L’histoire du Maï-Ndombe est indissociable de celle de la SODEFOR. Cette entreprise, l'une des plus vieilles du secteur, est aujourd’hui considérée comme l’une des respectueuses du code forestier. Elle fait pourtant l’objet de bien des critiques, notamment de ne pas avoir assuré le développement de cette province.
Inongo, capitale du Maï-Ndombe, vit au rythme des générateurs. Il n’y a pas d’électricité, ni d’eau courante. Pas même une route goudronnée. On se trouve pourtant au cœur du bassin du Congo. Autour, la forêt s’étend à perte de vue. Elle représente 9,8 millions d’hectares sur les 12 millions que compte cette province, soit plus de 6% du couvert forestier national.
La plus importante et la plus ancienne société forestière du Congo a pourtant son siège à quelque 110 kilomètres de là, dans la petite localité de Nioki. En 1912, le roi Léopold II crée l’entreprise Forescom qui va l’enrichir au point de lui permettre d’ériger la première tour de Kinshasa et même, dit-on, de toute l’Afrique subsaharienne, l’immeuble Forescom qui reste aujourd’hui encore bien connu des Kinois. Mobutu finit par nationaliser cette société en 1974, mais elle est dissoute 16 ans plus tard. Ses actifs se sont retrouvés - dans des circonstances encore considérées comme obscurs par des acteurs du secteur - entre les mains de Norsudtimber (NST) – un groupe à capitaux portugais basé au Liechtenstein qui exploite aujourd’hui près de la moitié des concessions forestières de la RDC avec ses différentes filiales : Sodefor, Farabola et la Compagnie Forestière et de Transformation (CFT). Ses dirigeants sont deux frères José Albano Maia Trindade et João Manuel Maia Trindade. Ils détiennent 50% des parts à la société des transports AFRILOG.
Selon une étude de la faculté des sciences agronomiques de l’Université de Kinshasa, publiée en 2021, la majorité de bois transformé par la SODEFOR provient des provinces de Maï-Ndombe (81, 10 %), de la Mongala (14, 74 %) et de la Tshopo (4,16 %). Pour ses produits finis en 2020, 79 % du volume de bois a été vendu localement et 21 % livré à l’exportation. L’entreprise compte deux importantes unités de transformation, l’une à Nioki dans la province de Maï-Ndombe, et l’autre à Kinshasa, avec une productivité annuelle d’environ 30 000 m3 et 40 000 m3 respectivement dans des conditions normales, renseigne une étude de l’ERAIFT. La société affirme pourtant n’avoir dans le Maï Ndombe qu’une seule concession forestière en activité, les six autres seraient des concessions de conservation.
«A l’époque de Forescom, on utilisait le courant électrique de la Forescom. Ce qui n’est plus le cas actuellement », déplore M. Izé Bolemo, président du cadre des concertations de la société civile du territoire de Nioki. « L’année passée, nous avons demandé à l’entreprise de nous doter de lampes et d’entretenir des routes. Sur autant des routes sollicitées, ils n’ont réalisé que deux routes et nous ont dotés de 4 lampadaires. D’ailleurs, ces routes entretenues sont aussi déjà détruites ».
“La population ne bénéficie pas de sa forêt”
Dans le Mai-Ndombe, ils sont nombreux à regretter la disparition de la société d'État et à estimer que son héritière Sodefor ne fait pas assez pour la province. Pour Jean-Albert Manzongo, responsable provincial du Fonds forestier National (FFN), une direction provinciale du ministère de l’Environnement située à Inongo, les exploitants forestiers, Sodefor y compris, ont du mal à exécuter les cahiers des charges destinés à améliorer les conditions de vie de la population. « Les sociétés exploitent et exportent les bois mais l’on constate que la population ne bénéficie pas de sa forêt. Certaines entreprises lorsqu’il s’agit d’appliquer les cahiers des charges des communautés, elles construisent des écoles, des hôpitaux avec des matériaux moins durables. Nous connaissons tout ça mais on ne peut pas parler car la politique nous contrôle », dénonce-t-il. « La population n’est pas bénéficiaire de l’exploitation forestière au Maï-Ndombe. Ce sont plus les autorités politiques qui gagnent dans cette exploitation. Ce sont eux qui octroient les concessions à ces entreprises », ajoute-t-il.
