Kinshasa: le flou persiste sur le marché de construction d’un parc de loisir à la 13ème rue Limete
Lancée en grande pompe par le Chef de l’Etat Félix Tshisekedi le 19 octobre 2019, l’opération d’assainissement de la ville de Kinshasa dite Kin-Bopeto a été saluée par de nombreux habitants de la capitale de la République Démocratique du Congo. Une nouvelle approche de Gentiny Ngobila Mbaka fraichement élu gouverneur de Kinshasa pour un mandat de 5 ans pour réaliser le rêve du slogan « Kinshasa la belle ». Au nombre de projets prévus, celui de la construction d’un jardin public de 12.000 m2 à la 13ème rue dans la commune de Limete à Kinshasa. Plus d’une année après l’attribution du marché à deux entreprises soumissionnaires, le flou persiste sur toute la ligne et les travaux n’avancent pas au rythme prévu. Nous avons essayé de remonter la filière pour comprendre toute la procédure mise en place depuis l’attribution du marché, de nombreuses zones d’ombre révèlent plutôt une sorte d’impréparation des dossiers et une volonté de tricher. Enquête.
A un peu plus de deux ans de la fin du mandat du gouverneur Gentiny Ngobila, les résultats des premiers chantiers lancés dans la ville de Kinshasa tardent à venir, faisant douter de la réelle capacité de nouveaux dirigeants de la ville de réussir là les prédécesseurs avaient échoué. Si la volonté politique et l’environnement semblent plus propices à de grands projets, celui de l’attribution du marché de construction du parc de loisir de 12.000 mètres carrés (m2) devant abriter des aires de jeu avec manèges, balançoires, allées pour promenades, kiosques…marque le pas. Non seulement le projet ne figure pas sur la liste des marchés publics publiés et attribués par l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP) en 2019, mais le processus d’appel d’offre n’aurait pas respecté les normes, ou à tout le moins, est entachée d’irrégularités manifestes. Certaines sources affirment qu’il s’est agi d’un appel d’offre restreint. Ce qui, au vu de l’ampleur des travaux, serait hors-normes.
En effet, au terme de la Loi n° 10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics, les appels d’offres sont soumis à des règles strictes. L’article 25 traitant de l’appel d’offres restreint stipule, en effet qu’il est applicable : « lorsque seuls peuvent remettre des offres, les candidats que l’autorité contractante a décidé de consulter». Bien plus, l’article 26 est plus clair : «Il ne peut être recouru à la procédure d’appel d’offres restreint que lorsque les biens, les travaux ou les services, de par leur nature spécialisée, ne sont disponibles qu'auprès d'un nombre limité de fournisseurs, d’entrepreneurs ou de prestataires de services. Dans ce cas, tous les candidats potentiels sont invités. Le recours à la procédure d’appel d’offres restreint est motivé et soumis à l’autorisation du service chargé du contrôle des marchés publics ».
Opacité dans l’appel d’offre
Il ressort de nos investigations que les deux entreprises ayant gagné le marché ont soumissionné séparément à cette offre. La société Alan Van Cutsem Construct (AVC Construct) dit n’avoir jamais postulé en association avec la société Nord-Coréenne Congo Aconde. «Je ne connais pas cette entreprise-là, affirme l’administrateur de AVC Construct. Chacun avait son projet, avec des travaux à exécuter. C’est l’administration qui devait nous départager. En fait, on n’était pas ensemble, c’était des contrats différents avec des responsabilités distinctes», se plaint l’administrateur de AVC Construct, Jean-Benoît Adimashi Okito.
D’autres sources internes à l’administration de la ville affirment plutôt que l’autre société soumissionnaire, Congo Aconde avait postulé également pour le même projet et non pour une partie. L’entreprise aurait proposé un montant allant à plus de 1 millions de dollars américains. Toujours est-il que le marché a été attribué aux deux entreprises. Et au mois d’août 2019, le gouverneur Gentiny Ngobila avait visité le chantier en présence des représentants de deux sociétés (Congo ACONDE et AVC Construct) et avait indiqué que les travaux devaient se terminer l’année suivante, en 2020. A ce jour, sur le terrain, aucune de ces deux entreprises n’est à l’œuvre. Le projet avance à petit pas. La pancarte désignant que les travaux sont exécutés par l’hôtel de ville a été enlevée. Même si aucun signe n’est marqué sur l’entreprise qui travaille actuellement, plusieurs sources affirment qu’il s’agit d’une autre société qui aurait récupéré l’affaire. Les fers ont commencé déjà à rouiller et les mauvaises herbes poussent. Seulement quelques jouets sont placés mais leur montage n’est pas encore fini.
Ce qui entraîne de nombreuses critiques de la part les Organisations de la société civile qui luttent contre le détournement des fonds publics et la corruption. L’une d’elles, l’Observatoire de la Dépense Publique (ODP).estime que le fait de mettre ensemble deux entreprises qui ont soumissionné séparément pour un seul marché est illégal. «Quand on lance un appel d’offre, on commence toujours par un avis à manifestation d’intérêt. Vous pouvez soumissionner seul ou dans un groupement à 4 ou 5 ou même 6 il n’y a pas de problème. Mais vous ne pouvez pas y aller seul et après on vous octroie un marché à deux. C’est impossible. Cet arrangement de l’hôtel de ville est illégal», explique Florimond Muteba, Président du Conseil d’Administration de l’ODP.
