Gouvernance et responsabilité en Afrique : progrès accomplis et défis à venir (Par la Directrice adjointe du FMI)

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PAR Deskeco - 21 juin 2022 08:38, Dans Analyses

Au nom du FMI et de son Institut de formation pour l’Afrique, je vous souhaite la bienvenue à cette conférence, organisée avec le concours de la Commission de l’Union africaine.

Je souhaiterais tout d’abord saluer M le gouverneur Moses Pelaleo et les autorités botswanaises, qui ont bien voulu accueillir cet événement, et les remercier pour leur hospitalité.

Il est tout à fait opportun que nous nous retrouvions au Botswana pour tenir cette conférence. Le Botswana a un parcours exemplaire : votre pays, autrefois l’un des plus pauvres du monde, se classe désormais parmi les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, grâce à la prudence de votre politique macroéconomique, à la rigueur de votre gestion des affaires publiques et à la qualité de vos institutions. Je suis persuadée que le Botswana saura s’appuyer sur ces bases solides pour continuer à faire figure d’exemple en matière de gestion des affaires publiques.

Je tiens également à féliciter la Commission de l’Union africaine pour son rôle de premier plan dans la promotion de la bonne gouvernance et de la transparence de l’action publique, comme l’a souligné Mme Monique Nsanzabaganwa dans son allocution.

Elle nous a judicieusement rappelé qu’il nous fallait collectivement redoubler d’efforts pour renforcer la transparence, améliorer la gestion des affaires publiques et réduire les facteurs de vulnérabilité vis-à-vis de la corruption. La corruption dépasse la seule question du gaspillage des deniers publics : elle érode le contrat social et la capacité des pouvoirs publics à faire augmenter l’activité économique au bénéfice de tous les citoyens.

Ce problème n’est certes pas nouveau. Mais à l’heure où nous traversons plusieurs crises concomitantes (la pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine et les difficultés persistantes liées au changement climatique et à l’insécurité au Sahel), la bonne gestion des affaires publiques revêt une urgence inédite.  

Ces crises multiples ont prouvé sans ambiguïté que les pays dotés d’institutions économiques solides étaient mieux à même de surmonter ces difficultés et de jeter les bases d’une reprise vigoureuse, quels que soient leurs niveaux de développement respectifs. Par ailleurs, nous sommes conscients que la lutte contre la corruption est un enjeu international, étant donné le rôle de certaines professions qui la facilite et le rôle des territoires qui en abritent les produits.

Tout cela m’amène à aborder trois sujets avec vous aujourd’hui. Tout d’abord, j’évoquerai la manière dont le FMI s’implique de plus en plus dans la région sur les questions de gouvernance et de lutte contre la corruption. Ensuite, je mentionnerai quelques exemples de réussites dans différents pays africains. Enfin, je me pencherai sur les principaux aspects de la bonne gouvernance et de la transparence dont témoignent ces exemples, et qui doivent retenir l’attention de toute l’Afrique pour que le continent puisse véritablement tirer parti de ses atouts.

Je vais commencer par évoquer l’importance croissante que le FMI attache à cette question.

Le cadre pour un renforcement de l’action du FMI sur les questions de gouvernance et de corruption, approuvé en 2018, s’appuie sur les enseignements que nous avons tirés depuis plus de 20 ans. Nous nous attachons avant tout à réduire les sources de vulnérabilité vis-à-vis de la corruption en renforçant la gestion des affaires publiques dans six domaines fondamentaux : banques centrales, secteur financier, finances publiques, réglementation des marchés, État de droit et lutte contre le blanchiment de capitaux.

Au moment de dialoguer avec nos pays membres, nous examinons la solidité de leurs dispositifs de lutte contre la corruption, en cherchant notamment à déterminer si ces derniers sont adaptés à leurs situations respectives, et nous envisageons avec eux des mesures de nature à améliorer leur gestion des affaires publiques et le fonctionnement de leurs dispositifs anticorruption. Cependant, nous ne nous contentons pas de conseiller les pays. À la demande des autorités, nous fournissons également une assistance technique et des formations à l’intention des décideurs. 

