A la suite de linterdiction de la mission de contrôle de lInspection générale des finances, la rédaction de Deskeco.com a fait une enquête pour faire comprendre à ses lecteurs, quest-ce qui est à la base de ce feuilleton, alors que le Président de la République, dans toutes les tribunes, met en avant plan la lutte contre la corruption, lenrichissement illicite, les antivaleurs, comme son cheval de bataille. Cette deuxième partie de notre enquête est consacrée aux causes de linterdiction de la mission de contrôle des dépenses publiques, sollicitée par lAgence Nationale de Renseignements (ANR).
Le programme de 100 jours crée lhémorragie des dépenses publiques
Dès son entrée en fonction, Félix Tshisekedi simprègne rapidement de la situation économique et financière du pays. Pour éviter le détournement de fonds, il suspend en premier lieu toutes les dépenses publiques, le 25 janvier 2019. « A dater de ces jours jusquà nouvelle ordre, les réaffectations, les mises en place du personnel sont suspendus. Il en est de même des engagements et liquidation des dépenses autres que celles liées aux charges du personnel. Les cas exceptionnels sont soumis à lautorisation préalable de son excellence monsieur le Président de la République », indique le communiqué de la Présidence de la République publié un jour seulement après son investiture.
Le 2 Mars 2019, la Présidence de la République décide de lancer le programme de 100 jours, tout en profitant de la liquidité de plus de 300 millions USD trouvée à la Banque Centrale du Congo, nous confie une source au Ministères des finances. Les dépenses dinvestissement sont donc engagées, ordonnancées, liquidées par la Présidence de la Républiques et payées directement par la Banque Centrale du Congo.
Les Ministères sectoriels navaient plus droits à engager leurs dépenses, pourtant chapeautés par un Ministre jouant lintérim, témoignent plusieurs cadres des Ministères, que DESKECO.COM a contacté.
Lexécution des dépenses par la Présidence de la République a provoqué une hémorragie budgétaire. Le 24 avril 2019, la Banque Centrale du Congo, après une réunion de politique monétaire, annonce un déficit budgétaire de 130 millions USD en trois mois. Le communiqué de la Banque Centrale précise, par ailleurs que ce déficit est provoqué à la suite des dépenses du programme durgence de 100 jours, non prévus par le budget 2019. Cette information a été largement partagé par les médias. Et, à la Présidence de la République on parlait de lintoxication et de la rumeur. Et que la situation des finances publiques était sous contrôle.
Cependant, le 6 mai 2019, une réunion est convoquée par le Directeur de Cabinet du Chef de lEtat entre la Présidence, le Ministre du Budget, celui des finances avec demande dexplication, nous confie une source du Ministère du Budget. Sommée de rectifier le communiqué faisant état dun déficit budgétaire, le 16 mai, la Banque Centrale du Congo annonce un excédent budgétaire de 176 millions USD au 30 avril. Peu avant, cétait le directeur de cabinet du Président de la République, qui avait annoncé un excédent budgétaire plus important de lordre de 253 millions USD à la même échéance. Entre les deux communications, il y a eu un écart de 77 millions USD.
Cependant, ce déficit budgétaire de 130 millions sest maintenu jusquau 30 juin 2019, selon les rapports de la Banque Centrale du Congo. Et en six mois, la Présidence de la République a explosé son budget annuel.
Centralisation de la chaîne de la dépense publique
En RDC, conformément au Règlement Général sur la Comptabilité Publique, la procédure dexécution de la dépense publique sarticule autour de quatre étapes ayant chacune un objet différent: lengagement, la liquidation et lordonnancement constituent la phase administrative. La dernière étape qui est celle de paiement constitue la phase comptable.
Ainsi, six intervenants exécutent directement ces quatre étapes : « le gestionnaire des crédits, pour lengagement et la liquidation provisoires; la Direction du Contrôle Budgétaire, pour le contrôle de la régularité de lengagement et de la liquidation; le Ministre du Budget (Cabinet du Ministre) ou son délégué : pour la validation des engagements et des liquidations; la Direction du Trésor et de lOrdonnancement : pour la vérification des éléments de la liquidation ainsi que pour lordonnancement et lédition des Ordres de paiement informatisé (OPI); le Ministre des Finances (Cabinet du Ministre) ou son délégué : pour la validation des ordonnancements; la Banque Centrale du Congo: pour le décaissement des fonds ou le virement bancaire; et le Comptable Public Principal : pour le paiement » conformément au circuit de la dépense publique.
Depuis laccession au pouvoir du Chef de lEtat, Félix Tshisekedi, la majorité des dépenses ont été effectuées avec la mention « dépenses urgentes ». Même les frais de mission, achat des véhicules, les frais pour réfection des bureaux, équipements, passation des marchés publics, etc., renseignent quelques bons dengagements, bons de retraits en espèces, les Ordres de Paiement Informatisés que DESKECO.COM a pu consulter. Cest le cas du paiement des frais de mission de service aux membres du cabinet du Chef de lEtat allant de 200.000 USD à 500.000 USD pour un court séjour, à lintérieur comme à lextérieur du pays ; lachat de 49 véhicules dune valeur de 1 601 000 USD par le Ministre intérimaire de lEnergie ; dotation des véhicules au conseillers spéciaux et Gouverneurs des provinces ; retrait intempestif en cache à la Banque Centrale du Congo ou par virement auprès des Banques Commerciales des montants allant de 1 millions à 7 millions USD, pour les dépenses telles que construction, réhabilitation des routes, hôpitaux et écoles, etc.
