« Nous avons besoin d’un changement radical de direction », a lancé Sima Bahous, lors de la réunion pour réaffirmer l'importance de la résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité, adoptée en octobre 2000, et faire le point sur sa mise en œuvre depuis ses 20 ans, il y a près de trois ans.
Aux yeux de Mme Bahous, les deux décennies écoulées depuis l’adoption de la résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité - qui réaffirme le rôle important des femmes dans la prévention et le règlement des conflits et souligne l'importance de leur participation égale et de leur pleine implication dans tous les efforts de maintien et de promotion de la paix et la sécurité - ont donné lieu à des premières historiques en matière d’égalité des sexes, mais elles n’ont ni modifié de manière significative la représentation des genres dans les négociations de paix, ni changé l’impunité dont jouissent ceux qui commettent des atrocités contre les femmes et les filles.
« En fait, ce 20e anniversaire n’a pas été pas une célébration, mais un signal d’alarme » a-t-elle résumé, évoquant l’évènement marquant l’anniversaire de la résolution en 2020.
« Nous avons prévenu que le fait d’ignorer nos propres engagements en faveur des femmes, de la paix et de la sécurité aurait des conséquences durables et intergénérationnelles pour les femmes, et des effets immédiats et drastiques sur la paix mondiale », a souligné la cheffe d’ONU Femmes.
En finir avec l’apartheid de genre
A titre d’exemple, elle a rappelé les craintes qu’exprimait en 2020, à l’occasion du 20e anniversaire, une femme afghane représentant la société civile : « Zarqa Yaftali déplorait que les femmes aient été exclues de 80 % des négociations de paix de 2005 à 2020, y compris les pourparlers entre les États-Unis et les Talibans, et demandait une fois de plus que « les droits des femmes ne soient pas bafoués pour parvenir à un accord avec les Talibans ».
Depuis lors, ces derniers ont repris le contrôle du pays. Mme Bahous a décrié les nouvelles restrictions imposées par les autorités et l’arrestation récente de la défenseuse des droits de la femme Narges Sadat et de l’universitaire Ismail Meshaal, pour ses prises de position en faveur du droit des femmes à l’éducation. Evoquant la prochaine réunion du Conseil sur l’Afghanistan, elle a appelé ses membres à « parler et agir avec force contre cet apartheid de genre et à trouver des moyens de soutenir les femmes et les filles afghanes dans leurs moments les plus sombres ».
L’Afghanistan, pour être un exemple les plus extrêmes de régression des droits des femmes, est loin d’être le seul, a-t-elle ajouté, évoquant les combats qui durent depuis 2020 dans la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie.
« Nous ne connaîtrons peut-être jamais le nombre de femmes et de filles qui ont été violées, mais la Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie a déclaré que des violences sexuelles avaient été commises à une échelle effarante » a-t-elle rapporté, ajoutant que depuis ce fameux vingtième anniversaire, plusieurs coups d’État militaires dans des pays en conflit, au Sahel, au Soudan ou au Myanmar, ont considérablement réduit l’espace civique pour les organisations et les activistes des droits des femmes.
Violence et misogynie en ligne
Rappelant qu’hier la Commission de la condition de la femme a entamé sa session annuelle sur le thème prioritaire de l’innovation et du changement technologique, elle a cité une étude récente selon laquelle les abus en ligne à motivation politique à l’encontre des femmes du Myanmar ont été quintuplé depuis le coup d’État militaire de février 2021.
« La condition de la femme est assiégée » a-t-elle dénoncé, évoquant le rôle des média sociaux dans la propagation de désinformation et de misogynie violente, et appelant les gouvernements et les entreprises privées à travailler ensemble et à promouvoir la technologie comme un outil de progrès.
Hausse des dépenses militaires
« Alors que l’invasion de l’Ukraine il y a un an a entraîné la plus grande crise de réfugiés en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, les femmes et leurs enfants représentent 90% des quelque 8 millions d’Ukrainiens contraints de quitter le pays », a poursuivi Mme Bahous. Les femmes et les filles représentent 68% des millions de personnes déplacées en Ukraine.
