Spécialiste des questions électorales, de démocratie et de développement en Afrique et libre penseur sur des faits politiques et sociaux, Modeste Mbonigaba Mugaruka vient de livrer une réflexion pertinente sur « l’inadéquation flagrante entre les impératifs de développement et la mentalité pour le moins inappropriée des principaux acteurs de ce développement que sont les Congolais », situant le problème depuis l’Indépendance de la République démocratique du Congo jusqu’à ces jours. Aussi propose-t-il une formule salvatrice : « la division du travail citoyen ».
Ci-dessous l’intégralité de sa riche, instructive et constructive communication.
Un démarrage chaotique
Jusqu’au 30 juin 1960, le dernier des agents coloniaux (fonctionnaire civil ou militaire) devait impérativement avoir le profil de l’emploi auquel il était affecté. C’est ainsi que, dans le domaine de l’administration territoriale, par exemple, le Chef de Poste (l’équivalent aujourd’hui du Chef de Collectivité) devait avoir au moins une Licence en Sciences Coloniales de l’Université d’Anvers ! Du jour au lendemain, tout bascule ! Pour bon nombre de gens, l’indépendance est perçue comme l’occasion de prendre la place laissée par le Blanc ! Un ancien « Tailleur de Quartier », sachant à peine lire et écrire, pourra ainsi être bombardé, du jour au lendemain, Administrateur de Territoire ! Dans l’Armée, les Services de sécurité, la Diplomatie et le monde politique d’une manière générale, « L’homme qu’il faut à la place qu’il faut » va cesser d’être, comme par enchantement, un « impératif de gestion ». La voilà l’origine lointaine de ce qu’on appelle aujourd’hui : « chance eleko pamba » (autrement dit, tout est question de chance et non de mérite !).
Or, circonstance aggravante, ils sont, en 1960, à peine quelques centaines (aujourd’hui ils sont peut-être quelques milliers), à comprendre qu’avec les immenses ressources dont dispose leur pays au moment de cette pseudo indépendance, il va leur être quasiment impossible de jouir de la tranquillité nécessaire pour pouvoir s’engager, sans entraves d’aucune sorte, dans un processus de développement harmonieux et avantageux pour eux ! Pour réussir un tel tour de force au moment où, sur le plan géopolitique mondial, la guerre froide est à son paroxysme, il faut en effet commencer par gagner le pari de maintenir le sacro-saint principe de « L’homme qu’il faut à la place qu’il faut », sans lequel l’indispensable efficacité managériale ne semble pas être au rendez-vous… ! Soixante-trois ans après, le constat est que, justement, cette règle d’or n’a pas été observée !
Suite au non-respect de cet impératif, les « dégâts » aujourd’hui sont tels que, pour certains analystes, le pays est totalement passé à côté de son destin ! Un seul chiffre suffit pour illustrer cette affirmation. La Corée du Sud, qui était au même niveau de développement économique que le Congo Kinshasa en 1960, affiche aujourd’hui un Produit Intérieur Brut (PIB) qui tourne autour de 1.500 milliards de dollars américains, contre seulement 50 milliards de dollars américains pour la RDC !
L’impératif de construire un véritable État impartial et protecteur de tous les citoyens, sans discrimination d’aucune sorte, a été également abandonné au profit du maintien d’un … Quasi-État, principalement voué au service des puissants et des gens au pouvoir. Un Quasi-État porté, non pas par une Administration totalement dévouée à la cause du Service Public, mais plutôt par un corps sans âme, sous payé et démotivé, miné par le tribalisme, le régionalisme et toute sorte de clientélisme.
Par ailleurs, pour forger une Nation, il fallait, dès le lendemain du 30 juin 1960, envoyer des signaux forts montrant clairement à tous les Congolais du Sud, du Nord, de l’Est et de l’Ouest que le pays était réellement plus qu’un simple territoire peuplé de plusieurs tribus prêtes à se rentrer dedans à la moindre secousse, mais bien une famille soucieuse de vivre en harmonie ! L’absence d’un État effectivement au service de tous les citoyens et d’une Nation véritablement perçue comme une grande famille, vont sérieusement mettre à mal la cohésion nationale, pourtant indispensable, et créer en outre les conditions propices à toutes sortes de contestations (y compris armées) sur fond de chantage au séparatisme, à la sécession et même à la balkanisation… !