Pourtant, le manuel de procédure de la dépense publique reconnaît les dépenses durgence comme celles générées par un acte imprévisible, notamment une catastrophe naturelle, une calamité, une agression extérieure, un conflit armé, une épidémie, une évacuation sanitaire, renseigne le manuel de procédure de lexécution de la dépense publique en RDC. Les Ministres du Budget et des Finances sont les deux intervenants reconnus par la loi et qui jouent le rôle de premier plan dans la chaîne de la dépense.
« Avec la suspension des dépenses publiques, lautorisation dengagement (Bon dEngagement), validation des ordonnancements venait du Directeur de Cabinet du Chef de lEtat, alors que ce rôle est reconnu au Ministre du Budget et celui des finances. De fois, cétait un simple courrier, un élément interdit par le manuel de procédure de la dépense publique, faisait doffice au bon dengagement ou dordonnancement », sinquiète un sous-gestionnaire des crédits, contacté par Deskeco.
Pour avoir mis à lécart les services attitrés à effectuer leurs dépenses, des inquiétudes et des mécontentements se font sentir à travers toute ladministration. Des agents passent des semaines sans travail, mais se contentent uniquement de leurs salaires.
LANR saisit linspection générale des finances
Le recours intempestif au mode durgence, la centralisation de lexécution de la dépense publique à la Présidence de la République engendre des soupçons des fraudes massives, qui conduiraient à linflation. Une crainte largement partagée par tous les services de lEtat, nous confie un agent de la direction du trésor au Ministère des finances.
Ainsi, le 17 août 2019, Jean-Hervé Mbelu Biosha, administrateur général adjoint de lagence nationale de renseignement saisit linspection générale des finances pour effectuer une mission de contrôle des dépenses publiques.
« Pour des raisons impérieuses de sécurité dEtat, requérons Monsieur lInspecteur Général des finances, pour les devoir ci-après : auditer tous les décaissements des fonds du Trésor public en faveur de tous les Ministères du Gouvernement depuis linvestiture du Chef de lEtat Félix Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO, jusquà ce jour ; saisir tous les dépenses bons de retrait de fonds émis par les différents Ministères depuis linvestiture jusquà ce jours ; exiger de ces Ministères tous les dossiers par eux initiés pour sortir ces fonds ; faire les rapports circonstanciés sur lesdits dossiers ».
Trois jours après, le 21 Août 2019, lInspection générale des finances débute sa mission de contrôle. La brigade de dépenses publiques contrôle et vérifie la liquidation, lordonnancement et le paiement des dépenses publiques est mis en service. Lors de la mission, elle reçoit du Ministère du Budget, un CD, contenant des fichiers du Budget de l'Etat ; des engagements ; des liquidations ; des ordonnancements ; des paiements ; des restes à payer (RAP) des dépenses publiques.
Au Ministère des Finances, elle programme une séance de travail avec le Directeur du Trésor et ordonnancement pour examiner les Ordres de paiement informatisé, validation des ordonnancements, etc. Finalement la séance de travail naura pas lieu. Informé, le Directeur de cabinet du Chef de lEtat, Vital Kamerhe bloque la mission de contrôle. Dans un courrier adressé au Ministre des Finances, il interdit la tenue de la séance de travail le 24 août 2019.
« Monsieur le président de la République, Chef de lEtat et moi-même, navons aucunement autorisé une quelconque mission de contrôle. LInspection Générale des finances étant placée sous lautorité de la Présidence de la république, il est ainsi clair que cette fameuse mission est nulle et de nul effet. LInspection générale des finances, qui me lit en copie, est enjoint darrêter, dès réception de la présente, cette mission ».
Pourtant, lANR qui a requis linspection général des finances est sous le contrôle de la Présidence de la République. Et que la mission avait bel et bien reçu laval du chef de lEtat, nous renseigne un inspecteur des finances, qui a fait partie de la mission de service.
La mission de contrôle tourne à une confrontation
Les événements malheureux saccélèrent. Qualifié de Fake News par la présidence de la république, le Courrier de Vital Kamerhe interdisant la mission des inspecteurs des finances est authentifié par les services du ministère des finances, du Budget et de linspection générale des finances. Le 30 août 2019, trois inspecteurs généraux des finances sont arrêtés. Deux sont auditionnés par la Police le 1 septembre 2019 sur le CD, reçu du Ministère du Budget et lInspecteur général des Finances-chef de service par les services du Conseiller spécial du Chef de lEtat en matière de sécurité. Puis, le 2 septembre 2019, les agents de linspection générale des finances sont séquestrés, intimidés, menacés de mort pour avoir conduit une mission de contrôle des dépenses publiques.
Cette deuxième mission de lInspection Générale des Finances a été la plus délicate. Elle était censée mettre en lumière la manière dont les dépenses publiques ont été effectuées pendant la période ayant succédé lentrée en Fonction du Chef de lEtat. Une période caractérisée par la centralisation de la chaîne de la dépense, à la Présidence de la République.
Suite à lobstruction de la Présidence de la République, cette mission de contrôle est interdite. Aucun indicateur nindique quelle pourra reprendre. La société civile et le Réseau de parlementaire contre la corruption (APANAC-RDC) appellent à la poursuite de cet audit.
VM Goffamn