Albert Tcheta-Bampa : « Face au coronavirus, la RDC est mal armée à cause de l’absence des minima sociaux » (Interview)

Prof Albert
PAR Deskeco - 07 avr 2020 12:21, Dans Analyses

Dans cette interview exclusive accordée à DESKECO.COM, le professeur Albert Tcheta-Bampa jette son regard critique sur les mesures économiques arrêtées par le gouvernement Congolais face à la pandémie du covid-19 tout en proposant ce que devraient être, selon lui, les priorités. Chercheur au Centre d’Economie de l’Université de la Sorbonne, ce Congolais prêche pour des politiques de croissance en lieu et place des politiques d'austérieté comme c'est le cas actuellement avec le Programme de référence conclu avec le FMI. Scrutant sur l’après covid-19, Albert Tcheta-Bampa pense que cette crise sanitaire va engendrer des changements structurels profonds mais sans mettre fin à la mondialisation.

Propos recueillis par Stanis Bujakera Tshiamala

Quel regard global portez-vous sur les mesures de soutien à l’économie nationale prises par le gouvernement? 

Au fait, ces mesures constituent une politique budgétaire expansionniste ou  politique de relance budgétaire parce qu’elles recourent à l’augmentation des dépenses publiques et à la baisse des impôts pour accélérer le taux de croissance du PIB réel. Elles auront un effet global positif du fait que les dépenses publiques et les transferts ciblés sur des ménages, des entreprises se réalisent au moment où l’économie Congolaise se situe en bas de cycle. Ainsi, au vu de la littérature économique existante, un choc sur la dépense publique ou les transferts ciblés sur des agents spécifiques aurait un impact plus important sur l’activité s’il se réalise en basse conjoncture (comme cela est le cas aujourd’hui) plutôt qu’en haut de cycle économique.

Mais, la taille des multiplicateurs (ou les effets multiplicateurs) ne pourrait pas peut-être être grande, du fait que ces mesures budgétaires (impôt sur le revenu,  taxes, etc.) ne sont que des composantes contracycliques discrétionnaires. Elles  ont été adoptées par les décideurs délibérément en réponse aux fluctuations économiques d’aujourd’hui. Elles sont donc temporaires pour atténuer les difficultés économiques consécutives au coronavirus et stimuler la croissance du PIB. 

Il manque donc des minima sociaux, c’est-à-dire des stabilisateurs automatiques qui sont des mécanismes budgétaires qui agissent automatiquement pour aplanir les fluctuations économiques. Dans la plupart de cas, il s’agit par exemple de l’assurance emploi, des allocations ou indemnités chômage, certaines prestations sociales (aide personnalisée au logement, couverture maladie universelle, de la formation professionnelle…) lorsqu’on est au chômage. Ces composantes contracycliques automatiques ne nécessitent aucune action délibérée de la part du gouvernement.

Les dépenses publiques (indemnités chômage, certaines prestations sociales, etc.) tendent à augmenter spontanément, alors que les recettes perçues par l’État diminuent. Cette situation entraîne une dégradation du solde budgétaire. Mais ce transfert de revenus de l’État qui s’opère au profit des ménages et des entreprises permet de compenser mécaniquement les effets négatifs du ralentissement économique comme la baisse des dépenses des agents économiques. Ces derniers perçoivent en effet des revenus supplémentaires dont une partie viendra alimenter la consommation et l’investissement et stimulera la création d’emplois. 

Les recettes et les dépenses jouent ainsi le rôle de stabilisateurs automatiques du  cycle économique. Face au coronavirus, la RDC, un pays a minima est donc mal armé car l’absence des minima sociaux est y très criante. Le président de la République a bien avant le Covid-19, lancé un plan censé permettre d’instaurer une couverture sanitaire universelle, mais, le compte n’y est pas encore. Coupes dans le budget des dépenses publiques productives, salaires des professeurs et médecins non payés, méfiance instillée vis-à-vis de l'Etat, absence quasi-totale de couverture maladie universelle et de congés maladie. Tous ces éléments, très largement aggravés par le programme de FMI concourent, à affaiblir considérablement la RDC dans la lutte contre la propagation du virus sur leur territoire.

