Dans une tribune relayée sur ses réseaux sociaux et dans le journal Le Monde, le prix Nobel de la paix, le Dr. Denis Mukwege, alerte une fois de plus sur les atrocités contre l’humanité qui se déroulent dans l’Est de la République démocratique du Congo, plus précisément au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et en Ituri, des provinces frappées par l’insécurité liée aux groupes armés – soutenus par la communauté internationale – en raison des minerais stratégiques.
« La RDC regorge de minéraux stratégiques, essentiels pour la révolution numérique et la transition énergétique mondiale. Pourtant, la région reste pauvre et instable en raison de l’exploitation violente et illégale de ses ressources naturelles. Celles-ci sont pillées par des groupes armés soutenus par l’étranger et blanchies via des réseaux opaques reliant le Rwanda aux marchés mondiaux, ce qui alimente la guerre et sape l’intégrité de la chaîne d’approvisionnement internationale », déclare-t-il.
Il poursuit :
« En dépit de multiples accords, plus de cent groupes armés et plusieurs armées étrangères opèrent toujours sur le sol congolais en toute impunité. La résurgence du groupe rebelle M23 en novembre 2021, soutenu par le régime de Kigali, a intensifié la crise. Environ 4 000 soldats rwandais auraient envahi les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, s’emparant de vastes territoires riches en minerais et provoquant le déplacement de millions de personnes. En 2025, plus de 10 millions de Congolais – soit quasiment la population de la Belgique – vivent désormais dans la peur, sous occupation. »
Il dénonce par ailleurs le bilan tragique de ces atrocités, qui plonge la population congolaise dans un profond désespoir.
« Selon les Nations unies, le bilan humain est accablant : plus de 26 millions de personnes font face à une faim aiguë ; 7,8 millions sont déplacées à l’intérieur du pays ; 1,6 million d’enfants sont privés d’accès à l’éducation en raison de la destruction ou de la fermeture des écoles. Les violences sexuelles contre les enfants atteignent un niveau sans précédent : entre janvier et février, ils représentent entre 35 % et 45 % des cas signalés de viols et violences sexuelles – soit près de 10 000 victimes, ou une victime toutes les trente minutes. À la fin du mois de mars, le Plan de réponse humanitaire des Nations unies pour 2025 n’était financé qu’à 8,2 %, privant ainsi des millions de personnes d’une aide vitale et plaçant la RDC en tête des crises les plus négligées au monde », déplore-t-il.
Malgré ces violations flagrantes des droits de l’homme, la communauté internationale affiche une indifférence marquée, pratiquant une politique de deux poids, deux mesures.
« Malgré ces conditions catastrophiques, la réponse diplomatique reste au mieux timide. Alors que la communauté internationale a mobilisé sanctions et suspensions d’aides dans d’autres contextes de conflit, elle tolère l’agression illégale du Rwanda au Congo, en violation manifeste de la Charte des Nations unies. La nature des actions du Rwanda en RDC ne diffère pas fondamentalement de celles de la Russie en Ukraine, ce qui soulève de lourdes questions sur les doubles standards mondiaux et sur la valeur accordée à la vie des populations noires », dénonce-t-il.
Pourtant, plusieurs documents officiels ont documenté ces crimes – sans suite.
« Il y a quinze ans, le rapport Mapping, publié en 2010 par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, recensait les crimes internationaux commis en République démocratique du Congo entre 1993 et 2003. Les exactions n’ont pas cessé depuis, et aucune action significative, ni nationale ni internationale, n’a été entreprise pour y mettre fin. Les crises qui ravagent la RDC depuis plus de trente ans sont entretenues par une impunité enracinée et un silence mondial persistant, menant au conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale, avec un bilan estimé à 6 millions de vies perdues », indique-t-il.
Pour lui, voici une solution pour rétablir la paix :
« L’accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération d’Addis-Abeba, signé en 2013, reste un outil essentiel pour traiter les causes profondes de la violence. Sa pleine mise en œuvre, avec une volonté politique renouvelée aux niveaux national, régional et international, est urgente et doit garantir la participation effective des femmes et des jeunes. Enfin, la justice doit être au cœur de toute paix durable, ce que seul un tribunal international peut apporter en RDC, en s’appuyant notamment sur le rapport Mapping comme fondement. »
Pour ce faire, il appelle à « l’organisation d’une conférence internationale sur la paix afin de placer ce conflit oublié au sommet de l’agenda de la communauté internationale, en créant une plateforme de haut niveau pour un dialogue vers une paix globale, juste et durable en RDC ».
Jean-Baptiste Leni