C’est vraiment étrange qu’à Kinshasa, une si grande ville d’environ dix millions d’habitants, où il est facile d’organiser un séminaire, un colloque, ou une rencontre sur n’importe quel sujet, qu’on ait jusqu’à ce jour si peu d’attention portée sur le phénomène « faim ».
Cette indigence médiatique devient encore plus choquante lorsqu’on songe au sens profond du problème de la faim, à son importance transcendante et à son impérieuse finalité organique ; pourtant le kinois voit les affamés faméliques, les mendiants, les enfants de la rue sur les routes de chaque commune, parfois près de sa maison. On sait qu’ils dorment dehors, dans les tranchées, dans les vérandas de magasins non gardés, ou à la belle étoile sur les routes, mais personnes ne se demande comment ils mangent, et où ils trouvent de la nourriture.
Alors que si on fait une analyse sur la faim et les autres grandes calamités qui s’acharnent sur la capitale de la RDC comme la Covid, la malaria ou la fièvre typhoïde, on constate que la faim est précisément l’épidémie la plus transversale dans ses causes et dans ses effets.
Les ravages de la faim à Kinshasa sont plus importants que ceux de la malaria, et de Covid réunies. A cette sinistre primauté de la faim sur les autres fléaux, vient s’ajouter le fait médicalement admis, qu’elle constitue la cause journalière la plus constante, la plus effective des guerres et presque obligatoirement le terrain propice à l’éclosion de grandes épidémies. Pourquoi un problème aussi grave est-il ignoré par les politiques et les cercles intellectuels, laissant les médecins se débrouiller seuls dans leurs cabinets, sans moyens, sans solution.
On justifie ce silence par le fait que le phénomène faim serait classé moralement parmi cette sorte d’interdits, car le besoin d’aliment et le besoin sexuel collent à notre instinct primaire et par conséquent, peu acceptable de parler publiquement, de ce qui est instinctif et ne relevant pas de la raison. En considérant l’instinct comme animal et seule la raison comme sociale, le congolais est envouté par la conception occidentale de la vie. Le kinois voudrait pouvoir nier illico le pouvoir créateur de l’instinct et le tenir pour une quantité négligeable.
L’âme occidentale moyenâgeuse du catholicisme logé en nous par la colonisation belge fait du sexe et de la faim des sujets tabous, impurs, scabreux et par conséquent indignes d’être abordés. Ceci malgré l’acceptation par le même Occident de la théorie de Freud selon laquelle l’instinct sexuel est une force invincible, si puissante qu’elle affecte la conscience et la domine entièrement.
A côté des préjugés moraux, il faut ajouter les intérêts de l’équipe dirigeante contribuant à bannir la donne faim du panorama de la vie. Car ce que déteste tout dirigeant c’est d’apprendre que ses concitoyens meurent de faim ; symbole qui exhibe l’incapacité des autorités à s’occuper de leur peuple.
De plus, un gouvernement comme celui de 2012 ou de 2019 qui nous promettait l’élévation du taux de croissance et qui érigeait en outil politique la propagande éhontée d’une prospérité illusoire, ne peut voir d’un bon œil des tentatives qui serraient venues démontrer clairement à la population de Kinshasa et à la face du Congo à quel point la faim présidait aux destinées des kinois. A Kinshasa quand on parle de la faim ou quand nous lisons que les masses humaines en proie à la famine dépérissent et meurent faute d’un minimum de nourriture, les premières images qui surgissent dans notre conscience sont celles classiques de camp des réfugiés où de multitudes affamés qui portent sur leur visage, dans leur geste et dans leurs attitudes lasses, l’empreinte sinistre de la faim. Images d’hommes, des femmes et d’enfants errant tels des fantômes dans un monde perdu, les yeux exorbités, tandis que les misérables lambeaux de leurs vêtements se balancent sur leurs squelettes dont les os saillent à leur peau.
