RDC-Enquête: que se cache-t-il derrière l’arrêt des travaux sur la route transfrontalière de Kalambambuji entre le Kasaï Central et Lunda Norte ?

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PAR Deskeco - 27 aoû 2021 07:40, Dans Actualités

Baptisée « Route de l’espoir » en raison de son tracé qui ouvre la province du Kasaï Central au marché mondial par le port de Lobito en Angola, la route de Kalambambuji est dans un état impraticable. A ce jour, cette route, longue de 220Km, n’existe plus que de nom et peut être classée dans le registre des grands ouvrages susceptibles de désenclaver cette région du centre du pays mais abandonnés à cause d’une guerre d’intérêts multiples entre les dirigeants politiques. L’espoir suscité par le projet Tshilejelu, lancé le 17 mars 2021 par le Président Félix Tshisekedi et qui intégrait entre autres cette route et la centrale hydroélectrique de Katende, est en train de s’évaporer, au regard de mauvaises nouvelles faisant état de détournements de plus de 13 millions de dollars destinés à ces travaux.  Quel est l’état actuel de cette route dont les travaux de construction avaient été lancés avec pompe en 2014 ? Pourquoi les travaux financés et entamés par l’entreprise chinoise CREC 7 se sont-ils arrêtés depuis lors ? Un groupe de journalistes a parcouru cette route de l’espoir fin décembre 2020. Enquête au cœur d’un gâchis financier aux conséquences réellement incalculables. 

C’est au mois de juillet 2014 que Alex Kande, alors gouverneur de ce que fut la province du Kasaï Occidental, lance les travaux de construction de la route Kananga Kalambambuji, longue de 220 Km. Le coup d’envoi est donné en présence de Li Shaoyou, directeur général de la société chinoise China Railway Seventh Group Corporation Limited, mieux identifiée sous l’acronyme CREC 7. La province vient alors d’être engagée dans un contrat BOOT (Ndlr : Build–Own–Operate–Transfer).Les travaux de l’ouverture de la piste vont se dérouler normalement au grand bonheur de la population qui espérait vivement que cette route va désenclaver la province jusque-là tributaire du Katanga pour son approvisionnement par le chemin de fer, lui-même en état de vétusté très avancé. Pendant cette première phase des travaux, les populations s’organisent et font des échanges commerciaux avec l’Angola de manière informelle. Le marché de Kananga est inondé des produits manufacturiers et de construction en provenance de l’Angola et il s’observe une tendance à la baisse des prix. 

Alors que tout semble marcher pour le meilleur, les travaux de construction de la route de Kalambambuji vont connaître un arrêt au deuxième semestre de l’année 2016 à cause de l’insécurité créée par «la guerre de Kamuina Nsapu», une insurrection armée qui sera matée dans le sang et paralysera toute la région des Kasaï. Sur le plan politique, Alex Kande est déchu de son poste de gouverneur et remplacé par Denis Kambayi fin décembre 2017. 

A son avènement, Denis Kambayi découvre que les Chinois ont ouvert la route au trafic, perçoivent les frais de péage alors que la route ne se trouve qu’au stade de la piste et ce, en violation du protocole d’accord signé par son prédécesseur. Le gouverneur se fâche et tente alors de s’emparer des postes de péage au détriment des partenaires chinois. En réaction, ces derniers bloquent la route en démontant une partie du pont jeté sur la rivière Lueta. En effet, pour faire face aux difficultés d’importation des matériels de construction de la route en provenance de la Chine et qui doivent passer par le port angolais de Lobito, les ingénieurs chinois avaient jeté deux ponts flottants sur la rivière Kasaï et sur la Lueta. 

L’intervention de Kinshasa pour sauver les meubles

Informé de la situation, le président Joseph Kabila avait dépêché une délégation de haut niveau à Kananga. Pour faire fléchir la partie chinoise, un nouveau cahier des charges (avenant) est signé le 6 octobre 2018 entre le gouverneur Denis Kambayi du Kasaï Central et Li Shaoyou de CREC7, en complément du protocole d’accord initialsigné en 2013 sous le gouverneur Alex Kande.  

Le nouveau cahier des charges signé sous la médiation des conseillers de la présidence de la république et en présence des députés provinciaux redéfinit les charges des deux parties. CREC 7 accepte de réhabiliter les différents endroits de la route abimés en raison de son ouverture, la construction des ponts Lueta et Kasaï suivant les normes de la SADC ainsi que l’asphaltage dans un premier temps d’au moins 10 kms de la route à partir de Kananga. Le cahier des charges dispose en son article 3 que « le coût des travaux sera hors taxe et financé par les recettes de péage et de pesage ainsi que le préfinancement consenti par l’entreprise CREC7 » pour les six premiers mois des travaux. 