« La paix est la seule réponse, avec l’engagement des femmes dans le processus », a martelé la Secrétaire générale adjointe. Elle a noté qu’en 2020, dans un monde ravagé par une nouvelle pandémie qui montrait l’énorme valeur des soignants et l’importance d’investir dans la santé, l’éducation, la sécurité alimentaire et la protection sociale, « nous avions espéré que les pays tiendraient compte des leçons tirées de décennies d’activisme des femmes bâtisseuses de la paix et repenseraient les dépenses militaires ».
« Au lieu de cela », a-t-elle déploré, « ces dépenses ont continué de croître, dépassant la barre des deux mille milliards de dollars. Ni la pandémie ni les problèmes de chaîne d’approvisionnement n’ont empêché une nouvelle année de hausse des ventes mondiales d’armes ».
Des mesures contraignantes, et un soutien actif aux jeunes femmes
Prônant un « changement de cap radical », la directrice d’ONU Femme a suggéré d’imposer des « mesures exceptionnelles » pour que les femmes participent aux processus de décision, caractérisées cette fois par des mandats, des conditions, des quotas, des affectations de fonds, des incitations, assorties « de conséquences » si elles ne sont pas respectées.
Mme Bahous a également appelé à financer davantage « le meilleur outil dont nous disposons », le Fonds pour les femmes, la paix et l’action humanitaire, qui a déjà financé plus de 900 organisations depuis sa création en 2015, dont un tiers au cours de la seule année dernière. La cheffe d’ONU-Femmes a aussi rappelé l’urgence d’un soutien plus déterminé à la société civile, aux mouvements sociaux et en particulier aux jeunes femmes dans ces pays.
Dépasser les faux semblants
Mirjana Spoljaric, la Présidente du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), a rappelé qu’au vu de « plus de 100 conflits armés » qui font rage dans le monde, « les données sont claires : plus le respect de l’égalité des sexes décline, plus la violence augmente ».
Le CICR, a-t-elle expliqué, constate chaque jour les « effets brutaux » des conflits armés sur les femmes et les filles, aussi bien sur les lignes de front que dans les camps ou les prisons.
Mme Spoljaric a rappelé que le droit humanitaire international, par essence, protège également homme et femme. Elle a invité les Etats à s’assurer que leurs forces armées « disposent des ressources et de l’expertise nécessaires pour prendre en compte la protection de l’ensemble de la population civile » et réclamé des changements « solides, dotés de ressources et mis en œuvre » dans les législations et politiques nationales, y compris l’engagement des pays à favoriser l’action des femmes avant, pendant et après le début d’un conflit armé.
« Les femmes ne doivent pas être présentes à la table seulement pour « faire du chiffre », mais avoir le pouvoir de représenter leur communauté », a-t-elle insisté.
Leymah R. Gbowee, prix Nobel de la paix 2011, a fait écho à cette remarque, rappelant à l’approche du vingt-cinquième anniversaire de la résolution 1325, que les nations doivent investir pour les femmes et la paix et la sécurité, « au lieu de se contenter de faire de cette feuille de route une simple couverture pour leurs échecs à féminiser leurs politiques ; et un moyen d’attirer les bailleurs de fonds ».
Quant à Verónica Nataniel Macamo Dlhovo, ministre des Affaires étrangères et de la coopération du Mozambique, qui présidait la réunion de haut niveau du Conseil, elle a détaillé les politiques menées par son pays, en particulier dans la lutte contre les mariages précoces et rappelé que 43% des parlementaires de son pays sont des femmes. Si la ministre reconnait que la résolution 1325 a constitué un jalon en vue de la pleine participation des femmes aux efforts de paix, elle a exhorté l’ONU à intégrer davantage la perspective de genre dans les mandats des opérations de paix, avant d’appeler, elle aussi, à la pleine application de la résolution 1325 par les Etats membres.
DESKECO avec UN.ORG