RDC : 4 journalistes Congolais se plongent dans la débâcle du projet Bukanga-Lonzo (enquête)  

Les enquêteurs
PAR Deskeco - 25 jan 2021 16:36, Dans Actualités

De g. à dr. Éric Tshikuma (Zoom Eco), Rachelle Kitsita (Actu30.cd), Israël Mutala (7sur7.ce)/ Photo DESKECO.

Au terme d’une enquête menée pendant quatre mois par 4 journalistes Congolais sur Bukanga-Lonzo, il se révèle que l’arrêt de financement par le gouvernement est à la base de la « débâcle » de ce vaste projet agricole censé contribuer à l’indépendance alimentaire en RDC. Pour ces enquêteurs, le gouvernement devrait réinvestir dans Bukanga-Lonzo non seulement pour récupérer les fonds déjà investis et mais aussi pour se relancer dans le noble objectif de donner une indépendance alimentaire à la RDC.

Une enquête intitulée « Débâcle su Parc-agroindustriel de Bukanga-Lonzo : causes, responsabilités et perspectives » a été rendue publique ce lundi 25 janvier par quatre journalistes Congolais à savoir Israël Mutala (7sur7.ce), Éric Tshikuma (Zoom Eco), Rachel Kitsita (Actu30.cd) et Bienvenue Bandala.

Pour ces enquêteurs, l’arrêt de subsides du gouvernement pour financer le projet du Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo (PAIBL) est à la base de ce qu’ils qualifient de « débâcle » de Bukanga-Lonzo.

« Ayant pour objectif la quête de la souveraineté alimentaire et de la diversification de l’économie, le projet Bukanga-Lonzo est un très bon projet qui mérite la plus grande attention des plus hautes autorités publiques. Au terme de cette enquête, sa débâcle n’est due ni à une prétendue absence d’étude du sol, ni à un détournement des fonds, ni à la surfacturation de certains biens ou services. La raison principale de la débâcle du PAIBL est l’arrêt brusque de son financement par le gouvernement en février 2017 », soutiennent les quatre journalistes dans la conclusion de leur enquête.

Selon ces enquêteurs, AFRICOM, la firme sud-africaine en charge de la gestion technique et financière de Bukanga-Lonzo, a reconnu avoir reçu près de 153 millions USD du Gouvernement pour ce projet. Le ministère des Finances ainsi que la Banque centrale du Congo (BCC), relevés bancaires à l’appui, soutiennent aussi avoir décaissé près de 153 millions USD au profit de AFRICOM pour le compte du PAIBL. Aucune de deux parties n’a admis avoir perçu, pour l’un, ou octroyé, pour l’autre, la somme de 285 millions USD avancée par l’IGF (Inspection générale des Finances) dans son rapport divulgué fin 2020.

Une main noire

Menée pendant quatre mois, cette enquête met en exergue aussi l’hypothèse selon laquelle les lobbies des importateurs se seraient activés pour saboter le projet Bukanga-Lonzo étant donné que la RDC dépense près de 2 milliards USD chaque année pour importer les produits vivriers.

« Le PAIBL menaçait les intérêts économiques des hommes d’affaires puissants, en l’occurrence des importateurs des produits alimentaires, selon plusieurs analystes. Un marché d’environ 2 milliards USD par an que se partage une poignée de sociétés importatrices. Un marché très lucratif. Des observateurs soupçonnent ces gros importateurs d’avoir exercé un lobbying puissant pour faire infléchir la position du Gouvernement », soutiennent ces enquêteurs dans leur rapport de 42 pages.   

Cependant, d’autres analystes interrogés dans le cadre de cette investigation pointent plutôt l’absence d’un leadership fort à même de porter le projet Bukanga-Lonzo après le départ de Matata Ponyo de la primature en décembre 2016.

« Les premiers ministres qui ont succédé Matata n’ont pas eu la carrure nécessaire pour être en mesure de s’attaquer de manière frontale et sérieuse à cette question. J’ai rencontré personnellement des experts de la BAD qui étaient prêts à reprendre le projet et je peux vous dire que les tergiversations du Gouvernement ont été d’une honte incroyable », a déclaré l’économiste Congolais Al Kitenge.

