Professeur Ambroise Bukassa : « Seul un peuple mobilisé peut lutter contre la corruption »

PAR Deskeco - 29 mar 2019 09:41, Dans Actualités

Image retirée.Tous les dirigeants qui se sont succédés depuis 1960 ont pérennisée la corruption jusqu’à la démocratiser. Les études approfondies évaluent à 12 milliards de dollars par an en 2016 la perte réalisée par la RDC suite à la corruption. Au regard de son ampleur dans le pays, l’auteur soutient que la lutte contre la corruption ne devrait pas être le combat d’un individu ou de quelques individus. Pour lui, seul un peuple armé d’une détermination peut lutter efficacement contre la corruption.

Propos recueillis par Amédée Mwarabu

DESKECO.COM : Monsieur le professeur, quel est votre entendement de la corruption  en RDC?

Prof Bukassa : Non, il n’y a pas une corruption définie seulement en RDC. Tous les pays du monde ont des lois répressives contre la corruption. La corruption doit être conçue d’abord comme une offense sur l’économie d’un pays avant qu’il ne soit un problème de droit. Si on se place sur le plan économique comme le font des américains, on n’aura pas la même orientation des sanctions. L’entendement ne sera pas le même que si on se plaçait du point de vue de droit. On peut illustrer ceci par l’exemple d’un fonctionnaire de l’armée qui détourne une malle d’argent destiné à la paie des militaires. Sur le plan juridique, on va le juger et ça va s’arrêter là. Mais sur le plan économique, on dit qu’il y a corruption lorsque quelqu’un a agi de manière non conforme à l’entité qui l’emploie. En économie, vous trouverez des cas qu’on appelle corruption mais qu’on ne trouverait pas en droit. En droit on va parler de détournement des fonds publics.

En économie moderne, on va parler de corruption parce que l’homme a détourné des fonds publics. Les économistes qui s’occupent de la corruption disent ceci, pour que quelqu’un détourne de l’argent destiné à la paie des agents, il faut qu’il y ait une entente au préalable avec les gens de son service. Un comptable de l’armée, avant qu’il ne prenne la malle d’argent, il va essayer de savoir si son chef peut dénoncer ou pas. Avant même qu’il ne détourne l’argent, il va contacter toutes ces personnes pour comploter avec elles. Ces gens là vont accepter avant même qu’il n’ait déplacé de l’argent. En économie, on est déjà dans la corruption.  C’est pourquoi pour les économistes modernes, tout détournement d’argent est une corruption parce que s’il n’y avait pas corruption, l’homme n’arriverait pas à détourner de l’argent.

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Quelle différence faites-vous entre la corruption et le crime économique ?

La corruption rentre dans les crimes économiques.  La corruption est un aspect juridique de la chose. Mais, il  y a des actes qui sont commis avant que ce droit là n’existe pas. On ne peut pas punir parce que ce droit n’existe. On ne peut poursuivre quelqu’un qu’en fonction d’une loi qui existe. La différence est énorme.

Comment est organisée la corruption en RDC ?

Du temps de Mobutu, il semble n’avoir pas existé des groupes mafieux au Zaïre. Aujourd’hui, il y a des groupes mafieux organisés en RDC qui ont même des tentacules à l’extérieur. Il y a la corruption commise par des individus. Maintenant, la corruption embrasse tous les domaines de la vie.  Elle est organisée de plusieurs manières. Elle est organisée par ceux qui ont un pouvoir d’un même niveau. Elle est organisée par ceux qui ont un pouvoir de niveau supérieur avec ceux qui sont de niveau inférieur. Elle est organisée par des groupes mafieux connus qui ont des tentacules à l’extérieur mais qui agissent à l’intérieur. Il y a du tout au Congo maintenant. C’est incroyable ce qu’on voit maintenant. Dans tous les domaines, toutes les organisations mafieuses se retrouvent. Des mafieux connus sur le plan international sont ici en RDC.

Comment la corruption peut diriger tout un pays comme la RDC ?

