Développement et dette: Trouver le juste équilibre (Tribune de la Directrice générale du FMI)

Kristalina georgieva
PAR Deskeco - 03 déc 2019 12:28, Dans Actualités

Conférence de haut niveau, Dakar, 2 décembre 2019

Votre Excellence M. le Président Macky Sall, 

Je vous remercie d’accueillir cette importante conférence.

Excellences, Messieurs les chefs d’État des pays membres de l’UEMOA

Mesdames et Messieurs les Ministres

Mesdames et Messieurs les membres du Parlement

Mesdames et Messieurs les membres du Corps diplomatique

Mesdames et Messieurs les invités

Mesdames et Messieurs, bonjour,

Je tiens à remercier le Gouvernement sénégalais d'avoir organisé cet événement conjointement avec le FMI, en partenariat avec l’Organisation des Nations Unies et le Cercle des économistes.

C’est un honneur pour moi de prendre la parole devant une assemblée aussi prestigieuse et je tiens ici à remercier le peuple sénégalais de nous accueillir tous dans l’esprit de la Téranga.

Comme vous le savez, la Téranga va au-delà de la simple notion d’hospitalité ; ce terme est synonyme de chaleur humaine et de sens communautaire. Elle permet aux visiteurs d’établir un lien profond avec le Sénégal, et c’est bien ce que j’espère faire aujourd’hui.

Pour moi, la ville de Dakar ne pouvait pas être mieux choisie pour débattre du thème « Développement durable et dette viable ». Pourquoi ? Parce que le Sénégal utilise le plus sûr moyen de favoriser la croissance durable.

En mettant en œuvre le Plan Sénégal Émergent, ce pays s’efforce de transformer son économie, de créer des emplois et d’améliorer le niveau de vie. Nous avons constaté qu’il existait des stratégies de développement semblables dans un certain nombre d’autres pays d’Afrique subsaharienne.

Ces stratégies jouent un rôle essentiel dans la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) ; vivre dans un monde meilleur, c’est ce à quoi nous aspirons tous. Comment pouvons-nous atteindre ces objectifs ?

Il me semble que les décideurs politiques pourraient s’inspirer des Lions de la Téranga, l’équipe du Sénégal, qui a impressionné tout le monde l’an dernier, lors de la Coupe africaine des Nations.

Leur succès repose sur une approche équilibrée, entre le désir d’attaquer et la nécessité de défendre, entre l’action individuelle et la performance collective.

Plus que jamais, cette approche a de l’importance parce que les pays s’efforcent de trouver le juste équilibre entre le financement du développement et le maintien de la viabilité de la dette, entre l’investissement dans les ressources humaines et l’amélioration des infrastructures, entre les objectifs de développement à long terme et les besoins immédiats plus pressants.

Trouver le juste équilibre, c’est sur ce point précis que portera mon intervention aujourd’hui.

1. Tableau de bord économique : où en sommes-nous ?

Permettez-moi tout d’abord de jeter un coup d’œil au « tableau de bord économique » ; où en sommes-nous ?

Grâce à l’amélioration des politiques et au renforcement des institutions, les pays d’Afrique subsaharienne ont enregistré des progrès fondamentaux.

Au cours des vingt dernières années, les niveaux de pauvreté extrême ont baissé d’un tiers, l’espérance de vie a augmenté d’un cinquième, et le revenu réel par habitant a progressé d’environ 50 % en moyenne. 

Ces bons résultats montrent à quel point l’action en faveur du développement peut être déterminante, mais il reste encore beaucoup à faire.

Pensez aux agriculteurs confrontés aux effets dévastateurs du changement climatique. Pensez aux jeunes femmes qui ont toutes les peines du monde à acquérir les compétences appropriées pour l’économie numérique. Pensez aussi aux millions de nouveaux emplois qui devront être créés afin que l’Afrique subsaharienne puisse récolter le dividende démographique, expression employée pour décrire une période prolongée de croissance forte et inclusive.

C’est pourquoi les pays sont en train d’accroître les investissements et les dépenses sociales en vue d’atteindre les ODD.

Cela n’est pas chose facile : dans des domaines clés tels que la santé, l’éducation et les infrastructures prioritaires, nous estimons que les pays de la région auront besoin d’effectuer chaque année des dépenses supplémentaires, atteignant environ 20 % de leur PIB combiné en 2030.

À l’heure actuelle, l’Afrique subsaharienne n’est qu’à mi-chemin de la réalisation des ODD. Pour y parvenir, toutes les parties prenantes vont devoir placer la barre plus haut.