Pour coordonner au mieux son action dans ce domaine, le FMI peut compter sur un réseau mondial de 17 centres de développement des capacités. Six de ces centres (dont l’Institut de formation pour l’Afrique) se trouvent justement en Afrique : en coopérant étroitement avec les pays et les partenaires pour le développement, ils contribuent à l’élaboration et à la mise en œuvre de stratégies complètes de réforme de l’action publique, de la gestion budgétaire au fonctionnement des banques centrales, et appuient des programmes de renforcement des capacités dans les domaines de l’État de droit et de la lutte contre la corruption.

Le FMI a également adapté et accru ce type d’activités en riposte à la crise de la COVID-19. Dès le début de la pandémie, le FMI a immédiatement réagi pour aider ses pays membres à sauver des vies et à garantir les moyens d’existence de leurs populations. Notre message était le suivant : « Dépensez autant qu’il le faudra, mais gardez bien les reçus » ; autrement dit, accordez la priorité aux dépenses urgentes tout en faisant preuve de responsabilité et de transparence.

Nous avons fixé quelques règles de base :

Premièrement, les pays bénéficiant d’un financement d’urgence de la part du FMI ont dû donner des garanties en matière de responsabilité et de transparence financières. À ce titre, ils ont été priés de rendre publics les contrats de passation des marchés publics attribués dans le contexte de la lutte contre la COVID-19 (et notamment l’identité des bénéficiaires effectifs des entreprises retenues), de procéder à des audits et d’en publier les conclusions, et de communiquer des informations détaillées sur les dépenses en lien avec la COVID-19.

Deuxièmement, lorsque la gestion des affaires publiques présentait de graves insuffisances, nous avons coopéré avec les autorités pour trouver des solutions.

Troisièmement, nous continuons de collaborer étroitement avec les pays qui reçoivent une assistance d’urgence et qui bénéficient ou ont demandé à bénéficier de programmes de financements pluriannuels appuyés par le FMI, afin de les aider à traiter des difficultés structurelles de long terme en matière de gouvernance et de corruption. Nous travaillons également avec des acteurs non étatiques, qui sont souvent à même d’apporter un éclairage précieux sur les enjeux liés à la gestion des affaires publiques.

Tous ces efforts sont primordiaux pour l’Afrique, d’autant plus que le continent est tourné vers l’avenir.

 Sur le plan économique, nous savons que le dividende démographique de l’Afrique constitue un atout considérable. Pour générer ce dividende, cependant, nous devons répondre aux aspirations des nouvelles générations. Pour y parvenir, il est essentiel que les ressources publiques soient utilisées de manière efficace afin que les populations connaissent une prospérité équitable et durable.

Les dirigeants africains s’efforcent à relever ce défi. En matière de gestion des affaires publiques, certains parviennent même à de meilleurs résultats que nombre de leurs homologues de pays développés.

Nous en avons été les témoins au Rwanda, lorsque le pays a modernisé ses institutions pour se reconstruire après un conflit dévastateur.

Nous l’avons constaté aux Seychelles, lorsque les dirigeants ont lancé un programme complet de réformes économiques et institutionnelles pour s’attaquer fermement à la crise de la dette de 2008.

Nous l’avons vu, ici, au Botswana, avec l’établissement d’un cadre politique adéquat pour gérer avec prudence les ressources minières nationales. 

Aujourd’hui, ces pays montrent la voie dans la région en matière de bonne gouvernance, mais beaucoup d’autres prennent également des mesures essentielles.

Nous avons observé la mise en œuvre de réformes pertinentes de la gouvernance budgétaire dans des pays comme la Gambie et le Sénégal.

Des cadres de lutte contre le blanchiment de capitaux ont été adoptés au Botswana, à Maurice, au Zimbabwe et au Ghana.

Quels enseignements la région peut-elle tirer de ces exemples ? 