Selon vous, quels devraient être les priorités du gouvernement sur le plan économique actuellement ? 

La RDC doit encore agir plus fort qu’avant sans tarder sur le plan budgétaire pour protéger la population et les entreprises. La première des priorités est d’accentuer la politique budgétaire expansionniste, c’est-à-dire de créer les conditions pour que la demande et l’offre repartent. 

Il y a plusieurs moyens de le faire. L’Etat doit s’engager de manière crédible à maintenir un certain nombre de prestations sociales tout au long du cycle économique : ce sont les « stabilisateurs automatiques » que j’ai déjà évoqué. Les pays où les stabilisateurs automatiques jouent un rôle important sont aussi où la taille de l’Etat, c’est-à-dire le volume dépenses publiques par habitant, est élevé.

Ce sont ces pays qui ont aujourd’hui des faibles taux létales depuis le début de l’épidémie de coronavirus. Dans la plupart des cas, il s’agit principalement les pays de l’Europe du nord (Norvège, Danemark, Finlande et Suède) ou encore Allemagne et Belgique. Autrement dit, l’Etat a minima est un Etat sans stabilisateurs automatiques comme la RDC, qui n’est pas à mesure d’assurer contre les risques macroéconomiques. Si le gouvernement provincial de Kinshasa t le gouvernement central peinent à mettre en place des mesures de lutte contre la propagation de coronavirus, c’est en grande partie à cause de manque des minimas sociaux. Les deux composantes (composantes automatiques et composantes discrétionnaires) doivent agir simultanément pour que l’augmentation des dépenses publiques et la diminution des impôts puissent jouer un rôle utile durant la période de bas de cycle. 

Le gouvernement doit par ailleurs mettre en œuvre une politique monétaire contracyclique (i.e. une politique monétaire expansionniste). La Banque centrale du Congo (BCC) a récemment baissé son taux d’intérêt à 7,5%, mais, c’est encore insignifiant en raison de nombreuses difficultés qui empêchent la transmission rapide des effets de politique monétaire à la sphère réelle. Pour moi, un taux de 3% peut aider les ménages et les entreprises à emprunter sur le marché du crédit, mais le taux augmenteront lorsque l’économie redémarre. 

Au total, c’est la combinaison de la politique budgétaire expansionniste-politique monétaire expansionniste qui pourrait atténuer le choc économique causé par la pandémie de Covid-19.

La deuxième des priorités est de mettre en place des politiques budgétaire qui ciblent directement le marché du travail. Il y a deux moyens de le faire. Premièrement, dans le contexte actuel de contraction inédite de la production marchande du fait des restrictions multiples, de nombreux travailleurs ont perdu leur emploi et se retrouvent au chômage, le gouvernement doit adopter des politiques visant à atténuer les effets néfastes de cette situation. Par exemple, en généralisant le système d’assurance chômage, le gouvernement pourrait prolonger la période d’admissibilité au programme d’assurance emploi.

L’allongement de la période d’admissibilité soutient les dépenses des ménages et limite ainsi les effets multiplicateurs d’une baisse d’emploi ; elle accroît la consommation des ménages. Il s’agirait aujourd’hui d’une bonne mesure, surtout en raison des difficultés sociales qu’elles devraient soulager un grand nombre de travailleurs et leurs familles qui font face aux problèmes financiers du chômage lié aux effets du coronavirus. Un autre type de politique budgétaire réduisant le

chômage durant les récessions consiste à subventionner les salaires, ce qui favorise la création d’emplois. Des telles subventions sont justifiées dans le cas de la RDC parce le taux de chômage reste très élevé depuis plusieurs décennies. Les subventions salariales sont aussi adéquistes en RDC parce que les mesures de politique budgétaire et de politique monétaire traductionnelles y sont inefficaces dans la lutte contre le chômage. 

La troisième priorité est de tailler le budget de l’Etat. L’Etat peut réduire ses dépenses publiques et revoir sa politique économique face à l’effondrement des cours du cuivre, principale ressource du pays. Ce qui reviendrait à réviser à la baisse par exemple, de 20 % le budget de fonctionnement de l’État, sans toucher  aux salaires des fonctionnaires et aux investissements en infrastructures productives (routes, énergie). Deux ministères du capital humain (Éducation et la Santé) doivent être aussi épargnés par la rationalisation des dépenses.