Et si les ravages causés par la faim à Kinshasa ne sont pas aussi documentés qu’ils le sont pour les déplacés de Masisi, ni aussi spectaculaires que durant la guerre du Rwanda contre l’Ouganda à Kisangani, ils n’en sont pas moins tragiques, car à Kinshasa jour après jour, ces ravages se font sentir plus perfidement, minant la population dans une constante action destructrice.
Comme on le sait, la faim à Kinshasa n’est pas une nouvelle du jour. Elle a été utilisée comme arme de combat par les autochtones contre les conquérants de 1878. C’est Stanley lui-même qui nous l’affirme. Les premiers heurts dans la création de la ville, seront la conséquence de cette conception belge du mépris envers l’autochtone, mépris extrêmisé par la séparation suivant les races voulue par le conquérant. Morton Stanley dans cinq années au congo, édité à l’institut national de géographie à, Bruxelles en 1927 écrit : « Nous venions d'atteindre le sommet des hauteurs qui bordent la rive méridionale, quand survint un second courrier qui apportait, de la part du chef de Léopoldville le Capitaine Braconnier Charles-Marie. Tandis que l'abondance régnait chez les Indigènes, la garnison de Kinshasa était en proie à une honteuse disette, parce que les autochtones meurtris refuseront de vendre leur production agricole aux européens de la station ».
Pour comprendre pourquoi un simple basculement vers le haut de la population de la capitale se transforme en famine destructrice, comprendre pourquoi les conditions de la production agricole et les relations sociales ne peuvent plus faire face à cette augmentation, il faut rechercher les racines et les mécanismes du déséquilibre mis en place depuis plus d'un siècle.
C’est lors de l’arrivée de Stanley durant son deuxième voyage pour installer le poste sur la colline Nkonzo Ikuzu à Ntambo que commence le phénomène. C’est à Ntambo aujourd’hui Kitambo que Stanley et Suzi s’installèrent en 1881 pour fonder le Poste de Léopoldville, un point du départ de la pénétration vers l’intérieur du Congo. Grâce aux biefs navigables du fleuve Congo et de ses affluents, Léo devient le relais entre le pays et le monde extérieur.
Dans l’esprit de l’envahisseur, la ville de Léopoldville ainsi créée, ne devait être habitée que par les européens. Les autochtones ne pouvaient y venir que pour vendre leur force de travail comme contractuels. Dès la fin du contrat, ils devaient rentrer dans leurs villages respectifs. Cependant le fonctionnement des industries et de l’Administration avait besoin des auxiliaires et des ouvriers en permanence. Le colonisateur fut rattrapé par la réalité sur le terrain et accepta finalement de créer des sites pour loger les travailleurs. Ces campements appelés Cité africaine, comprenaient les « camp Luka, camp Christ Roi, Camp Otraco, Camp Mombele, Camp Sabena, camp Utexléo, camp Chanic, camp Citas, sous la forme de bidonvilles semi ruraux.
Cette action est à la base de l’urbanisation de subsistance de la capitale. Celle-ci a été officialisée en 1889 et consignée juridiquement en 1913 il y a plus d’un siècle ; quand le Gouverneur général Fuch, pour respecter la doctrine ségrégationniste raciale, prit une ordonnance obligeant les gens de couleur, considérés comme simples fournisseurs de force de travail, à résider dans les centres extra-coutumiers désignés par un administrateur. En 1923, la population de Léopoldville atteint 17285 habitants. En 1926 elle oscille le chiffre de 32.242, mais en 1927 pour éviter la famine suite à cette augmentation, par les méthodes autoritaires de déportation, l’Administration coloniale ramène le volume de la population à 23.964 en renvoyant 8500 personnes dans le Kwilu. Malgré cette politique de renvoi de la population urbaine vers les campagnes, le nombre finit par atteindre 46.088 habitants en 1929 et la même Administration le ramena à 39.530 par un renvoi de 5.500 dans les villages. La politique de réduction forcée de la population continuera en 1931, 1932 et 1933 pour atteindre 27.510 habitants en 1934. C’est à partir de 1936 que les migrations vers Léo vont reprendre pour atteindre environ 362.641 habitants en 1954.