Premièrement, dans les pays qui enregistrent les meilleurs résultats dans ce domaine, il existe une forte volonté politique d’améliorer la bonne gouvernance et la transparence. Cela transparaît à plusieurs niveaux : dans leur manière de formuler et de présenter leurs budgets, en permettant aux citoyens d’accéder librement aux mesures proposées ; dans l’indépendance de leurs banques centrales vis-à-vis des pressions politiques ; dans leur engagement à déclarer le patrimoine des principaux responsables des autorités publiques ; dans leur volonté de publier les résultats des audits en temps opportun et à agir en fonction des conclusions de ces audits pour veiller au respect des obligations des organisations et des individus.

Deuxièmement, ces pays respectent l’État de droit et le droit de propriété. Lorsque des investisseurs étrangers investissent dans un pays, ils le font car ils s’attendent à ce que les autorités fassent respecter les accords conclus et le droit de propriété.

Troisièmement, l’efficacité, la transparence et le contrôle de ces investissements constituent une priorité pour ces pays, et c’est une garantie déterminante que bon nombre d’entre eux apportent. Dans un livre que le FMI a récemment publié sur la bonne gouvernance en Afrique subsaharienne, mes collègues citent des études qui montrent que le coût des projets a tendance à être plus élevé lorsque les autorités ne contrôlent pas suffisamment le processus de passation des marchés publics. Nous constatons que l’Afrique a besoin d’investissements publics considérables dans les infrastructures, la santé et l’éducation, et que cela doit se faire de manière plus efficace et transparente.

Quatrièmement, l’accès aux informations. Lorsque nous dialoguons avec les organisations de la société civile, c’est l’un des points sur lesquels elles insistent, car elles souhaitent que les citoyens puissent être informés et demander des comptes à leurs dirigeants.

Et enfin, cinquièmement, l’innovation et la technologie, qui, selon nous, peuvent grandement aider les autorités à obtenir des résultats dans leurs chantiers prioritaires. En fait, sur tout le continent, nous avons pu voir des pays s’adapter rapidement à la pandémie grâce à des innovations qui ont aidé les autorités à servir leur population de manière plus transparente et efficace.

Par exemple, la Sierra Leone a lancé des applications en ligne pour améliorer la capacité des pouvoirs publics à assurer le suivi des mises en quarantaine et d’autres services, comme la livraison de nourriture. Le Togo s’est appuyé sur des outils technologiques pour identifier les personnes dans le besoin et attester de leur situation, ainsi que sur les services d’argent mobile pour procéder à des transferts monétaires directs. Enfin, l’Afrique du Sud a utilisé des logiciels robotisés conversationnels pour réduire la propagation de fausses informations sur la COVID‑19.

Ce ne sont là que quelques exemples qui nous montrent pourquoi il est essentiel que les dirigeants fassent davantage appel aux technologies pour améliorer l’efficacité des procédures administratives et renforcer la transparence. L’utilisation des nouvelles technologies dans des domaines tels que la gestion financière, la passation des marchés publics ou le suivi de la gestion des ressources naturelles peut révolutionner le fonctionnement des administrations publiques. Cette évolution peut également transformer les relations entre les pouvoirs publics, le secteur privé et la société civile, en supprimant les interactions inutiles et en permettant une surveillance et un suivi plus dynamiques et inclusifs.

Permettez-moi de conclure en affirmant que non seulement il est possible d’améliorer la gestion des affaires publiques et la responsabilité des pays en Afrique, mais que des progrès ont d’ores et déjà été accomplis, comme vous avez pu le constater à travers les nombreux exemples que je vous ai donnés. Bien sûr, nous avons encore du chemin à parcourir. Il s’agit d’un vaste processus qui nécessite une forte volonté politique et des efforts constants sur le long terme.

Tandis que chacun de nos pays membres avance sur ce chemin, je tiens à souligner que le FMI est profondément déterminé à tenir son rôle de partenaire de confiance dans cet effort. Cette conférence marque une étape importante vers la résolution de ce qui constitue peut-être l’un des problèmes les plus graves de notre époque.

J’ai hâte d’entendre les réflexions et les idées dont vous ferez part au cours de cette conférence, et vous remercie de votre attention.

 Allocution d’Antoinette M. Sayeh, directrice générale adjointe du FMI

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