RDC : les supermarchés et magasins des Indo-pakistanais, Chinois et Libanais, des véritables enfers pour les employés congolais (enquête)

Supermarché New-Lys
PAR Deskeco - 09 sep 2021 07:39, Dans Actualités

Lorsqu'on se promène dans la mégapole Kinshasa, forte de ses plus ou moins 15 millions d’habitants, on est souvent étonné de la place prise par les supermarchés voire les hypermarchés. Vingt ans plus tôt, seule la commune de la Gombe comptait une petite poignée de supermarchés et de supérettes. Puis, d’année en année, la grande distribution a multiplié ses enseignes et ouvert des magasins dans la plupart des communes, y compris celles populaires. En effet, si les Kinois continuent à aller au marché traditionnel, ils s’approvisionnent de plus en plus dans les supermarchés. 

95% de ces supermarchés sont détenus par les expatriés Indo-Pakistanais, Chinois et Indiens. A titre illustratif, il y a City Market (Sun Rise), qui est l’affaire d’une famille libanaise, arrivée en RDC en 1986. Kin Mart a été également fondé par un Libanais. La chaîne de supermarchés Regal est une filiale de Gay Impex, créé en 1998 par l’indien Parmanand Daswani. Arrivé en RDC en 1993, ce dernier a d’abord opéré dans le commerce général. Il intervient aussi au Congo-Brazzaville sous l’enseigne Park’n Shop. D’autres Libanais et Indiens ont ouvert des supérettes, comme Alimentation Cristal, Munuprix ou Bam à la Gombe.

L'afflux des indiens 

En effet, les Indiens sont devenus les rois de la grande distribution à Kinshasa, concurrençant fortement les Libanais. 

Ainsi l’enseigne Regal a agrandi et modernisé son supermarché boulevard du 30 juin et s’est implantée à Limete. S&K (initiales de Samay Karim), qui a débuté avec une petite supérette à la Gombe, compte aujourd’hui 6 magasins. La chaîne GG Mart s’est établie en plein centre-ville, dans le centre commercial Kin Mazière, ancienne propriété de la famille Mobutu rachetée par des hommes d’affaires indiens et a ouvert un supermarché à Lemba.

L’une des dernières nées est Kin Marché, du groupe Sajico fondé par Sajid Umedali Dhrolia, un homme d’affaires indien qui s’est implanté en RDC avec une société d’import et d’export et est actionnaire de Modern Construction. L’enseigne compte une quinzaine de magasins, dont un hypermarché situé avenue de la presse à la Gombe, et des supermarchés à Kintambo, Bandal, Ngaliema, Binza, Matonge, Masina et Limete. D’autres enseignes, créées par la communauté indienne, ont éclos ici et là comme Swiss Mart et OK Mart.

Les Libanais contrôlent les enseignes Kin Mart, Saba Hypermarket et City Market (Sun Rise). S’ils ont perdu des points dans la grande distribution, ils ont visé l’implantation de centres commerciaux et de malls et dominent la fabrication du pain.

Les conditions de travail et d'hébergement des expatriés Indo-pakistanais, Chinois et Libanais dans leurs propres établissements

Bâtiment indien
Bâtiments où logent plusieurs commerçants expatriés Indo-pakistanais et Libanais, situé au croisement des avenues du Commerce et Kasa-vubu.

Dans ces établissements travaillent, eux-mêmes, les expatriés Indo-pakistanais, Chinois et Libanais, ainsi que des congolais affectés à la caisse, aux services d'assainissement, à la sécurité... Au supermarché NewLys, situé sur l'avenue Tombalbaye à proximité du Rond-point Kin Maziere dans la commune de la Gombe, d'après les informations recueillies auprès de nos sources, les travailleurs indiens évoluant dans cette boîte ont des bulletins de paie et possèdent des contrats de travail. 

Chaque fin du mois, NewLys crédite les salaires de ses agents expatriés indiens dans leurs comptes en banque. « Ils ne touchent pas moins de 400 dollars chaque fin du mois, selon leur hiérarchisation. Ils sont en parfaite harmonie. C'est difficile de voir les chefs indiens gronder ses frères, comme ils font chez nous", témoigne une source qui a requis l'anonymat. 

"Ils sont logés juste au-dessus du supermarché où un espace contenant des lits a été aménagé pour eux", témoigne la même source. Aucun signe de maltraitance n'est signalé à cet endroit.