La quatrième priorité (conséquence de la troisième) est les dépenses santé. Alors que l’épidémie de coronavirus touche désormais plus de 100 personnes en RDC (et le taux létale est parmi les taux les plus élevés du monde, 10 %), l’Etat a fourni que peu de moyens pour lutter contre le coronavirus. L’épidémie de coronavirus rappelle combien il est nécessaire de renforcer les systèmes de santé. 

Le montant alloué à lutter contre la pandémie est très insignifiant au regard de nombre d’habitant du pays. On sait également que la RDC, dont le système de santé est déficient, est le pays souvent le plus touché par des épidémies qui touchent de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables, moins préparées à limiter la propagation des agents pathogènes.

Je suggère le gouvernement à agir massivement dès maintenant avec des investissements d’urgence dans les capacités sanitaires. Le gouvernement doit affecter au moins 1 milliard de dollar pour renforcer le système sanitaire du pays, notamment par l’amélioration de l’accès aux services de santé dans le but de protéger les populations de l’épidémie, le renforcement de la surveillance de la maladie, l’intensification des interventions de santé publique et la collaboration avec le secteur privé afin de minimiser les répercussions de l’épidémie sur les économies.

Quel avenir, selon vous, du préprogramme et du programme futur entre le gouvernement et le FMI ?

Il n'y a pas vraiment de réponse précise à cette question. Tout dépend de l’impact terrible que pourra avoir la crise du Covid-19 en RDC et de l'objectif du gouvernement. Si le gouvernement veut réduire le déficit élevé que la crise va entraîner et la dette de façon drastique au cours des prochaines années, et ramener le déficit au niveau d’avant la crise (Le Solde budgétaire global, dons compris, en pourcentage du PIB, était de 0,4 et de – 0,1 en 2019 (voir FMI,2019)), voir à zéro, l’accord conclu entre la RDC et le FMI sera exécuté avec ses mesures d'austérité, cela demandera un effort considérable à l'ensemble des Congolais, comme c’est le cas de septembre 2019 jusqu’à la mise en place des récentes mesures gouvernementales de soutien à l’économie nationale. 

Si l'objectif se veut moins ambitieux en termes de réduction du déficit et de la dette liés à la pandémie du coronavirus, alors on peut assez facilement, en limitant le gaspillage (dépenses de fonctionnement) et en permettant à la croissance de retrouver un niveau proche de son potentiel, baisser les déficits et la dette sans pour autant que cela soit trop douloureux pour les Congolais. 

Dans le premier cas de figure, cela passera sans doute par une phase de croissance plus faible, comme c’était le cas depuis la fin de récession de 2015-2016, donc par une hausse du chômage, et ce seront donc bien ces chômeurs qui seront les principaux perdants de cette politique. Il est curieux de voir que depuis les années 60 les dirigeants congolais ne se fixent pas comme objectif principal la résorption du chômage, alors que le pays est parmi les pays qui ont des taux de chômage les plus d’Afrique. C'est donc sans doute se tromper d'objectif principal que de vouloir régler avant toute chose notre problème de déficit et de dette.

Pour ma part, je prêche pour des politiques de croissance et non des politiques d'austérité, comme c'est le cas aujourd'hui. En effet, aucune économie n'est jamais revenue à la prospérité avec des mesures d'austérité. Les programmes du FMI nous a fait déjà perdre plusieurs points de croissance depuis que la RDC a rejoint le Fonds le 28 septembre 1963. Le FMI n'a d'ailleurs pas encore intégré cela. Il faut absolument abandonner le programme de référence approuvé en décembre 2019 afin d’éviter de sombrer et de détruire les rares industries qui nous restent, car la reconstruire coûte très cher.

Que faut-il faire pour atténuer la surchauffe des prix remarqués à Kinshasa et dans les grands centres urbains?

Effectivement, il paraît difficile de résorber complètement la hausse des prix des aliments, de certains autres biens… et donc une grande partie de la dépréciation du franc sans toucher à notre modèle de production. Nous n’y arrivions pas, sans mettre en place une stratégie de diversification de notre économie pour éviter de ne pas dépendre que d’un secteur d’activité. C'est alors un choix de société qu'il nous est demandé de faire, et le fait de vouloir réduire les prix uniquement par des contrôles et autres mesures autoritaires ne serait pas suffisant à résorber ce problème de prix des biens et de dépréciation de taux de change. 