Au lieu de chercher des solutions appropriées, les Ministres des colonies issues du Parti catholique belge, préféraient renvoyer de force les immigrés vers les villages ou au Kwilu pour les astreindre à s’engager aux palmeraies d’Unilever, une agro-industrielle qui produisait l’huile de palme d’exportation. L’élément colonisateur belge était hostile à tout ce qui ne récompensait pas directement et immédiatement ses plans de conquête mercantile. Il préférait le cycle d’abattage du bois pour l’exportation, de la canne à sucre, de l’extraction du caoutchouc, de la culture du thé, du café, du cacao et de l’arachide ; cultures imposées et respectant le pacte colonial. Ainsi un secteur agricole extensif d’exportation s’est généralisée dans la province de Léopoldville, à la place de la culture vivrière qui aurait pu assouvir la faim des indigènes.
Pour justifier son action, l’Administration coloniale prétendit que la famine à Kinshasa était le seul résultat de l’augmentation de la population de la capitale, véritable cataclysme naturel contre lequel il n'y aurait rien ou peu à faire. Et si les hommes y contribuent pour une part, cela tient à l'archaïsme, à la traditionalité, à l'irrationalité de leurs comportements, à leur démographie galopante jointe à l’oisiveté et à la paresse. A la limite et nous avons entendu l'argument, ces kinois sont les artisans de leur propre malheur.
Désigné Ministre des Colonies en 1954, le libéral Auguste Buisseret ne cautionnera pas la politique de déportation mise en place par les démocrates-catholiques. Il va lui, prôner le développement des campagnes congolaises afin de stopper l’exode rural vers les villes. Cette politique appelée le développement de 125 territoires bien qu’exigeante va payer.
Suite à la planification territoriale de l’essor économique, les migrations se feront d’elles-mêmes dans le sens inverse, c’est-à-dire de Kinshasa vers les villages de l’intérieur du pays, et la population de la capitale passera de 362.641 à 347.970 en 1958. Se croyant toujours capable de renvoyer par force les populations de Kinshasa dans la « brousse » l’ancien Gouverneur général Pétillon devenu Ministre des colonie en1958 abandonna la politique de son prédécesseur. Malheureusement pour lui l’esprit des congolais avait changé et l’ABAKO s’opposera à cette injonction jugée colonialiste. L’exode rural reprit et la population de Léopoldville augmentera jusqu’à dépasser 400.000 âmes en 1960.
Aujourd’hui on se demande, étant donné les vastes étendues entourant la capitale et l’infinie variétés de ses zones végétales, pourquoi le colonisateur n’a pas voulu organiser l’agriculture de la périphérie de la capitale, pour produire assez d’aliments et nourrir rationnellement une population plusieurs fois supérieures aux effectifs humains de Léopoldville.
En 1961, confronté à l’afflux massif des réfugiés en provenance des Bakwanga, Elisabethville, Stanleyville et Luluabourg, l’approvisionnement de la capitale en vivres faisant défaut, le Gouvernement devant satisfaire les urgences de nourrir de centaines des milliers de gens en détresse, accepta l’assistance alimentaire des Etats Unis basée sur la loi 480. Au début c’est la Fondation Ford et la Fondation Carnegie qui achetaient le surplus agricole américain comprenant la farine de maïs, la farine de froment, les poulets, le lait en poudre, le riz et les mettait à la disposition du Gouvernement Congolais pour faire face à la pénurie alimentaire de Kinshasa. Le produit de la vente en monnaie locale constituait les fonds de contrepartie que le Gouvernement congolais empruntait pour accorder les bourses aux étudiants, payer les fonctionnaires et venir aux secours des réfugiés ; étant donné que le colonisateur belge avait laissé vides les caisses de sa colonie.
