Lorsque la crise sanitaire perdra de son intensité, il faudra faire de nouveaux arbitrages difficiles pour rétablir la croissance et la stabilité. À plus long terme, les dirigeants qui ambitionnent de relancer leur économie disposeront de ressources moins abondantes et devront probablement opérer des choix difficiles. En effet, en l’absence d’un surcroît d’aide massif, de nombreux pays peineront à simplement préserver la stabilité macroéconomique tout en répondant aussi aux besoins essentiels de leur population. La politique budgétaire devra, par exemple, trouver un compromis entre le besoin immédiat de relancer l’économie et l’impératif de viabilité de la dette. La politique monétaire devra, quant à elle, trouver un équilibre entre la nécessité de soutenir la croissance et l’impératif de stabilité extérieure et de crédibilité à plus long terme. La réglementation et la surveillance financières devront permettre d’assouvir les besoins immédiats des banques et entreprises touchées par la crise, sans mettre en péril la capacité du système financier à appuyer la croissance à plus long terme. Ces efforts devront aussi être mis en regard de la nécessité de préserver la stabilité sociale tout en préparant le terrain à une croissance durable et inclusive à long terme.
Préserver la viabilité des finances publiques
Dette publique et politique budgétaire. Face à l’ampleur inédite de la crise, le dosage macroéconomique devrait dans l’idéal conférer un rôle important à la relance budgétaire pour stimuler la demande globale. Cependant, les pays d’Afrique subsaharienne doivent agir avec prudence. Les circonstances varieront d’un pays à l’autre, mais la capacité de la plupart des pays à accroître leurs dépenses sera restreinte. Un surcroît d’aide extérieure pourrait alléger une partie de ces contraintes à court terme, mais, in fine, les pays devront assainir leurs finances publiques afin de replacer leur dette sur une trajectoire viable sans mettre en péril la croissance à plus long terme.
Il peut être difficile d’évaluer la viabilité de la dette d’un pays, surtout à un moment où la croissance future est plus incertaine qu’à l’accoutumée. La capacité d’endettement de la plupart des pays a été manifestement réduite, sur fond d’une détérioration des perspectives de croissance, d’une couverture des réserves plus faible, d’un ralentissement des envois de fonds et d’une dégradation du contexte mondial.
En outre, la volatilité du taux de change pourrait peser sur le coût du service de la dette, sachant qu’une part importante de la dette publique est souvent libellée en devise. C’est pourquoi plusieurs pays d’Afrique subsaharienne ont peut-être franchi le seuil de viabilité. Si le service de la dette d’un pays dépasse sa capacité de remboursement, les créanciers comme les emprunteurs d’Afrique subsaharienne ont tout intérêt à se mettre d’accord sur les modalités d’un allégement de la part des créanciers le cas échéant (Angola, Zambie).
Dans d’autres cas, la politique budgétaire restera axée sur l’impératif de contenir la vulnérabilité liée à la dette. Cela nécessitera un calibrage minutieux des mesures budgétaires pour dégager un espace plus vaste afin que des réformes génératrices de croissance puissent favoriser une reprise. Sur ce point, le rééquilibrage des finances publiques devra avant tout s’appuyer sur les recettes intérieures. La situation de chaque pays sera certes différente, mais les autorités devraient chercher activement des moyens de : 1) élargir l’assiette de la TVA ; 2) augmenter la progressivité et élargir le périmètre de l’impôt sur le revenu des personnes physiques ; 3) renforcer le rôle des impôts sur le patrimoine ; 4) supprimer les exonérations de l’impôt sur les sociétés et les incitations fiscales génératrices de distorsions ; et 5) accorder une plus grande place aux taxes environnementales. En outre, compte tenu de la dépendance accrue de nombreux pays à l’égard des industries extractives, la taxation des ressources naturelles pourrait constituer un outil supplémentaire pour accroître les recettes intérieures5 .
Dans ce contexte, les autorités devraient se pencher sur les avantages potentiels de la transformation numérique. Par exemple, à Sao Tomé-et-Principe, la mise en place de la facturation électronique a permis aux autorités d’élargir l’assiette fiscale au secteur non structuré du pays, ce qui a augmenté les recettes, même en pleine crise de la COVID-19. Parmi les autres mesures pourrait figurer une méthode d’administration des recettes davantage fondée sur les risques.
Le problème de l’accroissement des recettes et du renforcement de la capacité fiscale a aussi une dimension mondiale. La capacité des grandes entreprises internationales à se soustraire à l’impôt s’avère particulièrement préjudiciable aux pays à faible revenu, qui sont fortement exposés au transfert de bénéfices et à la concurrence fiscale.
Par conséquent, la coopération fiscale mondiale devrait être une composante majeure de la riposte de la communauté internationale à la crise actuelle. En collaboration avec d’autres institutions internationales (les Nations Unies, l’Organisation de coopération et de développement économiques), le FMI soutient une initiative coordonnée et multilatérale pour lutter contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale, en veillant surtout à ce que les intérêts des pays à faible revenu soient totalement pris en compte.
Un dispositif de protection mieux ciblé et plus efficace pourrait aussi faciliter les tentatives de rééquilibrage. Par exemple, une réforme des subventions est à l’origine d’importantes économies budgétaires dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, notamment dans le contexte de la faiblesse actuelle des prix de l’énergie. Toutefois, les efforts en ce sens imposent souvent aux autorités de se doter d’abord des moyens pour protéger leurs résidents les plus vulnérables d’une soudaine hausse des prix des produits de première nécessité. De même, une meilleure réponse peut être apportée aux préoccupations à l’égard des effets régressifs de certaines réformes fiscales (les variations des taux de TVA, par exemple) dans un système de filets de protection renforcés et mieux ciblés.
Les mesures budgétaires devront être complétées par des mécanismes qui garantissent l’efficience de l’investissement public, la rationalisation des dépenses fiscales, le renforcement de la gestion des finances publiques et l’amélioration de la gestion et de la transparence de la dette.
Parallèlement, les pays d’Afrique subsaharienne devront supprimer progressivement les mesures de soutien d’urgence face à la COVID-19 et affecter les dépenses qu’ils peuvent se permettre aux activités qui ont le plus de chances de dynamiser la croissance. Ces priorités varieront d’un pays à l’autre, et les solutions simples sont rares. Pour autant, les autorités peuvent veiller à ce que leurs ressources restreintes soient utilisées efficacement en s’engageant au préalable à améliorer la transparence et la responsabilisation, en s’assurant que leurs fonds et mesures viennent en aide aux personnes qui en ont le plus besoin.
Une plus grande transparence permettrait aussi de doper la confiance des investisseurs locaux et internationaux, surtout dans le contexte d’un cadre budgétaire à moyen terme crédible qui définit clairement une trajectoire économiquement et socialement durable vers la viabilité. Sur ce point, une suspension temporaire et limitée dans le temps de l’application des règles budgétaires de l’UEMOA semble pertinente, étant donné les circonstances exceptionnelles qui découlent de la pandémie et à condition que les pays honorent leur engagement à renouer avec des finances publiques plus viables une fois qu’ils auront surmonté la crise de cette année.
Texte tiré des Perspectives économiques (Octobre 2020) de l'Afrique subsaharienne du FMI