« Nous pensons que la SODEFOR détruit nos forêts inutilement », estime Dieudonné Mbota Bonganga, habitant du territoire d’Oshwe et membre du comité de gestion locale du secteur de Lukeni. « SODEFOR a pris nos forêts et nous a interdit de faire la chasse et l’agriculture mais elle ne nous aide pas. C’est criminel. Si la SODEFOR ne veut pas appliquer ce qu’on lui demande que d’autres entreprises prennent sa place », poursuit-il.
Le même point de vue est partagé par Willy Selike, acteur politique et ancien directeur de cabinet adjoint de la gouverneure de Maï-Ndombe Ritha Bola. « La population est roulée dans l’exploitation forestière au Maï-Ndombe. Elle ne trouve pas son compte. Les cahiers des charges ne sont pas rentables pour la population. Ils ressemblent aux contrats léonins où la population est roulée », précise-t-il.
Des écoles sans porte
Jacques Bolanzima, président de la communauté Ibete Bolia, qui sert d’interface entre la SODEFOR et la population, assure que Sodefor a bien réalisé des infrastructures dans trois villages, mais que tout cela remonte à un cahier des charges établi en 2007. À Isongo Bolia, il a été renouvelé en 2012, explique-t-il encore avec deux nouvelles clauses. “A Bolia, elle a construit des bâtiments mais ça reste le finissage. Il y a des écoles qui manquent de portes,”, précise encore Jacques Bolanzima. “La SODEFOR justifie cela par le fait que le compte était arrivé à zéro par rapport à la qualité des infrastructures qu'on avait exigée”. Selon lui, il reste 3 bâtiments non finalisés dans les villages Nkole, Nioni et Ibané. “Les travaux de ces bâtiments datent de 2007 mais ils demeurent sans finissage”, insiste-t-il. Au-delà de ces problèmes de construction, ce que cette communauté reproche surtout à Sodefor, ce sont des arriérés de salaires. “Il y a les travailleurs qui attendent le paiement des arriérés de novembre 2022 qui ne sont pas encore payés. Il y a des agents retraités qui n'ont encore rien touché jusque-là”, énumère Jacques Bolanzima.
Pour Tania Trindade, coordinatrice des études et gestion durable à la SODEFOR et fille de José Albano, il ne faut pas demander à sa société l’impossible. “Il faut savoir que la SODEFOR est une société privée. Nous ne pouvons plus donner notre courant électrique à la population, sinon nous allons faire faillite. Si l’ex-Forescom faisait cela, c’est peut-être parce qu’elle appartenait à l’Etat”, explique-t-elle. Elle assure que sa société paie ses salariés en temps et en heure, les met à la retraite quand ils ont atteint la limite d’âge, quand bien même le gouvernement congolais mettrait en danger leur entreprise. “Imaginez que c’est depuis fin décembre 2022 qu’on n’a pas de permis de coupe mais nous continuons à payer les travailleurs alors que l’entreprise ne produit plus”, s’indigne Tania Trindade.
La dirigeante de SODEFOR assure également que sa société fait de son mieux pour respecter les cahiers des charges, “au regard des fonds générés par les forêts”. “Ces clauses sociales ont fait l'objet d'Autoévaluation par la Communauté en présence des autorités locales, et territoriales donc les P.V. contresignés par tous sont bien disponibles”, assure-t-elle encore. Elle reconnaît que pour les écoles des trois villages, Nkole, Nioni et Ibané, l’autoévaluation de 2011 montrait bien “un niveau de réalisation de 54-55%”, mais qu’il restait 20.997$ pour finaliser ses travaux, sans expliquer pourquoi ça n’a pas été fait. « Il y a aussi une dimension que beaucoup ignore. Quand la SODEFOR construit une école, c’est à l’Etat de la mécaniser pour que ça fonctionne. Sinon, aucun enseignant ne va enseigner sans être payé. C’est ce qui provoque parfois les abandons des écoles. Nous n’accusons pas l’Etat mais nous lui rappelons son rôle », explique encore Tania Trindade.
Deux contrats forestiers menacés de résiliation
SODEFOR est l’une des sociétés qui est aujourd’hui considérée comme étant parmi les plus en règle du pays. C’est l’opinion de la Fédération des industriels du bois (FIB) comme de la Coalition nationale contre l'exploitation illégale des bois (CNCEIB) qui considère cette entreprise comme un “bon élève qui fait des efforts dans ses opérations, bien que tout ne soit pas parfait”. Mais il faut dire que la FIB entretient une relation étroite avec la SODEFOR, puisqu’elle est logée dans le siège même de cette entreprise. Quand SODEFOR est mise en cause, c’est Philippe Nzita, Secrétaire Exécutif de la CNCEIB qui se présente pour faciliter les contacts avec la société.
