii) Assurances et Réassurances ; (iv) production d’armement et des activités connexes militaires ;  (v) production d’explosifs ; (vi) Assemblage des équipements  et des matériels militaires et paramilitaires ou des services de sécurité ; (vii) production d’armements et activités militaires et paramilitaires ou des services de sécurité et (viii) activités commerciales. Les investissements dans ces secteurs sont régis par les lois particulières.

Vision du Chef de l’Etat Felix-Antoine Tshisekedi Tshilombo et principales faiblesses identifiées

  1. La vision du Président de la République, Chef de l’Etat consacre l’investissement comme un pilier de la transformation structurelle de l’économie. En d’autres termes, sa vision est celle de redéfinir un environnement des affaires attractif, compétitif et propice à l’investissement privé et à l’essor de notre économie avec un accent particulier sur l’emploi.
  2. Qui plus est, Cette vision transparaît dans son discours d’investiture du 24 janvier 2019 où le Chef de l’Etat souligne l’impératif pour le Gouvernement de la République de « réaménager le code des investissements afin de favoriser de nouveaux projets ayant un impact sur des zones géographiques ou des secteurs d’activités cibles définis en fonction des priorités nationales… »
  3. En outre et par la même occasion, le Chef de l’Etat a instruit le Gouvernement de réaliser un plan d’investissement les plus ambitieux avec les partenaires nationaux et internationaux en usant de toutes les techniques financières et sécurisées possibles, y compris les Partenariats Publics Privés et des financements innovants ».
  4. Par ailleurs et considérant la dynamique économique nationale et régionale actuelle, force est de constater que notre Code des Investissements n’est ni incitatif, ni efficace moins encore compétitive pour des raisons pertinentes suivantes :
  • Sur le plan de la gouvernance de l’investissement : il n’existe pas un organe public légal de concertation au plus haut niveau en matière d’investissement à l’instar de la Tunisie qui a révisé sa loi d’investissement en 2017 et a institué « un conseil supérieur d’investissement » pour définir des politiques et stratégies en matière d’investissement. D’ailleurs, l’Agence Tunisienne d’investissement dépend directement de ce conseil parce que faisant partie intégrante du secrétariat permanent et technique. En plus, la loi tunisienne d’investissement a la particularité de créer un fonds d’investissement qui est un fonds regroupant les fonds existants liés à l’investissement. Nous pourrions adapter ce schéma global de gouvernance par rapport au cas particulier de la RDC.
  • Par ailleurs, les avantages accordés tant en ce qui concerne leur nombre que leur durée sont beaucoup plus alléchants au niveau de la Côte d’Ivoire qu’au niveau de la RDC. Sur le plan de la durée : la Côte d’Ivoire affiche une durée plus longue que la RDC en termes d’avantages accordés (5 à 15) contrairement à la RDC (3 à 5 ans) en fonction de trois zones précitées.
  • Sur le plan du nombre ou types d’avantages : la Côte d’Ivoire accorde plus d’incitations que la RDC, notamment : (i) au moment de la réalisation des projets (la TVA est totalement exonérée, aussi bien en régime intérieur qu’extérieur, ce qui n’est pas le cas pour la RDC) et (ii) au moment de l’exploitation des projets (en dehors des impôts classiques exonérés dans les deux pays tels que l’impôt sur les bénéfices et profits et l’impôt foncier, certains avantages additionnels sont accordés par la Côte d’Ivoire, notamment l’exonération de la contribution aux licences et patentes et la réduction de 50 à 90% en fonction des zones du montant de la contribution à la charge des employeurs à l’exclusion de la taxe d’apprentissage et de la taxe additionnelle à la formation professionnelle continue, pour les entreprises qui créent au moins deux cent cinquante emplois) ;
  • Sur le plan des secteurs prioritaires du Code des Investissements, ce dernier met un accent particulier sur le secteur industriel qui était restée couteuse, sous capitalisée, peu compétitive et soumis à un processus long de désinvestissement à cause des mesures incohérentes prises (zaïrianisation) et des pillages et guerres que le pays a connus - la contribution du secteur industriel était de 30% du PIB en 1960 et a chuté brutalement à moins de 1% durant les années 2002. Dans le même temps, le Code a élargi son champ d’actions dans les autres secteurs à l’exception des Mines, Hydrocarbures et des Assurances. Au lieu d’être sélective, il demeure trop général. Il faudra absolument recadrer les secteurs en tenant compte des priorités contenues dans le plan de développement du pays. Tout ne peut pas être prioritaire, un effort de ciblage devra être fait en vue de produire des résultats escomptés ;
  • Qui plus est, certains textes accordant les incitations ont vu le jour après 2002 et rendu le Code des Investissements peu incitatif au niveau interne en termes d’incitations accordées –allusion faite au partenariat stratégique sur la chaîne de valeur. Des chevauchements sont à stigmatiser et certains opérateurs économiques se retrouvent parfois au niveau du Code des Investissements et des autres textes – il se pose l’épineux problème de cohérence des textes réglementaires accordant les incitations – Au lieu d’être complémentaire, ces textes se chevauchent.

