L’Institut Ebuteli a rendu publique une analyse alarmante sur la gestion des ressources minières en République démocratique du Congo, révélant un contraste saisissant entre les milliards générés par l’exploitation du cuivre et du cobalt dans le Lualaba et le Haut-Katanga, et la précarité persistante des communautés vivant au cœur de cette richesse. Alors que ces deux provinces figurent parmi les principaux pourvoyeurs mondiaux de minerais stratégiques, les bénéfices réels échappent largement aux populations locales et aux autorités provinciales, au profit du pouvoir central et de réseaux politico-économiques bien établis.
Des milliards générés, mais une misère persistante à la base
Selon Ebuteli, le Lualaba et le Haut-Katanga produisent chaque année des montants faramineux issus de l’exploitation minière industrielle. Cette manne, qui aurait pu constituer un levier majeur de développement local, alimente en premier lieu Kinshasa et ceux qui contrôlent les mécanismes nationaux de gestion des revenus.
À l’autre extrémité de la chaîne, les creuseurs artisanaux ne gagnent que quelques dollars par jour, souvent dans des conditions extrêmement dangereuses. Les communautés minières, quant à elles, assument l’essentiel des conséquences sociales et environnementales : pollution, déplacements forcés, dégradation des terres et insécurité économique.
Effondrement du cobalt et suspension des exportations : un tournant économique
L’effondrement des prix du cobalt, tombés sous les 22 000 dollars la tonne début 2025 après un pic à 95 000 dollars en 2018, a poussé la RDC à prendre des mesures exceptionnelles. En février 2025, le gouvernement a suspendu toutes les exportations de cobalt. La mesure, initialement prévue pour quatre mois, a été prolongée en juillet avant d’être remplacée le 16 octobre 2025 par un système de quotas.
Pour l’exercice en cours, seules 18 125 tonnes seront exportées, contre 96 600 tonnes prévues pour 2025–2026. Des volumes largement inférieurs aux plus de 200 000 tonnes produites en 2024.
Le gouvernement défend une stratégie visant à stabiliser le marché et encourager la transformation locale, un discours que le président Félix Tshisekedi présente comme une étape vers une « souveraineté économique ».
Un contexte international qui renforce l’enjeu stratégique
Cuivre, cobalt, zinc, manganèse, lithium : les minerais congolais sont au cœur des technologies de la transition énergétique mondiale. Les États-Unis et l’Union européenne ont d’ailleurs placé la RDC parmi les pays essentiels dans leurs listes de matières premières critiques.
Depuis 2018, Kinshasa affirme vouloir reprendre la main sur ce secteur stratégique. Le code minier révisé cette année-là a classé le cobalt parmi les « substances stratégiques » et augmenté la redevance à 10 %. Tshisekedi a également promis de renégocier le contrat sino-congolais de 2008 et d’assainir le secteur. Mais, comme le souligne Ebuteli, cette ambition se heurte à une « capture de rente » orchestrée par les acteurs politiques à tous les niveaux.
Un partage des revenus miniers théorique mais saboté dans la pratique
La Constitution de 2006 garantit aux provinces une autonomie fiscale, notamment grâce à la retenue à la source de 40 % des recettes nationales. Le code minier de 2018 a, lui, instauré un partage clair de la redevance :
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50 % pour le pouvoir central
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25 % pour la province
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15 % pour les ETD
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10 % pour le Fonds minier pour les générations futures
En 2023, le Lualaba et le Haut-Katanga ont généré 1,127 milliard de dollars de redevance minière sur un total national de 1,19 milliard. Le Trésor public a perçu 547 millions de dollars issus de ces deux provinces.
Pourtant, les provinces ne retiennent pas leurs 40 %, se contentant de rétrocessions décidées unilatéralement par Kinshasa : seulement 10,2 % pour le Haut-Katanga et 4,2 % pour le Lualaba des montants auxquels elles auraient droit.
Des administrations provinciales minées par les services déconcentrés
Bien que les deux provinces disposent de directions provinciales des mines censées superviser les activités minières, leur pouvoir réel est écrasé par les services déconcentrés du gouvernement central, notamment le SAEMAPE et les divisions provinciales des mines.
Ces structures, dépendant directement du ministère national des Mines, contrôlent la quasi-totalité des opérations, reléguant les services provinciaux à un rôle symbolique. « Nos services se contentent de recevoir les statistiques fournies par les services centraux, sans possibilité de contre-vérification », déplore un cadre de la direction provinciale des mines du Haut-Katanga cité par Ebuteli.
Une situation d’autant plus préoccupante que ces chiffres déterminent la redevance minière, principale source de revenus provinciaux.
Une autonomie provinciale réduite à une illusion
Le ministère de la Fonction publique a rappelé en décembre 2022 que les services déconcentrés relèvent du pouvoir central, même lorsqu’ils opèrent dans les provinces. Les gouverneurs ne disposent que d’une autorité déléguée et très encadrée.
Dans ce contexte, la promesse constitutionnelle d’autonomie fiscale apparaît de plus en plus comme une « autonomie de façade », selon Ebuteli. Le verrouillage des flux financiers à Kinshasa prive les provinces de la maîtrise de leurs ressources, tout en aggravant les frustrations locales.
Jean-Baptiste Leni