Il n’y a pas que SODEFOR, une des autres sociétés du groupe Norsudtimber, Forabola, ne se voit rien reprocher non plus par la commission de revisitation des contrats forestiers qui a publié début avril son rapport provisoire. Mais leur petite sœur, CFT, pourrait se voir retirer deux de ses contrats d’exploitation. Cette commission recommande de résilier un contrat obtenu en 2018 pour une concession de près de 221 000 hectares dans la province de la Tshopo. Parmi les motifs, on retrouve l’absence de preuves d’embauches d’employés locaux. Pour une concession de plus de 245 hectares obtenue en 2011, également dans la province de la Tshopo, la commission a décidé de mettre en demeure cette entreprise et de lui donner 3 mois pour régulariser cette situation. Elle lui reproche notamment de ne pas avoir payé la taxe de superficie sur l’année 2022.
Dans son rapport de 2020, l’Inspection générale des finances (IGF) rappelle un fait important et qui explique peut-être les “efforts” fournis par Nordsudtimber en RDC. En 2014, sept de ses contrats de concessions avaient été résiliés et plusieurs motifs avaient été évoqués : l'absence de plan d'aménagement validé par l'administration, la cessation d'activité pendant plus de deux années successives; l'arrêt des activités et le non-paiement de la taxe de superficie; l'arrêt de demande de permis de coupe de bois, le non-paiement des taxes dues à l'Etat. Auparavant, la Sodefor était régulièrement épinglé que ce soit par des ONG comme Global Witness ou même l’Observatoire de la gouvernance forestière, une plateforme de contrôle qui réunit des représentants du ministère de l’environnement, de la société civile et des exploitants.
L'Équipe de contrôle de l'IGF dit toutefois avoir constaté des irrégularités aujourd’hui encore comme des “discordances entre la superficie du titre initial et celle reprise dans le titre converti”, des “attributions abusives” des forêts dont la superficie totale dépasse 500.000 ha par exploitant. La SODEFOR possède une concession de plus de 2 millions d’hectares, selon l’IGF. Mais tous ces reproches sont balayés d’un revers de la main par le patron de la Fédération des Industriels du Bois (FIB), Gabriel Mola Motya. Il assure qu’il s’agit là d’une mauvaise lecture du code forestier par l’IGF et que cette disposition ne s’applique pas aux sociétés ayant obtenu des concessions à une époque antérieure au code forestier.
L'État pointé du doigt
L’absence de développement du Maï-Ndombe pourrait avoir aussi une autre explication. « Les entreprises telles que Sodefor, Era Congo, Folac… payent leurs taxes à la DGRM. Mais, c’est le gouverneur, le patron de la province, qui contrôle tout. Nous faisons des notes de perception dès paiement des taxes par ces entreprises mais une fois que l’argent atteigne le compte de la province, nous ne contrôlons plus rien », révèle un inspecteur de la Direction générale des recettes de Maï-Ndombe (DGRM) qui a requis l’anonymat.
Même constat pour les redevances de l’exploitation forestière ou de la vente des crédits carbones de la province de Maï-Ndombe, selon l’acteur politique Willy Selike. « Les taxes de crédit carbone sont payées à l’Etat. Mais ce dernier ne fait rien pour satisfaire les agriculteurs qui sont interdits d’exploitation de la forêt primaire. Donc, il n’y a que l’Etat qui bénéficie de l’exploitation. La population de sa part ne trouve pas son compte ni de la part des sociétés d’exploitation forestière ni de la part de l’Etat lui-même », dit-il.
“La SODEFOR n’est pas une société d’électricité, elle n’a pas à construire des routes partout dans la province. C’est encore une fois le rôle de l’Etat”, insiste encore Tania Trindade. Pour elle, c’est le mauvais climat des affaires qui “bloque” le développement de la province du Mai-Ndombe. “Si le climat des affaires était bon, nous aurions peut-être plusieurs entreprises dans cette province”, conclut-elle.
Cet article fait partie d’une série d'enquêtes réalisée avec l’appui de Rainforest Journalism Fund, en partenariat avec Pulitzer Center.
Jordan Mayenikini et Armand Minimio