Certes, il y existe des nombreuses façons de mobiliser des fonds, et la dette est l’une d’entre elles. L’emprunt est utile à condition d’y recourir à bon escient, pour financer des projets permettant de doper la productivité et d’améliorer le niveau de vie, tels que la construction de routes, d’écoles et d’hôpitaux. 

Or, les possibilités d’emprunt sont devenues plus limitées dans cette région. Pourquoi ? Parce que les niveaux de la dette publique ont augmenté rapidement entre 2011 et 2016. Ils se sont depuis lors stabilisés autour de 55 % du PIB en moyenne.

Un vecteur essentiel de ce gonflement est l’emprunt aux conditions du marché, aussi bien dans le pays qu’à l’extérieur, qui représente actuellement près des deux tiers de la dette publique totale. 

Cela signifie que les pays se tournent davantage vers les investisseurs en obligations, les banques commerciales nationales et d’autres prêteurs non traditionnels.

Cette réorientation vers un financement à des conditions non concessionnelles se traduit par plus de dépenses au titre du service de la dette et moins d’investissements publics dans le domaine social.

Il est donc clair aux yeux de tous que les pays ne seront pas en mesure de réaliser les ODD en recourant seulement à l’emprunt, ce qui m’amène à l’approche équilibrée.

2. Trouver le juste équilibre entre les politiques

Permettez-moi de souligner que les objectifs de développement sont réalisables si nous trouvons le juste équilibre entre les politiques, si nous tirons le meilleur parti des efforts de chacun et si travaillons en équipe.

Alors, comment pouvons-nous faire avancer le ballon ? Les pays peuvent appliquer trois tactiques efficaces :

a) Trois tactiques efficaces

L’une consiste à augmenter les recettes publiques. Sur ce point, l’Afrique subsaharienne est à la traîne par rapport à d’autres régions. Selon nos estimations, la mobilisation des recettes est inférieure de 3 à 5 points de pourcentage aux revenus potentiels. 

Il s’agit là d’une possibilité importante pour tous les pays. L’Ouganda, où le FMI a accompagné les efforts de rationalisation de la TVA et d’harmonisation des procédures administratives, en est un bon exemple. Ces réformes ont permis de faire passer le ratio recettes/PIB de 11 % en 2012 à près de 15 % l’an dernier.

Accroître les recettes publiques veut dire en outre mieux rentabiliser les investissements publics — par exemple en appliquant des redevances à l’usage d’une manière équitable et propice à la croissance. Quant à l’équité, tous les pays doivent contribuer à l’élimination des niches fiscales qui ont un effet néfaste sur le développement, ce qui implique d’accélérer la réforme de l’imposition des sociétés au niveau international.

La deuxième tactique consiste à accroître l’efficience des dépenses d’investissement. Dans les faits, seulement environ 60 % des dépenses d’infrastructure de la région contribuent à la création de capitaux publics[vi]. Pour chaque dollar dépensé, on n’obtient que 60 cents d’actifs.

Encore une fois, c’est l’occasion d’enregistrer des avancées significatives en matière de développement. Pour la plupart des pays, cela signifie renforcer les capacités d’évaluation, de sélection et de mise en œuvre des projets. Le FMI fournit à cet effet des outils de diagnostic et une assistance technique, comme il l’a fait récemment au Mali, au Niger et au Burkina Faso. 

La troisième tactique consiste à renforcer la gestion de la dette publique. L’objectif est avant tout de renforcer la transparence en matière de dette en fournissant des données exactes, complètes et actualisées. Une meilleure gestion de la dette suscite la confiance des investisseurs, contribue au développement des marchés nationaux de capitaux et réduit le coût du service de la dette.

Dans cette région, il est plus urgent que jamais de faire preuve d’efficacité dans la gestion de la dette en raison de la complexité accrue du profil de la dette, notamment la plus grande sophistication des instruments de la dette, et du rôle plus important des prêteurs non traditionnels, tant publics que privés.

C’est pourquoi le FMI, en étroite collaboration avec la Banque mondiale, aide ses membres à renforcer les institutions chargées d’enregistrer et de suivre l’évolution de la dette et d’établir des rapports à ce sujet. Nous proposons en outre des cours en ligne gratuits qui renforcent les capacités des fonctionnaires à effectuer des analyses de viabilité de la dette et des travaux dans de nombreux autres domaines.

