Quand il s’agit de la matière environnementale et du développement durable, il y a des organisations de la société de la RDC qui ne transigent pas sur la question. Un nouveau son de cloche a retenti ce mardi 29 mai, avec la signature d’un mémorandum à l’intention du Président de la République, Félix Tshisekedi, pour expliquer l’inopportunité de l’exploitation des blocs pétroliers et gaziers congolais. Ce document se base scientifiquement sur des études et rapports probants.
La transition énergétique voudrait qu’on quitte les énergies polluantes vers les énergies renouvelables qui ont moins de pollution. Dans ce sens, il ne servira pas à la RDC de se lancer dans l’exploitation du pétrole. Cela parce que le monde est en train de migrer des énergies fossiles vers les énergies renouvelables. Le pétrole, le gaz et le charbon, étant des énergies fossiles, sont considérés comme les responsables principaux de l’émission de gaz à effet de serre, par conséquent la source principale des changements climatiques.
Le document adressé au Président de la République s’intitule « Quatre raisons majeures pour ne pas exploiter le pétrole congolais et ne pas prendre part au projet EACOP ». Les organisations de la société civile signataires du mémorandum demandent au gouvernement congolais, par l’intermédiaire du Président de la République, d’arrêter le processus d’appel d’offres sur les blocs pétroliers et gaziers, et de ne pas investir dans le projet de l’oléoduc en Afrique de l’Est (EACOP).
Les quatre raisons évoquée dans le mémorandum sont l’abandon progressif des combustibles fossiles et l’adoption croissante des énergies renouvelables de Ana les 25 prochaines années ; le fait que les blocs pétroliers et gaziers de la RDC sont situés dans des zones écologiquement très sensibles pour le pays et pour le monde ; la perte des opportunités d’emplois à une jeunesse majoritairement chômeuse ; et la controverse au niveau mondial sur le projet EACOP.
Les 10 organisations signataires de ce mémorandum sont le Cadre de Concertation de la societé civile de l'Ituri sur les Resources Naturelles (CdC/RN), Alerte Congolaise pour l’Environnement et les Droits de l'Homme (ACEDH), Initiative pour le Développement Local, Actions pour la Promotion et Protection des Peuples et Espèces Menacés (APEM), Coalition des Organisations de la Société Civile pour le Suivi des Réformes et de l'Action Publique, Save Virunga, Observatoire d'Etudes et d'Appui à la Responsabilité Sociale et Environnementale, Initiative pour la Bonne Gouvernance et les Droits Humains, Justice Pour Tous et Centre congolais pour le développement durable.
Les blocs pétroliers et gaziers
Depuis que l’appel d’offre a été lancé en juillet 2022, il était prévu l’ouverture de plis en janvier 2023. En décembre, le ministère des hydrocarbures a repoussé pour avril et octobre 2023. Une fois en avril, le ministère a repoussé encore une fois. A en croire ces organisations de la société civile, il n’y a plus d’investisseurs qui veuillent investir dans un tel projet actuellement. Les sociétés qui veulent se présenter pour les blocs pétroliers craignent les actifs échoués.
Ceux-ci sont un processus par lequel un projet peut subir des dévalorisations et ne plus être rentable. Alors que les hydrocarbures exigent des investissements costauds alors que la demande est en pleine baisse. Un investisseur averti ne va pas s’y mettre sachant ne pas être sûr de récupérer ses investissements, explique-t-on.
Par ailleurs, les données techniques des blocs pétroliers des bassins sédimentaires de la cuvette centrale, côtier ainsi que du Graben de Tanganyika sont déjà disponibles. Elles ont été présentées et remises le 14 mai au Premier ministre, Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge et au ministre des hydrocarbures, Didier Budimbu. Ces données collectées par la société Geo Sygmod vont permettre de lancer de manière significative l'appel d'offre aux soumissionnaires en date du 28 au 29 juillet de l'année en cours.
D'après le ministre des hydrocarbures, il y a urgence pour l'exploration car à ce jour, le pays n'a exploité que 4,5% de son potentiel en Hydrocarbures. Il a indiqué que les perspectives financières à long terme en tenant compte des ressources estimées de chaque bassin par des sociétés pétrolières et para pétrolières ayant effectuées des travaux préliminaires dont le taux de récupération d'huile en place fixé à 35% et dont le prix moyen du baril à 107 USD emmène aux estimations des retombées financières par bassin de la manière suivante :
Le graben Tanganyika ressources estimées à 7,25 milliards de barils dont le réservoir constitué des roches qui sont des grès et sables se chiffrait à 292 milliards USD américains ; pour le bassin côtier ressource estimée dans le réservoir composé des roches qui sont essentiellement des grès et sables à 130 millions de barils dans le bloc Ndunda estimé à 5 milliards USD, à 2 milliards de barils dans le bloc Nganzi estimé à 68 milliards USD, à 800 millions de barils dans le bloc Yema Matama Makanzi estimé à 30 millions USD ; pour le bassin de la cuvette centrale, ressource estimée à 6,4 milliards de barils dont le réservoir de roche composé des grès estimé à 254 milliards USD.
Le projet de l’oléoduc
Dans les faits et gestes que les organisations de la société ont découragé au gouvernement congolais, figure l’implication dans le projet d’un oléoduc destiné à transporter les hydrocarbures d'Afrique de l'Est aux marchés internationaux. Le gouvernants sont appelés entre autres, à entreprendre des études de faisabilité pour la mise en œuvre des alternatives à l’exploitation des combustibles fossiles pouvant offrir de meilleurs résultats sociaux économiques pour la RDC et sa population, et à développer des partenariats dont la RDC devra être bénéficiaire dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat.