De son côté la province accepte d’accorder à CREC 7 la concession exclusive de toute l’étendue de la route et la perception des recettes de péage et de pesage des véhicules assorti d’une clé de répartition des recettes dont 30% sont prélevés et repartis entre la province (10%), 10% également en faveur de CREC7, la mission de contrôle mixte devait bénéficier de 4%, 5% de ce montant devaient couvrir les frais sociaux pour promouvoir le développement dans la zone du projet et 1% serait comme frais des études. 

Alors qu’on se posait la question de la destination prise par la quote-part réservée à la province et à combien se chiffraient les fonds lors de son départ du gouvernorat, Denis Kambayi affirme n’avoir jamais reçu un seul franc congolais.

Maladresse et manœuvres politiques

L’histoire pour la construction de cette route remonte aux années 2008 lorsque Trésor Kapuku alors gouverneur de province initie un projet destiné à désenclaver l’ancienne province du Kasaï Occidental par la voie terrestre en construisant deux routes dont celle devant relier la partie orientale, à partir de Kananga, à la province angolaise de Lunda Norte, voie obligée pour avoir un accès à l’océan Atlantique par le port angolais de Lobito. Les études de faisabilité avaient imaginé un tracé de 300 Kms à partir de Kananga jusqu’au village frontalier de Muenyambulu dans leterritoire de Luiza côté de la RDC. Ces études ont englouti la somme d’un million de dollars américains, selon un ancien député provincial, président de la commissionéconomico financière de la législature de 2007 à 2018. 

En dépit de ces études de faisabilité fortement médiatisées, le projet ne connut aucun début d’exécution. Selon Alex Kande, un autre ancien gouverneur du Kasaï Central, ces études n’ont jamais été mises à la disposition de la province. Il affirme avoir, en son temps, écrit au cabinet d’experts désigné pour cette fin mais sans réponse jusqu’à son départ du gouvernorat. Après la démission du gouverneur Kapuku, son successeur, Hubert Kabasubabu, reprit le projet mais sans rien faire à part quelques descentes sur le site aux frais du trésor de la province. Fin 2012, l’ex Kasaï Occidental a un nouveau gouverneur. Alex Kande hérite de ce projet et le redimensionne par un nouveau tracé qui part de Kananga jusqu’au village de Kalambambuji, soit 220 Kms. Vite, il trouve des partenaires qui acceptent de financer et d’assurer la construction de la route.

Le 6 novembre 2013, en application de la loi portant libre administration des provinces, le gouverneur Alex Kande signe avec la China Railway Seventh Group Corporation Limited (CREC7) un protocole d’accord pour la construction de la route. Ce protocole dit partenariat stratégique et financier avait pour objet la construction d’un pont sur la rivière Kasayi à Kalambambuji, la construction des infrastructures devant abriter les services de l’Etat au poste frontalier de Kalambambuji, la construction d’une route reliant le territoire de Luiza à la ville de Kananga et la réhabilitation de l’axe routier Kananga-lac Munkamba. Outre ces ouvrages, le protocole prévoit également la construction d’un barrage hydroélectrique sur les chutes Mbombo situées à Kananga et l’étude, la conception et la construction de toutes autres infrastructures socio-économiques dans la province.

Défaillance des financements publics

Il ressort du contenu de l’accord que la société CREC-7 devait, sur fonds propres estimés à 25.000.000,00 USD (vingt-cinq millions de dollars américains), construiredans un premier temps, deux ponts, le premier sur la rivière Kasaï entre la RDC et l’Angola et le deuxième sur la rivière Lueta à l’intérieur de la RDC et une route en terre battue longue de 220 Km sur le tronçon Kananga-Kalambambuji. La durée des travaux était estimée à 18 mois (du 1er janvier 2014 au 30 juin 2015) et devaient consister à réaliser les étapes suivantes: l’ouverture de la piste, la construction de la saignée, la construction des avaloirs, la construction des égouts, la construction des canaux de drainage et le rechargement de la route avec les matériaux sélectionnés.En attendant des opérations de modernisation de la route, il était prévu l’entretien des ouvrages du 1er juillet 2015 au 30 juin 2018 concrétisé par la réhabilitation de différents endroits abimés du tronçon Kananga – Kalambambuji et l’asphaltage de 10 Km de route à partir de Kananga. Aussi, les dépenses effectivement engagées par la société CREC7 de tous ces travaux, devraient être certifiées par les fonctionnaires dirigeants du gouvernement provincial du Kasaï Occidental désignés à cette fin.

