RDC : Arrestations, intimations, audition, interdiction des missions de services,…pourquoi les audits de l’IGF dérangent ? [Enquête, 2ème partie]

PAR Deskeco - 09 sep 2019 10:14, Dans Actualités

A la suite de l’interdiction de la mission de contrôle de l’Inspection générale des finances, la rédaction de Deskeco.com a fait une enquête pour faire comprendre à ses lecteurs, qu’est-ce qui est à la base de ce feuilleton, alors que le Président de la République, dans toutes les tribunes, met en avant plan la lutte contre la corruption, l’enrichissement illicite, les antivaleurs, comme son cheval de bataille. Cette deuxième partie de notre enquête est consacrée aux causes de l’interdiction de la mission de contrôle des dépenses publiques, sollicitée par l’Agence Nationale de Renseignements (ANR).

Le programme de 100 jours crée l’hémorragie des dépenses publiques

Dès son entrée en fonction, Félix Tshisekedi s’imprègne rapidement de la situation économique et financière du pays. Pour éviter le détournement de fonds, il suspend en premier lieu toutes les dépenses publiques, le 25 janvier 2019. « A dater de ces jours jusqu’à nouvelle ordre, les réaffectations, les mises en place du personnel sont suspendus. Il en est de même des engagements et liquidation des dépenses autres que celles liées aux charges du personnel. Les cas exceptionnels sont soumis à l’autorisation préalable de son excellence monsieur le Président de la République », indique le communiqué de la Présidence de la République publié un jour seulement après son investiture. 

Le 2 Mars 2019, la Présidence de la République décide de lancer le programme de 100 jours, tout en profitant de la liquidité de plus de 300 millions USD trouvée à la Banque Centrale du Congo, nous confie une source au Ministères des finances. Les dépenses d’investissement sont donc engagées, ordonnancées, liquidées par la Présidence de la Républiques et payées directement par la Banque Centrale du Congo. 

Les Ministères sectoriels n’avaient plus droits à engager leurs dépenses, pourtant chapeautés par un Ministre jouant l’intérim, témoignent plusieurs cadres des Ministères, que DESKECO.COM a contacté.

L’exécution des dépenses par la Présidence de la République a provoqué une hémorragie budgétaire. Le 24 avril 2019, la Banque Centrale du Congo, après une réunion de politique monétaire, annonce un déficit budgétaire de 130 millions USD en trois mois. Le communiqué de la Banque Centrale précise, par ailleurs que ce déficit est provoqué à la suite des dépenses du programme d’urgence de 100 jours, non prévus par le budget 2019. Cette information a été largement partagé par les médias. Et, à la Présidence de la République on parlait de l’intoxication et de la rumeur. Et que la situation des finances publiques était sous contrôle.

Cependant, le 6 mai 2019, une réunion est convoquée par le Directeur de Cabinet du Chef de l’Etat entre la Présidence, le Ministre du Budget, celui des finances avec demande d’explication, nous confie une source du Ministère du Budget. Sommée de rectifier le communiqué faisant état d’un déficit budgétaire, le 16 mai, la Banque Centrale du Congo annonce un excédent budgétaire de 176 millions USD au 30 avril. Peu avant, c’était  le directeur de cabinet du Président de la République, qui avait annoncé un excédent budgétaire plus important de l’ordre de 253 millions USD à la même échéance. Entre les deux communications, il y a eu un écart de 77 millions USD.

Cependant, ce déficit budgétaire de 130 millions s’est maintenu jusqu’au 30 juin 2019, selon les rapports de la Banque Centrale du Congo. Et en six mois, la Présidence de la République a explosé son budget annuel.

Centralisation de la chaîne de la dépense publique

En RDC, conformément au Règlement Général sur la Comptabilité Publique, la procédure d’exécution de la dépense publique s’articule autour de quatre étapes ayant chacune un objet différent: l’engagement, la liquidation et l’ordonnancement constituent la phase administrative. La dernière étape qui est celle de paiement constitue la phase comptable.

Ainsi, six intervenants exécutent directement ces quatre étapes : « le gestionnaire des crédits, pour l’engagement et la liquidation  provisoires; la Direction du Contrôle Budgétaire, pour le contrôle de la régularité de l’engagement et de la liquidation; le Ministre du Budget (Cabinet du Ministre) ou son délégué : pour la validation des engagements et des liquidations; la Direction du Trésor et de l’Ordonnancement : pour la vérification des éléments de la liquidation ainsi que pour l’ordonnancement  et l’édition des Ordres de paiement informatisé (OPI); le Ministre des Finances (Cabinet du Ministre) ou son délégué : pour la validation des ordonnancements; la Banque Centrale du Congo: pour le décaissement des fonds ou le virement bancaire; et le Comptable Public Principal : pour le paiement » conformément au circuit de la dépense publique.

Depuis l’accession au pouvoir du Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, la majorité des dépenses ont été effectuées avec la mention « dépenses urgentes ». Même les frais de mission, achat des véhicules, les frais pour réfection des bureaux, équipements, passation des marchés publics, etc., renseignent quelques bons d’engagements, bons de retraits en espèces, les Ordres de Paiement Informatisés que DESKECO.COM a pu consulter.  C’est le cas du paiement des frais de mission de service aux membres du cabinet du Chef de l’Etat allant de 200.000 USD à 500.000 USD pour un court séjour, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays ; l’achat de 49 véhicules d’une valeur de 1 601 000 USD par le Ministre intérimaire de l’Energie ; dotation des véhicules au conseillers spéciaux et Gouverneurs des provinces ; retrait intempestif en cache à la Banque Centrale du Congo ou par virement auprès des Banques Commerciales des montants allant de 1 millions à 7 millions USD, pour les dépenses telles que construction, réhabilitation des routes, hôpitaux et écoles,  etc.