Le côté positif de l'opération est qu’elle a permis d’éviter des tensions politiques et sociales qui pouvaient naître de la famine ; l’Etat congolais a évité la mobilisation des devises pour l'achat des denrées à l’extérieur. Le côté négatif est qu’elle fut l’accélérateur de la dépendance du pays envers l’Amérique, et a causé un retard dans l’élaboration d’une politique de souveraineté alimentaire pour le pays. Les fonds de contrepartie s'accumulaient dans les banques, demeurant à la libre disposition des Etats-Unis, ne furent pas affectés au développement du pays. La politique monétaire et financière du pays s’est trouvée sous la tutelle de l’Amérique.
Malheureusement, cette aide qui devait permettre la soudure conjoncturelle fut permanente pour les gouvernements successifs. Aujourd’hui elle est remplacée par la politique d’importation et de non financement de l’agriculture locale. Les effets de cette erreur politique sont la mort progressive des campagnes et l’accentuation brusque de l’exode rural vers Kinshasa. Les villageois ne trouvant pas dans les villages des actions bien enracinées, appuyées sur une exploitation rationnelle du sol, préfèrent venir dans la capitale même comme marginaux.
La loi 480 votée par le Congrès américain en 1954, faisait suite à plusieurs mesures prises depuis 1927 à Washington pour réguler leur production agricole. Depuis 1954, cette loi a toujours été prorogée. Son objectif est clair : faire disparaître les surplus agricoles et aider à l'expansion du commerce agricole des Etats-Unis. Elle organise toutes les exportations agricoles de ce pays, en acceptant les accords de troc et les paiements en monnaie locale.
Elle contribue à élargir les marchés d'exportation, en transformant, à terme, une mesure d'aide en vente en dollars, selon le processus suivant : dans un premier temps, les Etats-Unis accordent des dons ou établissent des accords de troc avec le pays. Dans un deuxième temps, ils signent des contrats payables en monnaie du pays, et enfin en dollars, avec accord de crédit. Le but étant d'intégrer le pays dans des relations commerciales « normales » avec les Etats-Unis.
Puisque les devises du pays bénéficiaire ne sont pas utilisées à l'achat de produits agricoles, elles demeurent disponibles pour l'acquisition de produits manufacturés américains. Ainsi 5 % du produit des ventes doivent être obligatoirement consacrés par le pays bénéficiaire au financement d'activités susceptibles de développer de nouveaux marchés pour ces produits, et 2 % à celles nécessaires au développement de ces ententes : en accordant des prêts, à des sociétés ou à des coopératives destinées à fabriquer des produits sous licence américaine ou à diffuser de tels produits. A cela il faut ajouter que le transfert des vivres se fait sur les bateaux américains, qui bénéficient ainsi du fret ; enfin, que ce transfert évite des coûts de stockage des récoltes au pays donateur.
En outre, socialement : elle assure le maintien du pouvoir d'achat des agriculteurs USA. Elle contribue à l'équilibre de la balance des paiements, et à l’élargissement de l’influence américaine. Par rapport au marché mondial des produits agricoles, il est clair que l'échange commercial normal effectué selon les mécanismes du marché est préservé ; en outre, cette pratique est un régulateur des cours mondiaux, car le surplus n'est pas déversé sur le marché mondial aux conditions du marché, ce qui accroitrait l’offre et entraînerait une baisse des cours.
La famine à Kinshasa est une vielle chronique. Dans un tel contexte, les termes de « changement climatique », de guerre en Ukraine ne sont pas seulement insuffisants, ils sont mensongers. En les utilisant abondamment, les auteurs visent à masquer leurs propres responsabilités, qui sont écrasantes.
La tragique famine qui frappe aujourd'hui la ville de Kinshasa n'est pas le seul fait de la guerre en Ukraine. Elle est tout autant, sinon plus, le résultat d’une politique de gouvernance inadéquate, menée volontairement par le colonisateur et reprise sans correction aucune par le Congo indépendant. Aujourd’hui on nous annonce encore un autre développement. Développement de quoi ? Développement des inégalités provinciales, développement des villes aux dépens des campagnes, développement des privilèges de quelques hommes politiques au mépris de l’intérêt général, ou le développement des profits des agroindustriels étrangers et de leurs alliés locaux ! L'envers de la médaille, c'est le manque de perspectives pour les masses paysannes, la détérioration de l'agriculture vivrière, l’exode rural de provinces limitrophes et l’accentuation de la famine à Kinshasa.
