RDC : Nation des Incompétences, des Excuses ou des Injures ? Décryptage d’une Crise Politico-Économique (Tribune de Jo M. Sekimonyo)

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PAR Deskeco - 16 sep 2024 09:09, Dans Analyses

Il est courant d’entendre la même réplique presque désespérée, surtout lorsque je compare la RDC à des pays où les citoyens bénéficient d’un niveau de vie moderne. Mes interlocuteurs, qu'ils soient collègues, journalistes ou simples inconnus, invoquent alors les avantages comparatifs et les contraintes structurelles, comme un refrain immuable : « Les réalités ne sont pas les mêmes ». Ce raisonnement reflète cependant une profonde incompréhension des dynamiques du développement : le potentiel d'une nation n'est pas un avantage en soi, mais les faiblesses doivent impérativement être affrontées, non éludées. 

Ce qu'ils négligent, c'est un dénominateur commun fondamental à toute nation : les citoyens sont des êtres humains doués d'intelligence, et il est du devoir de leur gouvernement de créer un environnement où ils peuvent accéder à un niveau de vie moderne et digne. Dès lors, la question essentielle devient : quelles stratégies d’économie politique pouvons-nous déployer pour atteindre cet objectif ?

L’aveuglement des élites congolaises face aux dynamiques de la concurrence mondiale et leur incapacité à adapter des politiques économiques efficaces enferment le pays dans un cycle chronique de stagnation et d'excuses. Se cacher derrière ces réalités, en invoquant toujours des prétextes, ne fait que perpétuer l’incompétence et légitimer l’inaction.

Comment le dragon s’alimente-t-il ?

Les Congolais citent souvent la Chine en exemple sans vérifier les données facilement accessibles. En 2023, les exportations agricoles chinoises ont atteint 98,93 milliards de dollars, contre des importations de 234,11 milliards, créant un déficit commercial de 135,18 milliards de dollars dans ce secteur. En 2022, la Chine a importé pour 109 milliards de dollars de produits alimentaires, dominée par des achats massifs de produits agricoles, absorbant 60 % du soja mondial.

Cependant, la Chine a compensé ce déficit avec un excédent commercial global de 877,6 milliards de dollars en 2022, tiré par ses exportations industrielles, montrant comment son cadre politico-économique lui permet de gérer ces déséquilibres avec aisance.

Ce paradoxe incarne à merveille les manœuvres stratégiques chinoises, une véritable chorégraphie économique entre domination dans des secteurs juteux et subsistance suffisante. En quelque sorte, ils cultivent l'esprit en modernisant les compétences individuelles dans les secteurs à forte valeur ajoutée, produire des têtes bien faites, offrant ainsi à leurs citoyens la chance d'accroître leur richesse pour mieux subvenir à leurs besoins, se remplir le ventre. Les Congolais, quant à eux, aspirent à renverser cette logique.

Ce que l’on devrait apprendre de la Chine

Bien que ce soit un point intéressant à souligner, l’agriculture ne déclenchera pas un « miracle » économique en RDC ou moderniser le niveau de vie des Congolais, ce n'est pas ce que la RDC devrait apprendre de la Chine. Certes, il est pertinent de noter comment la Chine, tout comme les États-Unis, utilise des subventions et des tarifs pour conférer à ses industries nationales un avantage comparatif artificiel. Il est également vrai qu’une économie solide est un préalable à la construction d’une puissance militaire redoutable. Mais ce n'est pas là non plus la leçon à retenir pour la RDC.

Ce que la RDC devrait véritablement apprendre de la Chine, c’est la puissance transformatrice de la honte. Le « miracle » économique chinois, tout comme les tricheries financières des États-Unis ou les ambitions géopolitiques de la Russie de Poutine, ne reposent pas simplement sur un désir de domination mondiale, mais sur des stratégies fondées sur le refus de revivre l'humiliation. Pour la Chine, il s’agit du Siècle de l’Humiliation ; pour les États-Unis, de la Grande Dépression ; et pour la Russie, de la chute de l’URSS. La honte, lorsqu’elle est profondément intériorisée, peut devenir un puissant moteur de changement.