Propositions finales

  1. A la lumière des arguments développés ci-haut, nos propositions se résument en ces termes :
  • Réviser le code des investissements en l’adaptant aux réalités économiques et sociales actuelles de notre pays tout en le rendant compétitif et suffisamment attractif tant en ce qui concerne les avantages que la durée sans oublier bien sûr les mécanismes de protection et de sûreté des investissements qui méritent d’être renforcés avec une gouvernance forte et un pilotage au niveau de la Présidence de la République. Cette proposition est en ligne droite avec le souci exprimé par le Chef de l’Etat de restructurer l’ANAPI afin qu’elle joue pleinement son rôle de leadership dans le domaine des investissements dans notre pays.
  • S’inspirer du schéma global de la nouvelle gouvernance à l’instar de celle de la nouvelle loi d’investissement tunisienne qui prévoit trois structures : (i) le conseil supérieur de l’investissement (organe stratégique à piloter au niveau du chef de l’Etat) : (ii) l’instance d’investissement à l’instar de l’ANAPI (interlocuteur unique d’orientation, d’accompagnement et de soutien à l’investissement) et (iii) un fonds d’investissement regroupant les fonds existants liés à l’investissement. Ces différentes structures permettront une meilleure prise en charge de la politique d’investissement ;
  • Dans le même temps, il sera aussi nécessaire, dans le cadre du processus de révisitation de la loi, de s’imprégner des expériences des autres pays africains considérés comme des champions d’Afrique dans la pratique des affaires. En outre, nous pourrions nous inspirer du code panafricain investissements qui résume les meilleures pratiques africaines et harmonisées en matière d’élaboration du code des investissements. L’objectif du Code panafricain étant celui de rechercher la cohérence sur le paysage africain et son identité en matière de guide d’investissement ;
  • Apprêter une requête à soumettre à la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) en vue de procéder à l’examen de la politique d’investissement de la RDC. La CNUCED est spécialisée dans les questions relatives à l’investissement direct étranger. Elle a déjà effectué ce genre d’exercices dans plusieurs pays africains sauf en RDC. Elle ne peut le faire que si la RDC émet une requête expresse via soit le Présidence de la République, soit le Gouvernement de la République. L’examen de la politique d’investissement aborde entre autres : (i) le cadre juridique des investissements, (ii) la position concurrentielle du pays en termes de compétitivité (accès au marché, capital humain, compétences entrepreneuriales, infrastructures & promotion des Investissements Directs Etrangers) – nous estimons qu’il y a opportunité de la saisir ;
  • Faire un listing des textes accordant les incitations ou exonérations fiscales, parafiscales et douanières dans la perspective de créer un guichet unique de nature à rationaliser les textes qui s’entremêlent au lieu d’être complémentaires occasionnant ainsi des pertes majeures au niveau des recettes de l’Etat.

 

Fait à Kinshasa, le 27 juillet 2020

                                                    

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