La première des priorités est de créer les conditions pour que l’exportation augmente. Il y a plusieurs moyens de le faire. Je prône pour ma part de le faire en investissant dans l'éducation, dans les technologies, dans l'innovation(adaptation et imitation des technologies créées dans les pays plus avancés) et dans les infrastructures, ce qui est ardu à enclencher rapidement. 

Nous devrons également bien comprendre pourquoi jusqu'ici notre économie n'a pas fonctionné et penser à comment nous pouvons faire pour changer les choses. Nous avons créé ce terrible déficit de balance des paiements internationaux nous-mêmes, ce n'était pas un accident et la menace demeure. Les maux de notre économie n'ont pas été résolus pour une raison simple : essentiellement, tous les présidents (depuis Mobutu jusqu’à présent), ont mis à des postes clés des personnes, pas sur la base de leurs compétences mais, en recourant à des allégeances ethniques, géographiques et copinages. Les problèmes n'ont pas été diagnostiqués, ce qui a entraîné le problème dans la structure des prises de décisions, en en particulier les choix erronés des politiques économiques.

En effet, au début des années 2000, le régime Kabila a précipitamment ouvert l’économie du pays, en procédant simultanément à libération du commerce et à la suppression des barrières à l’échange, sans intégrer l’hétérogénéité entre la RDC et les autres pays : niveau de l’éducation, distance de l’économie nationale à la frontière technologique… Ceci a accentué une concurrence accrue pour les producteurs nationaux, qui généralement n’ont pas des mains d’œuvre qualifiée.

Ces entreprises n’ont pu s’adapter et survivre, et ont été de fait, dominées par les entreprises étrangères qui connaissent mieux les besoins des consommateurs congolais… La plupart de ces entreprises viennent des pays qui, depuis 20 années de rattrapage, ce sont rapprochés de la frontière technologique. C’est l’une des raisons que ces entreprises étrangères envahissent le marché congolais avec les produits plus compétitifs que ceux des producteurs nationaux. 

Dans les pays où proviennent ces marchandises proviennent « la croissance peut être mieux stimulée par une stratégie reposant sur l’innovation et qui s’en remettrait à la concurrence sur le marché pour favoriser les gestionnaires les plus innovateurs ». Cependant, en RDC plusieurs secteurs sont encore « très en deçà de la technologie de pointe, l’imitation des technologies d’avant-garde maximisera le taux moyen d’amélioration de la productivité, bien qu’une telle imitation puisse être empêchée par des contraintes sur le crédit et l’indisponibilité des fonds ; mais en enlevant ces contraintes, une stratégie basée sur l’investissement qui s’appuierait sur du financement à long terme et sur une protection douanière ou des subventions pourrait alors rehausser la croissance, car l’imitation favorise les relations contractuelles à long terme et l’acquisition de l’expérience ».

Le problème des prix (ou de balance des paiements) proviendrait du fait que nos décideurs n’ont pas bien compris que la RDC est une économie d’imitation ou rattrapage et que les politiques qui favorisent l’innovation ne sont pas les mêmes que celles qui favorisent l’imitation. S’il permet une allocation des ressources plus efficaces et des gains potentiels pour l’ensemble de la société, le commerce international ne fait pas que les gagnants ; en toutes circonstances, il fait aussi les perdants. La résorption de problème de prix des biens et de dépréciation de taux de change pourrait se faire par la manière dont le commerce peut améliorer la croissance de notre pays. Il faut mettre en œuvre donc, des réformes économiques séquentielles d’ouverture économique et des barrières à l’échange. 

La recherche d’une meilleure croissance passe certes, par la libération du commerce et la suppression des barrières au progrès technique (à l’innovation). Mais, si ces réformes sont entreprises simultanément, comme le cas en RDC, alors les bénéfices sur la croissance ne sont pas pleinement réalisés. Au lieu de cela, il serait plus adapté de tout d’abord supprimer les barrières au progrès technologique puis d’attendre jusqu’à ce que plusieurs industries domestiques  soient devenues (leaders) capables de concurrencer les autres industries étrangères, avant de supprimer les barrières à l’échange. 

