Un nouvel acteur dans le domaine de l’exploitation du bois, Congo King Baisheng Forestry Development, fait polémique. Cette société créée en septembre 2019 est pointée du doigt par la communauté, la société civile, le gouvernement et même l’Inspection générale des finances. ACTUALITE.CD et ses partenaires se sont rendus dans l’un des villages situé à quelques kilomètres de l’une de ces concessions pour enquêter.
À Boyangi, petite localité du secteur de Mongala-Motima dans la province éponyme de la Mongala, il n’y a ni police, ni armée. Le chef du groupement s’est même retrouvé à fuir à la suite d’une affrontement intercommunautaire déclenché par l’assassinat d’un habitant. Dans ce cas-là, la seule autorité est un “kapita” qui a refusé de parler de la société Congo King Baisheng Forestry Development (COKIBAFODE), une entreprise de droit congolais, mais identifiée par la communauté comme appartenant à des Chinois.
Seuls les camions-remorques qui défilent permettent d’imaginer qu’une des plus grandes sociétés d’exploitation du bois en République démocratique du Congo opère à six kilomètres de là. Ils dégagent des nuages de poussière qui empoisonnent l’air des habitants. La route est sableuse et quasi-impraticable, même pour les moto-taxis qui sont les seuls moyens de transport en commun dans cette partie du Congo. Il n’y a pas d’école dans le village. Tous les matins, les enfants en uniforme doivent marcher des kilomètres dans cette atmosphère polluée. “Ils n’ont même pas asphalté cette route alors qu’ils s’y étaient engagés dans les clauses sociales”, explique Ambroise Mongole, président du cadre de concertation de la société civile de Mongala depuis Lisala.
“Ces employeurs-là ne respectent pas les normes de l’administration”
Mais à Boyangi, même la société civile est absente. Les employés de Congo King Baisheng Forestry Development (COKIBAFODE) se retrouvent donc seuls face à leur employeur et beaucoup refusent d’être cités ou même d’être enregistrés. Izayila Ngasi, jeune père de famille avec un nouveau-né, est l’un des rares à accepter de témoigner, même face caméra. Il dit le faire parce qu’il travaille pour cette entreprise depuis sept mois, mais compte la quitter dès que possible. Son travail ne lui permet pas de subvenir aux besoins de sa famille. "Déjà il n'existe pas de contrat de travail. Ces employeurs-là (ndlr : COKIBAFODE) ne respectent pas les normes de l’administration. Nous travaillons juste comme ça. Nous sommes engagés ou virés en fonction de leurs humeurs. Dans le village, il n’y existe pas une administration comme telle“, dit-il. “Pour qu’ils considèrent nos réclamations, nous sommes obligés de bloquer la route”.
Dans ce tête-à-tête sans État, les ouvriers congolais gagnent peu. “Au départ, ils nous donnaient 5.000 Fc par jour après huit heures de travail”, explique encore Izayila Ngasi. Après avoir revendiqué, ils ont obtenu d’être payés mensuellement. “Mais ils ne prennent jamais en compte les heures supplémentaires”. À cause du mauvais état de la route, les employés de Congo King Baisheng se retrouvent parfois bloqués par des heures ou même des jours, sans argent en poche pour pouvoir manger et sans être payés pour le temps perdu. Même pour les soins de santé. La société a un accord avec le dispensaire local, mais l’ouvrier doit lui-même acheter ses médicaments, sa nourriture, même dans le cas d’accident du travail. Pour ces jours passés à l'hôpital, il sera considéré comme absent et donc ne sera pas payé. Congo King Baisheng Forestry Development consent des prêts, mais les montants sont toujours décomptés à la fin du mois. “Et ils nous paient seulement le 5 du mois suivant. Parfois, la société retarde la paie voire au-delà du 5. Et il va falloir que les travailleurs protestent pour que la société débloque la paie”, raconte encore Izayila.