L’impasse
Six décennies, (soit exactement trois générations) d’une telle gouvernance au rabais vont finir par façonner un type de Congolais totalement « étranger » à l’idée même de développement. Son reflexe sera de plus en plus celui du « chacun pour soi » et non celui du travail en équipe, de la mise en commun des efforts ! Sa mentalité sera celle d’éternel assisté et non celle de quelqu’un qui prend conscience d’avoir devant lui un pays à bâtir, de nombreux projets à lancer, un espace à conquérir.
Cette inadéquation entre les multiples besoins à satisfaire et le comportement quelque peu désinvolte des acteurs, va être constaté dès le départ ! C’est en effet depuis Joseph Kasavubu jusqu’à Félix Antoine Tshisekedi, en passant par Patrice Emery Lumumba, Mobutu Sese Seko, Laurent Désiré Kabila, Etienne Tshisekedi, et Joseph Kabila, que tous les grands acteurs de la vie politique congolaise depuis 1960 jusqu’à ce jour vont avoir, chacun avec ses mots, à déplorer cette étrange situation caractérisée par une inadéquation flagrante entre les impératifs de développement et la mentalité pour le moins inappropriée des principaux acteurs de ce développement que sont les Congolais ! Joseph Kabila aura même l’honnêteté de le reconnaître ouvertement et publiquement en déclarant qu’en 17 ans de pouvoir, il n’a pas réussi à changer la mentalité de l’homme congolais ! Ce qui va, probablement, pousser son successeur, Félix Antoine Tshisekedi à considérer et à proclamer le changement de l’homme congolais comme l’un des principaux chantiers de son quinquennat…
Notre proposition
Nous sommes, pour notre part, fermement persuadés que si tout le monde semble avoir fait le constat de l’inadéquation entre l’impératif du développement et le comportement des acteurs, personne n’a encore proposé la formule permettant de résoudre cette équation. Or, notre conviction est que le seul véritable chantier qui inaugurerait la naissance d’un nouveau Congo est bel et bien celui qui s’attaquerait préalablement au changement de l’homme. En d’autres termes, avant d’entreprendre une quelconque action de développement, il faut commencer par « transformer le danseur et l’applaudisseur actuel en revendicateur permanent et pugnace, presque toujours insatisfait » ! Nous sommes heureux d’annoncer que nous avons trouvé la formule magique (?) qui permet de créer ce type d’homme totalement nouveau. Cet homme et/ou cette femme dont la seule préoccupation serait la mise en valeur, pour le bien de tous, des immenses ressources (ressources épuisables !) dont la nature a doté la RDC. Cette formule s’appelle : « La division du travail citoyen » !
Un nouveau Congo voit le jour
En attendant de dévoiler la substance de cette formule, dans les tout prochains jours, nous pouvons d’ores et déjà donner les principaux résultats auxquels elle permet d’arriver.
➢ Le premier résultat, duquel dépendent finalement tous les autres, est celui de transformer en or chaque bulletin de vote, tout en garantissant la participation au vote de tous les Congolais en âge de voter et tout cela, au coût le plus bas possible. En somme, cette formule permet de mettre définitivement fin à l’infériorité organisationnelle de la société congolaise du fait qu’elle rend quasiment impossible l’ascension des médiocres dans les différentes sphères de l’appareil étatique.
➢ Avec des citoyens on ne peut plus vigilants et constamment aux aguets, le chantage au séparatisme, à la sécession ou à la balkanisation, exercé par certaines forces souvent hostiles à notre émergence, devient une entreprise contreproductive.
➢ En transformant tous les Citoyens en « Citoyens-Gendarmes », cette formule rend la corruption à grande échelle au niveau de l’appareil étatique tout à fait inopérante.