Le financement ainsi consenti par CREC-7 devait être remboursé notamment par l’instauration d’un système de péage et de pesage des véhicules automoteurs utilisant le tronçon Kananga-Kalambambuji pour une durée de 10 ans en plus de l’exploitation des minerais dans la province par CREC7. Nos investigations auprès de la direction des recettes de la province ne nous ont pas permis d’obtenir les chiffres certifiés sur l’ensemble des financements et des recettes réalisées pour cette phase du projet. Jusque-là, les responsables de CREC 7, et notamment son directeur général adjoint Stéphane Mundadi a refusé de répondre à nos questions en dépit de multiples sollicitations de notre part.

En mai 2019, arrive à la tête de la province Martin Kabuya Mulamba. Ce nouveau gouverneur de province a dans son viseur la route Kalambambuji. Pour y arriver, Kabuya crée un conflit avec les chinois de CREC7. Il les fait arrêter par les services de migration au motif que leur séjour à Kananga est irrégulier. Les chinois sont expulsés de Kananga. Le gouverneur Kabuya réorganise à sa guise les postes de péage et y placent ses hommes qui ne font que récolter les recettes sans s’occuper de l’état de la route qui commence à se détériorer. Entretemps, le gouverneur Martin Kabuya tente de négocier avec une autre société le marché pour la construction de la route mais ses négociations n’aboutiront pas. Des personnes ne travaillant pas dans les services publics mais proches du gouverneur Kabuya sont régulièrement envoyées aux postes des péages de cette route pour ramasser les recettes qui n’arriveront jamais dans les comptes bancaires de la province, comme en témoigne un rapport d’une commission d’enquête de l’assemblée provinciale du Kasaï Central qui note un détournement des fonds de péage et met en cause le comptable du gouverneur.

Spectaculaires détournements

Le comptable incriminé a reconnu, hors micro, avoir perçu des recettes des mains des préposés aux postes de péage sur l’ordre du gouverneur Kabuya qui en décidait de l’utilisation et affectation. Mais le gouverneur Kabuya lui-même n’a jamais reconnu avoir géré les recettes du péage à sa guise.

Malgré cette déclaration, et devant l’état de dégradation avancée de la route, les députés provinciaux, après plusieurs tentatives d’avoir des informations exactes sur la situation, ont décidé d’évincer le gouverneur Martin Kabuya pour entre autres motifs : « avoir ravi la gestion du péage de la route axe Kananga-Kalambambuji de la société CREC 7 qui l’entretenait régulièrement et a continué à gérer anarchiquement les taxes qu’il a même doublées sans pour autant songer à entretenir cette route dite de l’espoir pour la province du Kasaï Central», tel que repris dans l’acte d’accusation examiné par l’assemblée provinciale.

Après la déchéance de Martin Kabuya le 24 juin 2020, les choses s’arrangent en faveur des chinois de CREC7 qui reviennent à Kananga flanqués de quelques cadres de l’Udps, le parti du président Tshisekedi. Les chinois annoncent par la bouche d’un des responsables, Stéphane Mundadi, la reprise des travaux sur la route de Kalambambuji à la grande satisfaction de la population. Un semblant de reprise notamment avec la suppression des points chauds et bourbiers. Mais une mission de contrôle du gouvernement provincial dépêchée fin décembre 2020 pour faire un état des lieux des travaux avait conclu que le niveau d’exécution n’était pas satisfaisant. 

Après cette mission du gouvernement provincial, les travaux ont continué à un rythme qui n’inspire pas confiance et personne ne croit en la capacité des chinois à construire cette route. Il en sera ainsi jusqu’au démarrage du projet présidentiel dit « Tshilejelu » (exemple en traduction littérale) au mois de mars 2021, reprenant la route Kananga-Kalambambuji parmi les priorités. Et comme si le sort n’avait jamais été conjuré, des soupçons de détournement de nouveaux fonds affectés aux travaux sont venus jetés un discrédit sur l’entreprise CREC 7 qui, elle, conteste les allégations de l’Inspection générale des finances. On est dans l’impasse. 

Comme on peut le constater à travers cette enquête, le blocage dans l’exécution des travaux de la route de Kalambambuji est dû en grande partie au manque de financements publics et à la maladresse des responsables de la province qui ont succédé à Alex Kande Mupompa et de ceux qui, à Kinshasa, tirent les ficelles dans l’ombre. 

Enquête réalisée par Sosthène KAMBIDI et Edmond IZUBA

 

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