Une attribution du marché plutôt floue
Selon un communiqué du service de communication du gouverneur Gentiny Ngobila, l’exécution de la construction du parc de loisir était attribuée conjointement à la société Nord-Coréenne Congo Aconde et à la société Alan Van Cutsem Construct (AVC Construct). Il ne s’agit donc pas de deux contrats différents. Pourtant, la société Alan Van Cutsem Construct dit n’avoir jamais signé un quelconque contrat avec l’hôtel de ville de Kinshasa à propos de la construction de ce parc. L’entreprise reconnait néanmoins que tout était fin prêt pour la signature du contrat et s’est dit surpris qu’à ce jour c’est d’autres entreprises qui travaillent sur le chantier. «Nous avions présenté nos plans, les études de faisabilité et tout ce qui va avec. Nous continuons à attendre la signature du contrat en bonne et due forme. Jusque-là l’hôtel de ville ne nous a pas encore répondu. Mais nous sommes surpris de constater que ce sont d’autres entreprises qui exécutent les travaux», s’est inquiété un cadre de AVC Construct.
Pourquoi le contrat n’a-t-il pas été signé comme annoncé après la visite du gouverneur ? Pourquoi c’est désormais l’hôtel de ville de Kinshasa qui exécute ces travaux après avoir retenu deux entreprises ? Autant de questions que notre enquête n’a pu élucider, le cabinet du gouverneur n’ayant pas voulu répondre à nos questions.
Devant autant de questions sans réponse, les mêmes organisations de la société civile s’inquiètent des liens de rapprochement supposés entre l’administration de la ville de Kinshasa et la société Congo Aconde. Une entreprise indexée par plusieurs rapports d’ONG comme servant de paravent aux intérêts de la Corée du Nord. En effet, l’ONG américaine The Sentry a publié en janvier 2021 un rapport dans lequel il indiquait que cette entreprise créée en 2018 par deux associés nord-coréens, opérerait en marge des normes. «Nous avons appris que Congo Aconde a décroché des contrats dans d'autres provinces par des moyens et des termes tout aussi opaques. Ceci soulève des questions importantes concernant les liens entre des fonctionnaires congolais et le personnel nord-coréen de la société, qui semblerait par ailleurs avoir été employé par le Gouvernement de la Corée du Nord. Dans l'ensemble, ceci soulève des doutes importants par rapport à l'application des sanctions en RDC cherchant à empêcher la prolifération des armes nucléaires par Pyongyang», a déclaré John Dell'Osso, le Chef de l’organisation The Sentry.
Les deux hommes d'affaires nord-coréens associés dans Congo Aconde, Pak Hwa Song et Hwang Kil Su, sont accusés de violer les sanctions internationales contre leur pays. «Ils ont participé à des opérations qui iraient à l'encontre des sanctions de l'Union européenne, de l'Organisation des Nations Unies (ONU) et des États-Unis», a estimé The Sentry dans son rapport. Serait-ce finalement la réponse à la question de la lenteur des travaux ou à la non signature formelle du contrat entre l’hôtel de ville et les deux entreprises qui ont remporté le marché? Là encore, mutisme du côté des autorités administratives de la ville de Kinshasa.
Chantiers inachevés
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la mairie de la capitale de la RDC se trouve ainsi engluée dans un conflit contractuel avec des partenaires. Un autre conflit oppose, en ce moment, l’hôtel de ville de Kinshasa à l’homme d’affaire libanais Hassan Mourad, Directeur général de la Société africaine de commerce (Safricom) dans un dossier politico-judiciaire concernant la construction du marché central de Kinshasa, dit « Zando ».
En effet, à l’appel des autorités provinciales de Kinshasa, l’homme d’affaires libanais avait gagné, en 2005, le marché de construction/réfection du principal marché de Kinshasa qui abritait, jusqu’à sa fermeture en janvier 2021, près de 55.000 marchands dans un espace insalubre et non entretenu. Le contrat de 20 ans signé par André Kimbuta avait permis à Hassan Mourad d’effectuer quelques travaux, notamment de grands entrepôts et magasins autour du marché.
Le contrat avait été résilié par l’actuel locataire de l’hôtel de ville de la capitale congolaise, qui estime que les termes du contrat n’ont pas été respectés et qu’il fallait redonner le marché à une autre entreprise. Malgré le recours gracieux introduit par l’homme d’affaires libanais et deux décisions de justice exigeant la renégociation du contrat, les choses sont restées en l’Etat. Sur place, tout a été détruit et Hassan Mourad a été expulsé de la RDC où il était installé depuis 40 ans. Par une procédure qui continue de poser problème, l’Hôtel de ville a réussi à attribuer le marché de la construction d’un nouveau marché central au groupe français SOGEMA.
Le Gouverneur Gentiny Ngobila, qui a réussi à impliquer le Président de la République à ce dossier, a affirmé que les études de faisabilité sont déjà menées à plus de 80% et le financement est déjà disponible. Officiellement, la maquette du nouveau «Zando» aurait coûté 180.000 USD. Ce qui avait provoqué des réactions de désapprobation de la société civile et des organismes de lutte contre la corruption. Le marché central réaménagé disposera d’une capacité d’accueil de 62 000 marchands sur une surface de 40 000 m2. Les autorités de la ville ont annoncé que le nouveau marché central sera inauguré en 2023 soit avant la fin du mandat de Félix Tshisekedi. Une annonce qui ne convainc pas grand monde lorsqu’on voit l’état d’avancement des travaux.
K.M