Entre celui qui pariait sur l’improbabilité des élections de 2023, celui qui promettait de réagir à la moindre escarmouche, celui qui a pillé l’État pour ensuite donner des masterclasses sur comment devenir un millionnaire à travers "l’entrepreneuriat", un ancien gardien de l'expression démocratique qui a cédé à son instinct primitif et a pris les armes, et celui qui a profité du bradage les ressources nationales en tant que gouverneur, sans oublier celui qui m’insultait pour l’initiative pour corriger la constitution mais qui prône aujourd’hui un compromis politique, quel trait tous partagent ?

La RDC affiche une incapacité presque fascinante à éprouver la moindre honte face à son état socio-politique, et plus encore, économique, tant sur le plan national qu'individuel. Les politiciens pillent les caisses de l'État en toute impunité, comme s'il s'agissait d'une tradition locale, tandis que la culture populaire, notamment la musique, érige en héros ceux qui célèbrent cette absence totale de scrupules. Cette glorification de l’indignité ne fait que renforcer l’apathie collective, la mendicité sous toutes ses formes, et consolider la stagnation du pays.

Tragiquement, les rares moments de honte qui émergent, complètement déplacés, se concentrent sur des questions de choix personnels : avec qui quelqu’un décide d'avoir des relations ou ce qu'il choisit de porter. Voilà le triste miroir d’une société qui s'offusque des détails insignifiants tout en applaudissant la grande mascarade de la décadence publique.

Les récits que nous nous racontons façonnent le psychisme national

Les négociations de Luanda qui, sous couvert de diplomatie, semblent suivre le chemin de l’Armistice signé par l’Allemagne, la RDC se prépare à accepter une trêve plutôt qu'une véritable capitulation. Cependant, le véritable vaincu sera la RDC, avec un Rwanda triomphant dans l’ombre. Kagame tient à une nouvelle coalition avec ses pions Congolais pour former un nouveau gouvernement en RDC qui ne fera qu’entériner une trêve à ses conditions. Bien que les négociations soient bloquées au prix que la RDC devra payer, tout comme l’Allemagne à l’époque, pour mettre aux coups et aux humiliations, il est légitime de se demander : en tant que nation, sommes-nous prêts à affronter cette vérité ? Allons-nous reconnaître notre défaite ? Ou continuerons-nous à nous battre tout en voyant nos dirigeants admettre leur manque de confiance en notre armée et en nos capacités ?

Nous ne racontons même pas notre propre histoire pour nous-mêmes. La grande croisade pour attirer les investissements directs étrangers (IDE) repose sur une approche « prêt-à-porter » paresseuse et profondément erronée du développement économique national, une véritable forme de recolonisation volontaire.

De même, l’histoire du projet Grand Inga, comme tant d’autres, est rarement narrée par nous pour nous. La RDC consacre chaque année environ 1,5 milliard de dollars à l’importation de pétrole raffiné. Ceci illustre ainsi notre dépendance énergétique préoccupante, mais plus important c’est notre capacité de remboursement à long terme le coût de construction du Grand Inga est estimé à 80 milliards de dollars si ce projet pouvait favoriser le développement de transports écologiques, tels que les véhicules électriques. Il permettrait aussi de réorienter les besoins en devises étrangères vers des projets sociaux et d’impulser un élan significatif dans la lutte mondiale contre la pollution. Présenter le projet sous cet angle aurait pu galvaniser la nation et illustrer une véritable maturité dans le dialogue mondial.

Quelle histoire devrions-nous nous raconter ? Le concept d'exceptionnalisme démographique est fondamental. Avec un âge médian de seulement 15,8 ans et 44,5 % de sa population vivant en milieu urbain, la RDC est intrinsèquement positionnée pour un véritable miracle économique que la prochaine génération pourrait pleinement connaître. Il s'agit de briser, à l’instar de la Chine, un siècle d'humiliation nationale en adoptant le mantra "investir dans les gens", pour dire le capital humain. Cela ne signifie pas simplement garantir l'accès à l'éducation, la technologie peut rapidement combler l'écart, mais plutôt engager une quête pour renouveler et moderniser sa qualité et son objectif. Il est nécessaire de faire preuve d'une prise de conscience collective et d'une véritable honte face à notre situation socio-économique alarmante, tout en écartant les excuses et les injures qui dissimulent trop souvent l’incompétence. Yes, we can !!

Jo M. Sekimonyo

Écrivain, théoricien, défenseur des droits de l’Homme et économiste politique

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