Izayila Ngasi est un employé de Congo King Baisheng depuis 7 mois déjà. Entre salaire infime et de longues heures de travail, ce jeune parent explique son expérience de pointeur dans les concessions de cette société qui exploite les bois à Mongala. ⤵️ pic.twitter.com/qRtFd6jJDw
— ACTUALITE TV (@actualitecdTV) May 15, 2023
“Ils ont la couverture des autorités”
Parmi toutes les sociétés qui exploitent le bois dans la Mongala, COKIBAFODE est celle qui fait l’objet du plus de plaintes. Le 23 décembre dernier, l’Action pour la Promotion et Protection des Peuples et Espèces Menacés (APEM), une structure réunissant des activistes engagés dans la protection de la nature en général, lui avait adressé un mémo. Elle y confirmait les dires d’IZayila Ngasi quant aux conditions de travail déplorables imposées par cette société mais l’accuse également d’exploiter abusivement la forêt notamment sans respecter l’assiette annuelle de coupe de bois autorisée, ni respecter le cahier des charges.
Le président du cadre de concertation de la société civile de Mongala milite à côté des membres de l’APEM. “Normalement l’exploitation forestière devait avoir un impact positif sur la vie de la population, ça devait être à la base du développement de notre communauté, parce que ces gens-là (COKIBAFODE) viennent exploiter la forêt qui est notre richesse”, se lamente Ambroise Mongala. “Le problème est que nous vivons le contraire, les activités de Congo King Baisheng ne profitent pas à la population locale ici à Mongala. Déjà quand ils viennent, ils ont la couverture des autorités au niveau national et provincial”.
Une longue liste d’irrégularités
En novembre 2021, une mission de l’observatoire de la gouvernance forestière regroupant des représentants du ministère de l'environnement, des représentants de la province, des exploitants et de la société civile se rend dans les territoires de Lisala et de Bongandanga pour contrôler la mise en application de la loi forestière. Sur les trois sociétés qui y exploitent des concessions, COKIBAFODE est celle qui se voit reprocher le plus d’irrégularités.
D'après le rapport issu de cette mission publié en 2022, cette société “exploite systématiquement la forêt en violation des règles et normes prescrites dans le secteur, à savoir absence de tous les documents d’exploitation, absence d’un système de traçabilité des bois abattus et la matérialisation des limites”. Elle aurait en revanche “construit les infrastructures sociales conformément à la réglementation en vigueur et en accord avec les communautés bénéficiaires”, ce qui n’est pas l’opinion des employés et des membres de la société civile interrogés par ACTUALITE.CD et ses partenaires.
Le même rapport dresse la longue liste des illégalités. Il n’y a pas de base-vie, d’équipement de protection individuelle pour les employés, ni de carnet de chantier. Beaucoup de documents manquent. L’exploitation se fait sans carte d’inventaire, plan d’aménagement, délimitations de parcelles de coupe. Même le marquage est non conforme.
Les autorités provinciales rassurent
Le vice-gouverneur de Mongala, Blaise Mongo, reconnaît que les sociétés dont COKIBAFODE ne respecte “pas souvent” les contrats et que cela crée “beaucoup de conflits”, entre les exploitants et les paysans surtout dans les villages comme Boyangi à côté desquels ils exploitent le bois. Mais il temporise : “En tant qu'autorité, nous devons prendre le temps d'étudier le cas qui oppose les deux parties. Notre rôle c'est d'agir de manière méthodique pour départager. Il ne faut pas penser que nous sommes passifs"
Cette réaction agace Roger Nzombo qui dirige l'Action des Jeunes pour le bien-être social (AJBS), une ONG de Lisala qui milite pour la protection de l'environnement et des droits de l'homme. “Ces sociétés agissent en toute impunité alors qu’il y a un coordinateur de l’environnement ici au niveau provincial (...) qui est le garant de la bonne exploitation forestière”. Roger Nzumbu appelle à plus de contrôle sur le terrain et à des sanctions contre les “mauvais exploitants”. “Mais apparemment ils sont tous faibles, facilement corruptibles”, dit-il dépité.
Les multiples tentatives pour établir un contact avec Cokibafode n’ont pas abouti. Seul un individu nommé Yannick, qui s’est présenté comme avocat de la société, a répondu sans donner plus de détails sur son identité. Il s’est refusé à répondre aux questions soulevées par le présent article.
Cet article fait partie d’une série d'enquêtes réalisée avec l’appuie de Rainforest Journalism Fund, en partenariat avec Pulitzer Center.