La raison plaide pour la relance de Bukanga-Lonzo

A la question de savoir s’il faut relancer ou pas Bukanga-Lonzo, les enquêteurs répondent par l’affirmative.

« Les avis convergent totalement sur l’impérieuse nécessité de relancer le PAIBL qui n’est pas une œuvre parfaite. Il y a cependant beaucoup d’aspects qui méritent d’être améliorés. Notamment un renforcement de la gouvernance et de la discipline, au-delà de tout clivage politique et sentimental. Mais aussi le changement d’approche de planification, de gestion et d’évaluation de ce type de projets d’envergure », affirment les enquêteurs. « Je pense qu’on n’a pas le choix. La plus grosse faiblesse, c’était la planification intégrée. Il faudrait que le PAIBL et les autres PAI se définissent comme étant des fournisseurs des produits aux clients définitifs à partir du moment où la projection n’est pas de produire du manioc mais de donner des sacs de farine de 1 kg ou 5 kg et de chikwangue transformés industriellement et d’autres produits. En ce moment-là, nous réfléchissons de manière intégrée en créant plusieurs acteurs sur le parcours. Je crois que le PAIBL et les autres PAI ainsi que les ZES devraient faire partie de ce que j’appelle le Plan stratégique intégré (PSI) », a estimé le stratège Al Kitenge interrogé par les enquêteurs.

En termes de perspectives, l’enquête recommande au président de la République, Félix Tshisekedi, : « - De veiller à ce qu’un investissement public aussi colossal que celui injecté dans le PAIBL ne soit dilapidé et perdu totalement ; - De s’approprier le projet du PAIBL pour matérialiser sa vision consistant à favoriser la revanche du sol sur le sous-sol afin de lutter contre la famine qui touche plus de 21 millions de ses compatriotes »

Au Gouvernement central, les enquêteurs recommandent de :« - De diligenter un audit par un cabinet international (PWC, EY, DELOITTE, KPMG) ; - D’assurer la relance du projet PAIBL, l’investissement consenti aux frais des contribuables congolais étant colossal ; - De solliciter un règlement à l’amiable dans le litige qui l’oppose à AFRICOM. D’autant plus que la RDC risque d’être condamnée devant la Cour d’arbitrage de Paris devant laquelle le litige est pendant ».

Tout aussi, le Premier ministre devrait-il s’investir, selon eux, à « reprendre le leadership de la relance du PAIBL en y apportant des corrections et/ou ajustements nécessaires ».

Il en est de même des acteurs politiques commis à la gestion publique qui sont appelés à : « - s’approprier le Programme nationale d’investissement agricole (PNIA) duquel découle la stratégie des PAI dont Bukanga-Lonzo pour s’assurer de la discontinuité du projet en dépit d’aléas politiques ; s’abstenir de toute attitude tendant à politiser à outrance les projets hautement techniques en vue de régler les comptes à des adversaires politiques ».

débâcle

Notons que le PAIBL a été créé sous le format partenariat-public-privé (PPP) en 2013 par le Premier ministre d’alors Augustin Matata Ponyo. L’Etat y a investi 153 millions USD sur les 520 millions USD prévus. Ce Projet aligné dans le Plan National d’Investissement Agricole (2013-2020) visant à faire du développement des filières agricoles et agro-industrielles l’un des principaux piliers de la croissance économique et atteindre le premier Objectif du Millénaire pour le Développement (OMD)- aujourd’hui ODD, fixé par l’ONU d’ici Panneau de signalisation de l’entrée du parc agro industriel de Bukanga-Lonzo en 2025, à savoir la réduction pour moitié de la pauvreté.  Il faisait partie des projets intégrateurs devant participer à l’enclenchement du processus de diversification de l’économie congolaise au moment où la croissance économique était au rendez-vous pour réduire durablement la pauvreté, particulièrement celle des milieux ruraux.

Amédée Mwarabu

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