C’est la question que les gens se posent. A partir du moment où toutes les décisions sont prises en fonction de l’intérêt privé qu’a l’individu sur la décision qu’il va prendre, cet homme là ne prend pas la décision en fonction des intérêts de l’Etat mais bien sur ses propres intérêts. Il utilise l'État. C'est-à-dire l’Etat devient son instrument d’enrichissement. Donc, l’Etat est instrumentalisé. En ce moment là, ce qui dirige ce n’est pas la conscience nationale mais la corruption parce que ceux qui prennent des décisions le font en fonction de ce qu’ils peuvent gagner en retour. C’est la corruption qui dirige le pays. Au parlement, des élus se sont octroyé des émoluments qui n’ont rien à voir avec le travail qu’ils font. C’est un parlement qui est souvent vide. Mais ces gens là ont 11 000 ou 12 000 USD à la fin du mois pendant que les pauvres fonctionnaires ont 100 USD, 200 USD ou  300 USD. C’est une corruption.

Quels sont les chiffres clés de la corruption en RDC ?

Les chiffres clés de la corruption ? Vous pouvez les trouvez dans les détournements des fonds publics, dans le manque à gagner de l’Etat Congolais, dans le conflit d’intérêt. Exemple. On doit appliquer une amende de 1 million USD. On demande à l’intéressé de payer seulement 100 000 USD et celui qui doit appliquer la décision gagne 100 000 USD aussi. Vous trouverez aussi les chiffres clés de la corruption dans les biens de l’Etat spoliés. Les maisons de l’Etat ont été spoliées impunément. Tous les contrats signés entre l’Etat et les entreprises minières par exemple. Si vous prenez tous ces faits là, vous arriverez à un chiffre qui va indiquer ce que le pays perd chaque année à cause de la corruption.

D’après mes relevés, je suis arrivez au montant de 12 milliards USD que la RDC perdait chaque année suite à la corruption. Mais, je ne peux pas prétendre que j’ai tout effectué. Non. Parce qu’on découvre du jour au jour qu’il y a d’autres facettes de la corruption qui échappaient au contrôle. Si vous faites la même démarche, certainement vous arriverez à des milliards.

Vous, vous déterminez donc à 12 milliards USD de perte annuelle suite à la corruption en RDC ?

Oui, mais c’est à l’époque de notre étude qu’on est arrivé à ce chiffre de 12 milliards de dollars. Mais, ce n’est pas exhaustif. Forcément, il y a des choses que je n’ai pas eu la chance de découvrir. La RDC a un budget national inférieur à celui du Congo Brazzaville. Est-ce que c’est normal ? Rien que ça, ça vous donne une indication sur l’importance de la corruption en RDC.

Vos études allèguent qu’il y a des entreprises publiques qui ont de l’argent logé dans des banques à l’étranger et qui échappe au contrôle de l’Etat congolais. Cette pratique est toujours d’actualité ?

C’est l’Etat congolais qui doit le dire. Le fait d’avoir de l’argent à l’extérieur n’est pas mauvais en soi. Si ça sert à importer ou à payer les fournisseurs, tant mieux. Mais l’essentiel est qu’on le contrôle. Mais, si ce n’est pas le cas, il y a des abus. Or c’était le cas.

Etes-vous pessimiste pour le combat contre la corruption ?

On ne peut pas être pessimiste. Moi, j’observe. J’agis en tant qu’observateur. Je ne peux pas dire que je suis optimiste ou pessimiste. Chaque peuple a toujours ses ressorts. Le peuple peut décider demain de mettre fin à la corruption. En ce moment là vous allez voir, les choses vont changer. Rien n’est perdu. Le peuple est dynamique. Il peut demain ou après demain mettre fin à la corruption. Mais, ce n’est pas la lutte d’un individu ou d’un groupe d’individus. Non. La corruption est un monstre à plusieurs têtes. Quand vous coupez une tête, une autre sort. C’est le peuple qui doit lutter contre la corruption.

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