Naturellement, le renforcement des capacités n’est qu’un exemple parmi d’autres de la manière dont nous pouvons promouvoir cette approche équilibrée. Nous sommes profondément mobilisés : nous donnons des conseils sur les politiques à adopter et accordons un soutien financier aux pays, notamment sous la forme de prêts à taux zéro. 

Et pourtant, même si les pays appliquent ces trois tactiques, nous devons tous faire plus. Réfléchissez-y : il est capital de dynamiser les ressources intérieures, mais cela ne suffira pas. Même si les pays font des efforts soutenus, il est probable que cela couvrira tout juste un quart des besoins estimés au titre des ODD. 

b) Une équipe mondiale plus équilibrée 

Le moment est venu de faire avancer le ballon, d’équilibrer encore un peu plus les efforts de l’équipe mondiale. Qu’est-ce que j’entends par là ?

Tout d’abord, les pays avancés peuvent aller plus loin, surtout en matière d’aide. L’objectif est de porter l’aide publique au développement à 0,7 % du revenu national des bailleurs de fonds. Ceux-ci pourraient en outre se concentrer davantage sur les infrastructures en accordant des dons et des financements à des conditions concessionnelles pour des projets présentant des taux de rendement crédibles.

L’Afrique subsaharienne offre beaucoup de possibilités et la marge de manœuvre pour travailler en équipe au niveau mondial est importante.

Pensons aux avantages potentiels des nouvelles plateformes communes qui permettent aux partenaires pour le développement d’apporter ensemble un appui aux pays de la région en ce qui concerne des questions essentielles, telles que la fiscalité internationale et l’investissement dans les infrastructures. 

Pensons aussi aux immenses bénéfices que l’on peut tirer d’une meilleure efficacité du partage des connaissances entre tous les partenaires pour le développement et avec les États, depuis l’analyse coût-efficacité jusqu’aux bases de données internationales sur la fixation des prix. Combien coûte la construction d’un kilomètre de route ?

En d’autres termes, il appartient certes au secteur public en premier lieu d’atteindre les ODD, mais cette responsabilité ne peut pas s’arrêter là. Nous devons également faire appel à un plus grand nombre d’acteurs du secteur privé et attirer davantage l’investissement direct étranger pour combler le vaste déficit de financement.

Pour de nombreux pays, cela signifie renforcer la gestion macroéconomique et créer un climat des affaires plus accueillant. Cela supposerait de consacrer des efforts plus importants à la modernisation des cadres juridiques afin de réduire les charges administratives et de lutter contre la corruption.

Il est certain que nous avons besoin d’une équipe mondiale forte pour accompagner ces transformations économiques. Pensons au Pacte avec l’Afrique, qui commence à avoir des effets positifs dans plusieurs pays. Si nous voulons exploiter pleinement le potentiel de cette initiative, nous devons aller plus loin.

Dans certains cas, la communauté internationale doit redoubler d’efforts pour répondre aux défis en matière de sécurité qui freinent la progression des investissements dont les pays ont tant besoin. En outre, dans l’ensemble de la région, nous devons mobiliser davantage d’investissements privés dans les infrastructures énergétiques.

Nous savons qu’un accès plus fiable à l’électricité est indispensable à l’amélioration de la vie des populations et à la mise en place d’économies numériques, et nous espérons qu’un plus grand nombre d’investisseurs prendront conscience de ces possibilités.

Mais surtout, nous devons veiller à ce que tous soient gagnants, acteurs privés comme publics. Le « financement panaché », qui regroupe des dons, des prêts à des conditions concessionnelles et des prêts aux conditions du marché, peut en constituer un bon exemple.

Comment encourager ce type de partage des risques ? Comment pouvons-nous transposer à une plus grande échelle le financement du développement dans l’intérêt de tous ?

Conclusion

Je me réjouis à la perspective de débattre avec vous de la façon dont nous pouvons placer la barre plus haut face à ces questions centrales.

Comme le dit un proverbe sénégalais : « Ce qu’une personne seule peut faire, à deux, on peut le faire encore mieux qu’elle ! »

Tel est l’esprit des Lions de la Téranga, et c’est le même esprit que l’on retrouve au cœur de ce à quoi nous nous efforçons de parvenir ici à Dakar et dans toute l’Afrique subsaharienne.

Il nous incombe conjointement de trouver le juste équilibre entre le développement et la dette, entre le bien-être de la présente génération et les perspectives des générations futures.

À notre tour de jouer!  

Merci pour votre attention.

Kristalina Georgieva, Directrice générale du FMI

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