Des amis se sont assis avec moi autour d’une table et leurs visages ressemblaient à un exorcisme en cours. Pour eux, les Congolais continuent de repousser le déclenchement de leur développement économique et de leur transformation sociale d’une génération égoïste à l’autre et contre laquelle je ne peux rien. Et j’avais soi-disant besoin de le mettre dans ma tête.
Cela fait 3 ans malgré tous les papiers, investi dans l’équipement et embauché et formé une équipe, personnellement rencontré et plaidé auprès de deux ministres de tutelle, des conseillers spéciaux du chef de l’État, des organes de sécurité nationale et de ceux qui se disent promouvoir l’investissement et l’entrepreneuriat congolais comme l’ANAPI, ma chaîne, qui ne porterait que sur l’économie et les nouvelles technologies, est encore sur le papier, comme mes amis aiment en bien me rappeler.
David Jolino Diwampovesa Makelele a été le début du cauchemar. L’actuel ministre de la Communication et des Médias, Patrick Muyaya Katembwe, 24 heures après avoir été harcelé et blessé à son ego par ma Tribune publiée dans divers médias grand public en juillet dernier, « Entrepreneuriat : mon calvaire en RDC », a accordé un moratoire de 21 jours aux tricheurs qui étaient à Kinshasa, plus de 80% des chaînes de télévision sans aucune autorisation mais opérant et diffusant par RENATELSAT sans encombre, pour se régulariser. Eh bien, cela fait déjà plus de 90 jours et rien n’a été fait, ce qui vous amène à vous demander si l’appel de Félix à revenir et à investir dans notre pays n’était qu’une farce.
Il est également surprenant de constater à quel point Patrick Muyaya est issu du secteur même dont il est le ministre de tutelle et d’un parti qui a une référence historique, je dirais peine, plutôt que de dire ne rien faire, à moderniser l’essence des médias en RDC ?
Pour le décollage économique d’une nation, il ne fait aucun doute que l’écosystème compte. Mais lorsqu’il s’agit d’en créer un meilleur, il est essentiel de connaître la motivation et la capacité de ceux qui seront appelés à le mettre en œuvre. Le système de sélection ou de trille importe encore plus.
Un pas en avant, deux pas en arrière
Chaque fois que les Congolais adoptent un dispositif dans lequel les citoyens participent à l’élaboration des politiques qui affectent leur vie, il y a toujours une dynamique puissante qui le submerge et le dilue. La croyance collective est dans l’idée que le pouvoir absolu sur un État doit être concentré entre les mains d’une seule personne facilite ces coups.
Au terme des multiples mandats séquentiels de Joseph Kabila, non seulement les élections les plus critiques n’ont pas eu lieu, aux niveaux urbain, municipal et local, mais la démocratie a été tellement déformée qu’elle est devenue autre chose et exclusive.
A la lecture de la loi électorale promulguée le 29 juin 2022 et des signaux de son équipe et de l’UDPS à ma requête introduite à la cour constitutionnelle, Félix, à son tour, semble vouloir faire l’autruche ou dégraisser davantage l’inclusivité du marché des idées dans le RDC.
Patriarcat politique
Les questions de genre ont commencé à être utilisées comme instrument généralisé de démagogie et de propagande populistes. Il y a beaucoup d’hommes congolais bien intentionnés et décents qui comprennent le potentiel et les contributions des femmes et luttent contre les préjugés. Mais malheureusement, surtout en politique, il y a encore un grand nombre des hommes et des femmes qui ne déchiffrent pas encore cette valeur à sa juste place.
L’incitatif accordé aux partis et plateformes politiques dans la recevabilité des candidatures en faisant leur liste 50% de femmes est franchement une insulte à nos grands-mères, mères, épouses et filles.
D’une part, aux élections législatives nationales, pour éviter de payer près de 250 000 $, un parti politique pourrait simplement demander à chaque candidat masculin d’inscrire le nom de sa femme ou de sa petite amie sur la liste ou simplement recruter des femmes et des filles sans aspirations jusqu’à atteindre 50% de 60% des sièges en compétition.
D’autre part, la générosité de la loi électorale sur les partis et plateformes politiques revient à dire que les femmes, quels que soient leur âge ou leurs compétences, n’ont pas la maturité pour diriger si elles n’ont pas été choisies et avalisées par les hommes pour participer activement en tant que représentantes ou délégués dans une démocratie.
Si la motivation était sincère pour ouvrir les voix aux contributions des femmes sur le marché des idées, les candidates ne devraient rien avoir à payer, que ce soit dans un groupe ou en tant qu’indépendantes.