Comme pour en rajouter à la crise, les importations des denrées ont affecté le régime alimentaire du kinois : la semoule de maïs a remplacé la farine de maïs local, la farine de froment par la fabrication du pain provoque un recul annulatif de consommation de chikwanga, les mil jadis préférés ont disparu, le riz de Bumba est introuvable, les cuisses importées ont ruiné l’élevage urbaine, les cotis ont évincé les chèvres, les moutons et les porcs.
L’inexistence de toute politique agricole dans le pays, la substitution des cultures d’exportation aux cultures vivrières, l'incroyable montée de la spéculation foncière autour de Kinshasa, l'orientation des investissements vers les secteurs de prestige, la désintégration des circuits de transformation, de transport et d'échange, sont la cause réelle de la famine métropolitaine.
Faut-il préciser que la politique agricole n'est qu'un aspect de la politique d'ensemble ? Ainsi les difficultés actuelles pour faire parvenir les produits vivriers aux populations kinoises renvoient à la politique d'infrastructure routière devant relier la capitale aux provinces.
Mais, à long terme, cette imprévoyance criminelle devient l’approfondissement d’une politique systématique : rien pour les paysans et les éleveurs, tout pour les néo-colonisateurs qui achètent les terres. Dans la conjoncture présente, la cession des terres aux firmes étrangères, derrière de grands projets d'apparence généreuse, mais qui ne trouvent aucun financement, ne vise qu'à tirer parti du dépeuplement pour mettre en place de nouvelles formes d'exploitation du sol plus lucratifs, mais toujours destinées à l’enrichissement des dirigeants politiques. C'est ce qui apparaît clairement à l'examen des conventions passées avec les conglomérats asiatiques par nos régimes. On doit dénoncer : la mise en place de faux projets agroalimentaires privés ou semi-publics, les jardins zoologiques privés, le développement du ranching et l'implantation de grosses sociétés cosmopolites qui viennent s'emparer des terres congolaises.
Tout se passe comme si les responsables des destinées du pays depuis 1960 n’avaient pas encore pris à cœur la résolution du problème de nourriture à Kinshasa, en l’attaquant à la racine avec courage et détermination. Voilà pourquoi la faim progresse, la faim décime Kinshasa ; les médecins œuvrant dans les hôpitaux et les pédiatries le vivent quotidiennement.
Dans le cadre de mes enquêtes, j’ai vu dans le cabinet d’un médecin pour enfant dans la pédiatrie de Linguala, un bidon de lait, trois biberons et des boites de biscuits sur le coin droit de son bureau. A ma question de savoir pourquoi tout cela sur son bureau. Il m’a demandé d’être patient car je verrai de mes propres yeux à quoi ces objets vont servir. Trois minutes après lorsqu’entre une femme portant un enfant de deux ans aussi maigre que sa mère, le Médecin sans avoir posé aucune question à sa mère, lui donne le biberon de lait. Cinq minutes après l’enfant ouvre les yeux, le médecin le prend et le fait asseoir sur son bureau et lui donne des biscuits. L’enfant mange et respire d’un grand coup. Le soignant l’ausculte et prescrit des examens à faire au laboratoire. Lorsque la dame est allée au labo, j’ai posé la question au médecin pour savoir si c’est la malaria ou la faim. Le Docteur me dira que ce qui terrassait plus l’enfant, était la faim qui a joué le rôle de marqueur aggravant. J’étais interpellé par ce cas. Le Médecin m’expliquera par la suite que sur 10 enfants qu’il reçoit quatre pouvaient ne pas venir à la pédiatrie s’ils étaient bien nourris. Mon interlocuteur était surpris de constater que je n’étais pas au courant du phénomène de la faim à Kinshasa et me conseilla de visiter la décharge de Delvaux pour voir ce qui s’y passe ou aller à celle de Kinseso nichée derrière la commune de Matete.