Au niveau de GG Mart vers rond-point Kin Maziere, les expatriés indiens travaillant dans ce supermarché sont logés dans le même bâtiment. Nos sources ne renseignent pas des signes de traite ou maltraitance.

Plusieurs autres expatriés indiens et libanais qui évoluent dans ce secteur commercial sont logés dans une concession située au croisement de l'avenue du Commerce et Kasa-vubu, en plein centre-ville de Kinshasa. Les policiers commis à la garde nous ont témoigné d'un bon climat de paix qui arrose cet endroit. 

"Ils vivent en paix. Ils font des réunions sur des stratégies pour contrôler les marchés congolais. Ils ont des bus qui les amènent au travail pour les retourner chaque soir ici", relate un policier. 

Du côté de la commune de Kimbanseke, le magasin des chinois "Zhang Ju", situé vers le marché Ngandu, connait la même situation. Les 8 travailleurs chinois passent nuit au même endroit dans les conditions qui leur conviennent, témoigne un congolais, électricien de l'immeuble.

On n’a pas remarqué les signes approuvant la traite des personnes.

Comprendre leur mécanisme d'entrée en RDC

Nos sources renseignent que la majorité des travailleurs expatriés Indo-pakistanais, Chinois et Libanais qui travaillent dans les supermarchés de Kinshasa sont proches des propriétaires de ces établissements.

"Les propriétaires de ces établissements font appel à leurs propres frères ou leurs amis et connaissances pour les engager dans leurs commerces", témoigne Jean-Christophe Bulela, travailleur à Kin Marché. "Ils ne font confiance qu'à leurs propres frères du même pays", poursuit-il.

"Ils arrivent en RDC par avion. Ils sont très fort dans les négociations et sont toujours sous la couverture d'une autorité civile ou militaire du payd. Ce qui fait qu'il est difficile de leur refuser les visas. Il y a parmi eux, ceux qui vivent ici en séjour irrégulier, sans être inquiété", révèle Jean Nzuanzi, garde du corps d'un commerçant libanais.

"Certains arrivent par bateau à partir du Kongo Central... À ce niveau, le contrôle est aussi faible", a-t-il ajouté.

Les supermarchés et magasins des Indo-pakistanais, Chinois et Libanais, des véritables enfers pour les employés congolais

C'est presque chaque année que les employés congolais des commerçants Indo-pakistanais, Chinois et Libanais réclament de leurs conditions de travail et que soit appliqué le nouveau barème de paie dans le secteur du commerce. Le nouveau smig fixé à 4 dollars par jour décidé en 2018 n'est toujours pas entrer en application. Concrètement, les salaires de ces employés locaux sont fort minables : de 30 à 50 dollars, payés parfois en retard. 

Ils dénoncent aussi certaines pratiques de sous-traitance, pourtant interdites dans la législation congolaise depuis 2018, qui continuent à être imposées aux employés locaux. Ils exigent aussi le respect strict des heures de travail.

"On me paie 45 $ mais je travaille de 8h à 18h. Chaque jour, on me donne 2.000 FC des transports. Et je reçois des injures tous les jours", témoigne Fiston Mukoko, un employé d'un magasin indien situé sur l'avenue du commerce.

Ils sont nombreux, ceux qui travaillent sous insultes, debout pendant plusieurs heures et allant au-delà des heures de service.

En outre, ces travailleurs sont payés sans aucun bulletin de paie, et aucun contrat de travail, d’après les infos recueillies auprès de certains parmi eux.

« Si nous travaillons encore dans ces magasins, c’est parce que nous n’avons pas d’autres choix. Nous travaillons sans contrat ; il n’y a pas de bulletins de paie ; nous n’avons pas des postes fixes. Ils nous maltraitent, parfois, ils nous insultent. D’un jour à l’autre, ils peuvent nous licencier sans décompte final. Les services de sous-traitance dirigés par les congolais qui devraient nous défendre ne le font pas », nous a confié Jeannot, un travailleur dans un magasin de libanais au grand marché.

Le ministère du Travail et Prévoyance sociale devrait se pencher sérieusement sur les cas des employés locaux des commerçants Indo-pakistanais, Chinois et Libanais qui travaillent dans des conditions inhumaines. 

Jordan MAYENIKINI

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