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Pourtant, le manuel de procédure de la dépense publique reconnaît les dépenses d’urgence comme celles générées par un acte imprévisible, notamment une catastrophe naturelle, une calamité, une agression extérieure, un conflit armé, une épidémie, une évacuation sanitaire, renseigne le manuel de procédure de l’exécution de la dépense publique en RDC. Les Ministres du Budget et des Finances sont les deux intervenants reconnus par la loi et qui jouent le rôle de premier plan dans la chaîne de la dépense.

« Avec la suspension des dépenses publiques, l’autorisation d’engagement (Bon d’Engagement), validation des ordonnancements venait du Directeur de Cabinet du Chef de l’Etat, alors que ce rôle est reconnu au Ministre du Budget et celui des finances. De fois, c’était un simple courrier, un élément interdit par le manuel de procédure de la dépense publique, faisait d’office au bon d’engagement ou d’ordonnancement », s’inquiète un sous-gestionnaire des crédits, contacté par Deskeco.

Pour avoir mis à l’écart les services attitrés à effectuer leurs dépenses, des inquiétudes et des mécontentements se font sentir à travers toute l’administration. Des agents passent des semaines sans travail, mais se contentent uniquement de leurs salaires.

L’ANR saisit l’inspection générale des finances

Le recours intempestif au mode d’urgence, la centralisation de l’exécution de la dépense publique à la Présidence de la République engendre des soupçons des fraudes massives, qui conduiraient à l’inflation. Une crainte largement partagée par tous les services de l’Etat, nous confie un agent de la direction du trésor au Ministère des finances.

Ainsi, le 17 août 2019, Jean-Hervé Mbelu Biosha, administrateur général adjoint de l’agence nationale de renseignement saisit l’inspection générale des finances pour effectuer une mission de contrôle des dépenses publiques.

« Pour des raisons impérieuses de sécurité d’Etat, requérons Monsieur l’Inspecteur Général des finances, pour les devoir ci-après : auditer tous les décaissements des fonds du Trésor public en faveur de tous les Ministères du Gouvernement depuis l’investiture du Chef de l’Etat Félix Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO, jusqu’à ce jour ; saisir tous les dépenses bons de retrait de fonds émis par les différents Ministères depuis l’investiture jusqu’à ce jours ; exiger de ces Ministères tous les dossiers par eux initiés pour sortir ces fonds ; faire les rapports circonstanciés sur lesdits dossiers ».

Trois jours après, le 21 Août 2019, l’Inspection générale des finances débute sa mission de contrôle. La brigade de dépenses publiques contrôle et vérifie la liquidation, l’ordonnancement et le paiement des dépenses publiques est mis en service. Lors de la mission, elle reçoit du Ministère du Budget, un CD, contenant des fichiers du Budget de l'Etat ; des engagements ; des liquidations ; des ordonnancements ; des paiements ; des restes à payer (RAP) des dépenses publiques.

Au Ministère des Finances, elle programme une séance de travail avec le Directeur du Trésor et ordonnancement pour examiner les Ordres de paiement informatisé, validation des ordonnancements, etc. Finalement la séance de travail n’aura pas lieu. Informé, le Directeur de cabinet du Chef de l’Etat, Vital Kamerhe bloque la mission de contrôle. Dans un courrier adressé au Ministre des Finances, il interdit la tenue de la séance de travail le 24 août 2019.

« Monsieur le président de la République, Chef de l’Etat et moi-même, n’avons aucunement autorisé une quelconque mission de contrôle. L’Inspection Générale des finances étant placée sous l’autorité de la Présidence de la république, il est ainsi clair que cette fameuse mission est nulle et de nul effet. L’Inspection générale des finances, qui me lit en copie, est enjoint d’arrêter, dès réception de la présente, cette mission ».

Pourtant, l’ANR qui a requis l’inspection général des finances est sous le contrôle de la Présidence de la République. Et que la mission avait bel et bien reçu l’aval du chef de l’Etat, nous renseigne un inspecteur des finances, qui a fait partie de la mission de service.

La mission de contrôle tourne à une confrontation

Les événements malheureux s’accélèrent. Qualifié de Fake News par la présidence de la république, le Courrier de Vital Kamerhe interdisant la mission des inspecteurs des finances est authentifié par les services du ministère des finances, du Budget et de l’inspection générale des finances. Le 30 août 2019, trois inspecteurs généraux des finances sont arrêtés. Deux sont auditionnés par la Police le 1 septembre 2019 sur le CD, reçu du Ministère du Budget et l’Inspecteur général des Finances-chef de service par les services du Conseiller spécial du Chef de l’Etat en matière de sécurité. Puis, le 2 septembre 2019, les agents de l’inspection générale des finances sont séquestrés, intimidés, menacés de mort pour avoir conduit une mission de contrôle des dépenses publiques.

Cette deuxième mission de l’Inspection Générale des Finances a été la plus délicate. Elle était censée mettre en lumière la manière dont les dépenses publiques ont été effectuées pendant la période ayant succédé l’entrée en Fonction du Chef de l’Etat. Une période caractérisée par la centralisation de la chaîne de la dépense, à la Présidence de la République.

Suite à l’obstruction de la Présidence de la République, cette mission de contrôle est interdite. Aucun indicateur n’indique qu’elle pourra reprendre. La société civile et le Réseau de parlementaire contre la corruption (APANAC-RDC) appellent à la poursuite de cet audit.

VM Goffamn

 

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