Pendant que le projet est décrié, la Tanzanie a donné son accord à la construction de cet oléoduc de 3,5 milliards de dollars dans le cadre d'un méga projet controversé, malgré les critiques récurrentes des défenseurs de l'environnement. Cet oléoduc, long d'environ 1.500 kilomètres, doit relier les gisements du lac Albert, dans l'ouest de l'Ouganda, à la côte tanzanienne sur l'océan Indien.
Ce projet nécessite l'approbation des deux pays et en janvier, l'Ouganda a délivré une licence au consortium East African Crude Oil Pipeline Company Ltd (EACOP), détenu à 62% par le géant français TotalEnergies. Étant donné que la RDC et l’Ouganda partagent la même nappe pétrolière, la RDC veut s’engager également dans ce projet.
« Le projet présente des impacts néfastes aujourd’hui. Pour preuve, parmi les banques et le investisseurs qui avaient souscrit pour financer ce projet, nous avons presque 23 qui ont renoncé au financement de ce projet. Alors, quand la RDC va s’engager dans ce projet, non seulement elle va voiler le droit humain avec tous les impacts environnementaux, mais elle pourra payer trop cher pour le transport et cela ne bénéficiera pas à l’économie du pays », Jimmy Munguriek, secrétaire permanent du Cadre de Concertation de la societé civile de l'Ituri sur les Resources Naturelles (CdC/RN).
Les alternatives
La RDC présente des potentialités énormes en termes d’alternatives à l’exploitation pétrolière. Le parc national de Virunga a généré des millions à l’Etat congolais en 2019. Cela signifie qu’il y a une alternative à chaque endroit où il y a le bloc pétrolier, alternatives ce que le gouvernement doit exploiter pour le bien des communautés locales. L’agriculture, et le tourisme sont également des alternatives.
Si le gouvernement congolais présente le pétrole comme une opportunité au développement, du point de vue du développement durable, en explorant le pétrole, on met en péril vie des générations futures. Le pétrole fera disparaître les sources de revenus de la population, va détruire l’environnement, l’économie. Par conséquent, le pétrole n’est plus une opportunité pour le développement du pays.
Selon des études internationales menées notamment par la Banque Africaine de Développement et d’autres agences, en Afrique, les énergies renouvelables ont créé à ces jours 0,35 millions d’emplois. En 2030, ce sera 4 millions d’emplois et en 2060, plus de 8 millions d’emplois. Cela pendant que les énergies fossiles vont baisser 4 fois le nombre d’emplois qui existent aujourd’hui. Il y a un fort besoin en main d’œuvre avec les énergies renouvelables.
« Beaucoup de pays ayant vu ce danger, sont en train d’abandonner le secteur pétrolier pour aller vers le secteur des énergies renouvelables. C’est pourquoi aujourd’hui, certains minerais stratégiques comme le cobalt ou le lithium sont plus sollicités pour aller dans cette transition énergétique, des énergies fossiles vers les énergies renouvelables » a expliqué Jimmy Munguriek.
Et d’ajouter :
« Si la RDC décide d’exploiter son pétrole pour lequel l’appel d’offre est lancé aujourd’hui, il ne pourra être exploité que 25 ans ou 30 ans après lorsque la demande aura sensiblement baissé. Aussi le Congo ne va pas raffiner le pétrole, il va exporter le pétrole brut. Et cela ne va pas profiter au pays, cette exploitation va détruire l’environnement et les moyens de substances pour les prochaines générations »
Moanda, un exemple
La RDC est parmi les plus grands pays du monde qui possède une ressource importante en hydroélectricité, en éolienne, en solaire. Le pays doit se positionner pour les développer. La RDC a la capacité de produire une grande quantité d’hydrogène, elle peut contribuer aux solutions sur les batteries en remplacement des combustibles fossiles pour les véhicules.
« La RDC a toutes les capacités du monde pour être ce leader mondial en ce qui concerne la transition énergétique. C’est comme ça que nous encourageons le gouvernement à mettre en place une stratégie, à développer une vision plutôt cohérente qui pourra le positionner comme leader mondial pour transition énergétique. Toutes les questions que se pose le monde aujourd’hui, en ce qui concerne la transition énergétique, la RDC a une bonne partie de la réponse », a indiqué Emmanuel Mususyu, secrétaire exécutif de la Coalition des organisations de la société civile pour le suivi des réformes et l’action publique (CORAP).
A l’en croire, la ville de Moanda est la preuve que l’exploitation des hydrocarbures n’apporte pas le développement à la RDC. Le pays ayant une expérience dans la production de pétrole à Moanda, depuis avant 1960.
« A Moanda, il y a plus de 90% de la population qui est au chômage aujourd’hui, il n’y a qu’un petit bout de route asphalté alors que l’ensemble de la ville et ses villages aux alentours ne sont pas asphaltés, il y a un problème d’accès à l’électricité. A Moanda les gens vivaient de l’agriculture et de la pêche, mais aujourd’hui, tu peux aller là et tu rentres sans poisson parce qu’il y a déjà des impacts sur l’environnement », a-t-il souligné.
Emmanuel Kuzamba