Voilà, il s’agit d’un processus de moyen et long terme. Lorsque nos gouvernants ne raisonneront plus à court terme mais à long terme, nous serons alors plus à même de nous appuyer sur nos capacités l'innovation et les nouvelles technologies pour amener une croissance durable. Conjointement, à ces réformes séquentielles d’ouverture économique et des barrières à l’échange, je suggère également de revenir sur l’esprit de la réforme des droits de douane mise en place dans les années 2000.

Pour ma part, la RDC doit arrêter d’utiliser les tarifs douaniers pour augmenter ses revenus, mais, les utiliser pour protéger les producteurs nationaux. Cette pratique est justifiée parce que le pays ne dispose pas de système fiscal adéquat et qu’il lui est plus facile de taxer excessivement les importations qui arrivent par quelques ports urbains qu’une activité économique intérieure très dispersée géographiquement.

Ceci est une fuite en avant. Je suggère que le gouvernement impose des tarifs douaniers exorbitants qui découragent la concurrence étrangère et qui augmentent ainsi les bénéfices des industries nationales. Au fait les tarifs douaniers de certains produits tels que riz et farine de bleu en provenance de l’Asie, farine de maïs de Zambie, bananes d’Angola ou encore viande bovine et haricot de Rwanda, doivent être si exorbitants qu’ils bloquent complètement les importations. Nous avons des producteurs nationaux tels Strategos Plantations compagny (avec une capacité de production 30.000 tonnes et 6.000 tonnes de farine de maïs par an), Obstiné (production viande de bovine, farine de maïs et de manioc) et beaucoup d’autres, qui peuvent fournir toute l’étendue du pays.

Ces produits ne sont des produits intensifs en technologie et ne permettront pas le rattrapage de la RDC. En même temps, l’Etat devrait aider le secteur agroalimentaire par exemple en accordant le crédit impôt compétitivité pour intensifier la R&D domestique. Ma suggestion ne tombe pas du ciel, mais elle est fruit des observations de nos partenaires économiques. Les pays développés et certains pays qui échangent souvent avec la RDC (par exemple la Chine), eux, recourent également aux tarifs douaniers non pas pour obtenir des recettes fiscales, mais pour protéger les producteurs nationaux. Dans ces pays, de puissants producteurs font pression sur leurs gouvernements pour que ceux-ci imposent des tarifs douaniers qui découragent la concurrence étrangère et qui augmentent ainsi les bénéfices des industries nationales.

Les tarifs à l’importation ne sont pas la seule mesure qu’un le gouvernement peut prendre pour protéger les producteurs locaux de la concurrence internationales, surtout dans le domaine alimentaire. S’il est normal que les pays prennent des dispositions pour assurer l’innocuité des aliments importés, certaines décisions dites sanitaires sont des mesures protectionnistes déguisées. 

Par exemple, la manière dont les Etats-Unis et la France ont formulé leurs lois sur les étiquetages du pays d’origine des aliments, des vins…constitue, selon les autres gouvernements, une mesure protectionniste illégale pour ce qui est du bœuf, du porc et vin étrangers. 

Le choc que subit et continuera à subir l’économie mondiale globalisée n’est-elle pas une occasion pour essayer d’autres modèles économiques? Si oui, quelles pistes explorées?

Effectivement, certains économistes de renommé comme mon ancien Professeur Daniel Cohen considère que la crise du Corvid-19 comme «une métaphore de la  démondialisation ». Pour ma part, il y aura certes, des effets durables que cette crise sanitaire aura sur l’économie mondiale, mais pas la fin de la mondialisation. Je pense qu’au-delà de l'aspect conjoncturel, la crise économique qui s'annonce massive, va se traduire par trois changements structurels très profonds.

Le premier changement c’est que la réduction des échanges qui va accélérer une dématérialisation brutale des économies de services des pays riches. En effet, depuis le retour à la table de commerce international de la Chine (après la mort de Mao Tsé-toung en 1976), la mondialisation, à travers une série d'accords internationaux (établis depuis 1995 dans le cadre de l'OMC), a permis aux multinationales de dissocier totalement le lieu de production du lieu de vente, en délocalisant les usines en Chine pour vendre les produits en Amérique du Nord ou en Europe, là où se trouvaient les consommateurs et le pouvoir d'achat. 

