RDC : la BCC reconnaît finalement qu’il y aura baisse des recettes de l’État à la suite de sa politique sur le franc congolais et évoque quelques mesures jugées déjà « incertaines » et « dangereuses »

André Wameso, gouverneur de la Banque centrale du Congo
André Wameso, gouverneur de la Banque centrale du Congo
PAR Deskeco - 03 nov 2025 13:55, Dans Finances

L’audition du gouverneur de la Banque centrale du Congo, André Wameso, jeudi 30 octobre dernier devant la Commission économique et financière (ECOFIN) de l’Assemblée nationale, aura eu le mérite de lever un coin du voile sur les conséquences déjà prévenues de la politique monétaire actuelle de l’institution de l’émission. Devant les députés, son patron a reconnu que l’appréciation actuelle du franc congolais face au dollar américain entraînera une baisse des recettes de l’État, tout en promettant des « mesures correctrices » censées atténuer le choc.

Une appréciation « spectaculaire », mais « artificielle »

Selon le rapport du président de la Commission ECOFIN, Guy Mafuta, cette « appréciation spectaculaire » du franc congolais est le « fruit d’une mesure prudentielle de la BCC imposant aux banques commerciales une réserve obligatoire plus stricte en monnaie nationale ». Autrement dit, la BCC a volontairement asséché le marché local en liquidité en francs congolais, provoquant mécaniquement la hausse de sa valeur face au dollar.

Si la BCC s’était félicité de ce « succès monétaire », elle n’en cache plus les effets collatéraux : la réduction des marges fiscales, la contraction des recettes publiques et la pression croissante sur les opérateurs économiques. Pour pallier cette situation, André Wameso a évoqué une série de mesures censées maintenir la stabilité du franc: la suppression progressive des facilités fiscales (exonérations), l’espérance d’une hausse de la TVA par l’augmentation de la consommation, et la compensation par la montée du prix des matières premières, notamment le cuivre et le cobalt.

La BCC s’enfonce dans le déni économique

Ces explications n’ont guère convaincu les économistes, à commencer par le professeur Godé Mpoy, qui n’a pas mâché ses mots.

« La BCC reconnaît enfin qu'il y aura baisse des recettes de l'Etat, mais propose malheureusement d'autres demi-mesures pour compenser la perte des recettes, la BCC compte sur la suppression de certaines exonérations, l'augmentation de la TVA par la consommation et la hausse du prix du cuivre. Ces mesurettes ne fonctionneront pas », a-t-il encore prévenu.

L’universitaire fustige une lecture superficielle des mécanismes économiques. Pour lui, la suppression des exonérations n’augmentera pas les recettes, mais risque plutôt d’étouffer les entreprises bénéficiaires. Quant à l’espoir d’une hausse de la TVA, il le juge illusoire dans une économie duale, où la dollarisation structurelle et les paiements irréguliers des agents publics freinent toute expansion de la consommation.

S’agissant de la dépendance à la hausse du cuivre, le professeur Mpoy rappelle que cette volatilité a déjà piégé le pays : « En mai 2024, la tonne se négociait à 10.800 dollars, mais nos recettes n’ont pas dépassé 9 milliards. L’émotion ne peut se substituer à la raison. », a-t-il rappelé. 

Une politique monétaire sans coordination budgétaire de la part de Wameso

Ce débat met en lumière un problème plus profond : l’absence de coordination entre la politique monétaire et la politique budgétaire. En forçant l’appréciation du franc sans simulation préalable, la BCC a fragilisé le cadrage macroéconomique du budget 2025, a indiqué le professeur en Economie Godé Mpoy, d’autant plus que les recettes fiscales sont calculées sur base du taux de change. De ce fait, toute baisse rapide du dollar réduit mécaniquement les montants collectés par les régies financières.

Les conséquences sont prévisibles : ralentissement des rentrées fiscales, difficultés de paiement des salaires publics et tensions dans les provinces, où les régies locales dépendront elles aussi de taux de change désormais défavorables.

Face aux critiques, André Wameso s’est voulu rassurant, garantissant « la pérennité » de ses mesures et affirmant « la revalorisation de la monnaie locale ». Un optimisme jugé déconnecté par certains analystes, qui estiment que cette politique d’« appréciation forcée » profite davantage à une minorité d’importateurs et aux détenteurs de francs, tout en étranglant les exportateurs et les opérateurs tournés vers le marché du dollar.

Un virage risqué pour la stabilité économique

La BCC semble s’être engagée dans une stratégie monétaire aux effets incertains, privilégiant l’affichage d’un franc fort au détriment d’une vision de long terme. L’audition du gouverneur aura confirmé ce que beaucoup redoutaient : derrière le vernis d’une monnaie « stabilisée » se cache une économie exposée à des déséquilibres budgétaires et sociaux majeurs.

À moins d’une réorientation rapide et concertée entre la BCC et le ministère des Finances, la République démocratique du Congo risque de payer cher cette appréciation « fortuite », symbole d’une politique monétaire qui confond volontarisme et improvisation.

Jean-Baptiste Leni

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