Mais encore, remplacer la notion de caution à payer par les signatures, les pétitions, règle le problème pour tous et une fois pour toute.
Pilule dure à avaler
On pourrait supposer que toute la société civile se rallierait à la noble cause d’avoir un impact significatif sur la société, en particulier sur les personnes politiquement sans voix et économiquement sans pouvoir. Encore une fois, j’ai eu un réveil brutal que ce n’est pas le cas en RDC.
Les groupes de pression tels que les partis politiques « d’opposition », les mouvements citoyens, les confessions religieuses et les individus qui se cognaient hier pour la sélection des nouveaux membres de la Ceni et s’opposaient à la nomination de Denis Kadima à la tête, l’arbitre des élections en RDC, s’en foutent aujourd’hui l’iniquité des règles du jeu.
Les confessions religieuses donnent des indications bien plus soucieuses que l’accréditation de leurs listes d’observateurs par la Ceni et le budget qui en découle. D’autres déclarent en privé que ma démarche est noble, mais se plaignent de ne pas avoir été appelés à s’ériger en leader, et n’ont donc aucun soutien officiel.
Qu’en est-il des médias grand public ? le 4ème pouvoir est réduit à un accompagnement de pouvoir et censure tout ce qui semble allergique au pouvoir en place. Même la radio okapi ?!
Heureusement, pour user du droit de contester une loi, il suffit d’être citoyen congolais, et c’est à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur leur conformité à la Constitution et non sur les mesquines motivations de ces acteurs qui n’hésitent pas à monnayer la confiance des Congolais en eux.
Antibiotique
En 2006, les premières élections générales multipartites depuis plus de 40 auraient dû signifier la fin d’un système de partage du pouvoir entre un ancien gouvernement, les groupes rebelles, les partis d’opposition et la société civile. 12 ans plus tard, en 2018, pour la plupart, les joueurs sont toujours les mêmes, des conservateurs ayant la même motivation et utilisant la même rhétorique tribale pour fortifier les tranchées politiques. La seule chose qui a changé, ce sont les règles du jeu pour préserver le statu.
Face à ce qui s’apprête à arriver aux élections de 2023 qui conduira à un autre renoncement aux transformations économiques et sociales positives individuelles et nationales, il y a de quoi vivement refuser de céder à l’inertie institutionnelle.
L’article 11 de la constitution dispose : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits toutefois la jouissance des droits politiques est reconnue aux seuls congolais, sauf exceptions établies par la loi »
L’article 13 de la constitution dispose : « Aucun congolais ne peut, en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance, à une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique ».
Il est important de faire respecter le droit de tout citoyen congolais âgé de 18 ans et plus de voter et d’être élu, quoi que veuille l’élite pour en faire le privilège d’un petit groupe.
La requête en inconstitutionnalité sous R. Const. 1826 introduite contre les articles 22, 104, 118 et 121 de la loi dite électorale consiste essentiellement à donner la voie au changement qui sont les protagonistes, un courant idéologique différent tel que les purs libéraux à la place de l’opposition, et le pourquoi, l’amélioration de la norme citoyenne à la place de la conquête du pouvoir pour le pouvoir.
Triste de dire que tous ceux que je rencontre et entends parler de l’idée sont surpris d’apprendre qu’un citoyen ordinaire peut contester devant la Cour constitutionnelle une loi votée par 500 députés et promulguée par le chef de l’État. Ainsi, ma démarche est devenue avant tout pédagogique pour la nation.
Le grand différend idéologique entre les conservateurs et les libéraux congolais que la Cour constitutionnelle est appelée à trancher est de savoir s’il est légal de discriminer une personne pauvre dans des postes politiques et autres. Les citoyens pauvres n’ont-ils pas droit à ces postes ? La démocratie est-elle inclusive ou exclusive quant à savoir qui peut être candidat ?
Les ramifications du prononcé de la Cour constitutionnelle portent sur « qu’est-ce qu’être Congolais », « que vaut un Congolais », « quel est le fondement de notre pacte national », et « quel est le rôle de l’État ». En d’autres termes, il s’agit de sécurité économique, de justice sociale et de paix dans tout le sous-continent qu’est la RDC.
Encore une fois, je dirais que le concept d’un nombre de signatures ou de pétitions nécessaires à un candidat au lieu de payer un montant de caution à la CENI qui est déjà financé par le gouvernement et le donateur pour organiser l’élection est l’antibiotique qui guérira notre démocratie de tous ses maux et maladies et en faire ce qu’il est sous sa forme organique, un marché d’idées et un choc d’idéologies pour l’amélioration de la vie des citoyens.
Jo M. Sekimonyo
Auteur, théoricien, militant des droits de l’homme et économiste politique