La décharge de Delvaux étant d’accès difficile j’ai préféré m’orienter vers la Commune de Matete. A Kinsenso on trouve de petites maisons en tôles de récupération plantées sur la décharge. On ne peut pas parler de bidonville parce que ces cases se distancent de cinq mètres au moins et sont construites sur le flanc de la décharge. On y rencontre des familles et des odeurs que domine cette montagne de détritus de toutes les communes du sud de Kinshasa. Les enfants sont au sommet de cette colline, les adultes au milieu et les femmes en bas tout près du ruisseau qui passe par là et qui est presque obstrué par les détritus. La plupart des familles de ce lieu viennent des villages de l’ex-province de Léopoldville. Celle que j’ai abordée vient des environs de Popokabaka. Le père avait été cherché par son cousin qui vit déjà à Kinshasa. La famille est venue par camion jusqu’à Kingasani où elle comptait s’installer pour trouver un emploi de porteur à l’aéroport de Ndjili. Malheureusement le père n’a pas été embauché, l’aéroport ayant des effectifs en surnombre à cause de la diminution des vols pendant la pandémie de Covid.
D’après son épouse, leur venue à Kinshasa était due au fait qu’au village le bruit courrait sur le nouveau gouvernement qui aurait fait venir les investisseurs qui ont créé des entreprises et embauchaient à tour de bras, la vie à Kinshasa était une merveille, l’ouvrier était si bien payé qu’il arrivait à nourrir sa famille. Malheureusement en arrivant dans la capitale, la famille vit tout de suite que les choses étaient différentes. Certes, Kinshasa est une grande ville avec des buildings jolis partout, mais les embauches n’existaient pas et que l’ouvrier était plus étranglé que le villageois. Bien des choses pour les yeux mais très peu pour le ventre.
Malgré cette déception, l’homme ne se s’est pas laissé démonter. Il s’est mis à lutter de toute ses forces, mais son courage ne lui permettait pas de nourrir, vêtir et loger sa famille. Il était garroté. Il n’avait qu’une seule façon de desserrer le garrot : accepter en attendant, suivant les conseils de son pasteur, d’aller vivre sur la décharge avec son coreligionnaire qui y était déjà. Dans la décharge il n’y a pas de loyer à payer, on mange ce que la décharge offre, on vit sans souci du surlendemain. La décharge est un paradis. Sur l’un de versants l’homme a bâti sa case en tôles. Les murs comme la toiture sont en tôles ramassées sur la décharge tout comme les planches qui soutiennent la case. Tout cela est fourni par cette intime camaraderie avec les détritus.
La décharge est un grand ami, elle fournit tout : logement, nourriture, habit, et vie. Chaque jour quand l’homme sort de sa case pour assister à la première venue des chariots remplis des poubelles, le reste de la famille sort aussi. Les enfants descendent de leur lit en planches ramassées sur la décharge, ouvrent la porte en planches fournies par la décharge et montent au sommet de la montagne de détruits. Ils font caca et pipi sur la décharge, ils enfoncent leurs mains dans les déchets pour fouiller ou ramasser ce qu’ils peuvent manger ou apporter à la famille. Ainsi le père est tranquille, il a des enfants qui se nourrissent eux-mêmes embourbée dans les immondices remplis de ce qui est utile pour la survie. Pendant ce temps, à Kinshasa, le vrai motif des cris d'alarme est la peur de l’explosion populaire que, pourrait causer, l’inflation et la colère des affamés, car le seuil critique est atteint, le scandale de l’expansion de la galère a dépassé tout ce qu’on a connu dans le passé et le discours de la croissance économique n’arrive plus à bercer la population.
Si nous ne voulons pas que la famine de Kinshasa continue à déborder les frontières de la ville et amène une révolution incontrôlée, il est temps de nous persuader qu’avant d’atteindre l’émergence, comme le clament le Fond monétaire et la Banque mondiale, le peuple doit manger, bien manger.
Dr., Dr., Ambroise V Bukassa
Ingénieur2, Economiste, Géographe
Patriote Congolais
+ 243 811780117 +243840942945