Au début, les délocalisations ne concernaient que les emplois industriels. Aujourd'hui, elles touchent tous les secteurs, y compris le tertiaire (comptabilité, services informatiques, call-centers...) la haute technologie, ou la recherche et développement. Au début des années 2000, la Chine était en phase d'expansion. Elle bénéficiait à plein du fait d'être devenue membre de l'OMC. Il y avait un formidable boom des exportations chinoises. Depuis, nous sommes devenus plus dépendants de la Chine parce qu’elle participe, à un point ou à un autre de la chaîne de valeur, à  la fabrication d'un très grand nombre de produits. 

Mais, le coronavirus a eu impact sur l’économie chinoise et l’économie mondiale est touchée simultanément du côté de l'offre et du côté de la demande, et c'est nouveau. L'offre est désorganisée, certains secteurs ne peuvent plus produire.  Pour ce qui est de la demande, la Chine est devenue un très grand marché dans  plusieurs domaines. Elle représente un tiers du marché automobile mondial, ce qui va fortement impacter des pays comme l’Allemagne par exemple. En France, ce sont les recettes du tourisme qui vont être touchées. Pour les hôtels qui s'étaient habitués à accueillir beaucoup de Chinois, la perte sera réelle. Toutes ces économies ont déjà été directement touchées par la guerre commerciale de Trump.

Et, cela peut indiquer qu’on a peut-être passé le pic de la mondialisation. Le monde va sans doute changer. L'Europe, en particulier en profite pour relocaliser certaines activités industrielles. Par exemple, la pénurie des masques pour lutter contre la propagation du coronavirus incite déjà les Occidentaux à se déshabituer de la Chine, en relocalisant leurs industries. Ses entreprises vont ainsi vouloir à l’avenir raccourcir leur chaîne de valeur. Elles vont maintenant réfléchir à deux fois avant de délocaliser la gestion informatique de leur comptabilité en Inde ou de mettre toutes leurs données dans des clouds gérés par des entreprises étrangères. La Chine, à son tour, va elle-même vouloir se déshabituer des États-Unis. La guerre commerciale de Trump a déjà convaincu les Chinois qu'ils devaient acquérir une plus grande autonomie en matière technologique. Peut-être sommes-nous en train d'assister aux premières escarmouches d'un immense affrontement, qui va monter en puissance à l'échelle du siècle. La fermeture des frontières est évidemment un instrument qui doit pouvoir être actionné si c'est nécessaire.

Il y aura donc une fermeture d’une parenthèse, mais les pays ne vont pas brutalement devenir autarciques, beaucoup de forces poussent vers une moindre mondialisation. Ceci va faire naître, c’est le deuxième changement, un autre modèle économique qui prendra en compte l'empreinte carbone de tous ces échanges. Comme, je l’ai dit, plus haut, depuis le début des années 2000, on a assisté ces deux dernières décennies à ce que les économistes appellent une "désintégration verticale de la chaîne de valeur". Un produit industriel fait désormais l'objet d'un découpage de sa production aux quatre coins du monde.

Avec ce modèle, le gaspillage des ressources rares se poursuit comme si de rien n'était, aiguillonné par les exigences d'une croissance des multinationales de plus en plus « insoutenable ». Il va donc falloir faire cesser ces tours du monde que la chaîne de valeur fait parcourir aux marchandises, dont le coût en termes de carbone est disproportionné par rapport aux économies qu'elles sont censées apporter aux consommateurs.

Référence

Aghion, Philippe et Howitt, Peter (2009) The Economics of Growth | The MIT Press

Aizenman, Joshua. (1992), « Competitive externalities and the optimal seignoriage »,

Journal of money, credit, and banking, vol. 24, n° 1, pp. 61-71.

Mambo Bin kikuni, Lewis et al (2016), Quel niveau optimal d’inflation pour la RD Congo : Estimation d’un modèle non linéaire à seuil.

http://www.bcc.cd/downloads/pub/working_paper/doc_travail001.pdf

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