➢ Ces Citoyens d’un nouveau type, on ne peut plus exigeants, ne tolèreront aucune forme d’impunité dans le chef de qui que ce soit.
➢ En érigeant l’efficacité managériale en règle d’or, la pratique du tribalisme, du régionalisme, du népotisme et de toute forme de clientélisme devient une incongruité.
➢ Les revendications de toute nature étant désormais gérées de façon « civilisée », les guerres internes, comme forme violente d’expression politique, deviennent un véritable anachronisme.
➢ En devenant véritablement un instrument au service des Citoyens, l’État s’érigera enfin en principal rempart contre les diverses violations des droits humains.
Par ailleurs, cette transformation qualitative de l’homme (du Citoyen, du Peuple) congolais ne peut que susciter de nouveaux comportements et de nouvelles exigences au niveau de l’organisation politique, sociale et institutionnelle. Ces nouvelles exigences sont notamment.
❖ La rationalisation du système électoral pour le rendre plus performant en se fondant uniquement sur ce nouveau paradigme qu’est le « devoir de bien élire ».
❖ La rationalisation du multipartisme comme préalable au financement étatique des partis politiques et comme parade efficace contre la transhumance politique.
❖ La promotion des meilleurs fils et filles de la République exclusivement basée sur des critères d’excellence et le blocage systématique de l’ascension des médiocres.
❖ L’assainissement optimal du climat des affaires se traduisant par une attractivité quasiment unique au monde, une attractivité tellement forte que la RDC serait obligée de « refuser du monde » pour ne retenir que les meilleurs investisseurs ; ceux qui s’engagent pour au moins trente ans !
❖ La maximisation des recettes et la rationalisation optimale des dépenses publiques afin que chaque centime dû à l’État tombe effectivement dans ses caisses et n’en sorte que pour régler ses vraies créances !
❖ Avec des Citoyens organisés comme une véritable Armée déployée sur l’ensemble de l’espace national, l’adoption du fédéralisme paraîtra comme étant la forme de l’État la mieux adaptée à une gestion efficace du pays.
❖ « La Division du travail citoyen » profitera de manière toute particulière à la jeunesse congolaise qui occupera enfin toute sa place et se positionnera comme étant la véritable locomotive de la société.
❖ Avec un peuple désormais constitué d’une « armée » de « bâtisseurs, d’entrepreneurs et de conquérants », le développement sera enfin le fruit d’une croissance optimale et inclusive à même de faire du Congo un pays émergent en mois de 20 ans !
❖ Grâce à la « Division du travail citoyen », la promotion de l’homme et de la femme sera exclusivement fondée sur les qualités intrinsèques de l’un et l’autre.
❖ Last but not least, la construction de l’unité continentale sortira de sa longue léthargie actuelle pour connaître une accélération quasi exponentielle du fait que la « Division du travail citoyen » responsabilise de façon particulière les … « continentalistes ».
Conclusion
C’est pratiquement depuis la naissance du Congo Kinshasa en tant qu’acteur sur la scène mondiale qu’il existe un sérieux problème concernant sa gestion. L’absence d’un ensemble de mécanismes rigoureux et efficaces pour sélectionner, contrôler et sanctionner ceux qui, par définition, sont de simples mandataires est à la base de la débâcle actuelle. Comme c’est l’élection qui est au cœur de cette problématique de dévolution du pouvoir d’État, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples avait organisé, en mai 2002, un séminaire d’évaluation des processus électoraux en Afrique dont la conclusion avait été sans équivoque, à savoir : Il faut imaginer des formules nouvelles en matière électorale pour sortir l’Afrique de sa léthargie actuelle ! Vingt ans plus tard, nous pouvons, avec une certaine fierté, annoncer au monde que nous avons trouvé la formule qui permettrait à un pays comme le Congo de se doter des meilleurs élus d’Afrique (voire du monde) à tous les niveaux de gouvernance (local, provincial et national) ! Dès lors, le bon sens nous commande une seule chose, à savoir : En matière électorale, nous devons tout recommencer !
Mais, sommes-nous seulement doués de bon sens ? That is the question !
Modeste Mbonigaba