Relecture erronée de la programmation monétaire 2021 : l’invitation de Dunning et Kruger dans la vallée de l’humilité
Dans son ouvrage « la mondialisation n’est pas coupable », le Nobel d’économie Paul Krugman, qualifiait « d’économistes pop », certaines personnes qui se faisaient passer pour des économistes et se donnaient des airs d’intellectuels, mais sans avoir à prendre la peine de penser. Krugman finit par comprendre que ce comportement était imputable à une paresse intellectuelle et à des biais de raisonnement et de jugement appelés aussi effet Dunning-Kruger. Ces biais ont été observés dans un article paru le 19 avril courant dans la revue EcoNews, portant sur la relecture de la programmation monétaire 2021 de la BCC. Selon ses auteurs, la programmation monétaire présentée par la BCC contiendrait des incohérences du fait que celle-ci aurait prévu un financement monétaire du déficit du Trésor de 276,8 milliards de CDF. Par ailleurs, ils ont aussi avancé que la progression du crédit net à l’Etat après avril 2020 traduirait l’existence des avances qui auraient été accordées à l’Etat contrairement à la loi et au pacte de stabilité. Malheureusement, cette façon d’analyser les faits révèle des lacunes graves dans le chef des auteurs, qui donnent l’impression de ne pas comprendre ne fut-ce que « l’A-B-C-D » sur les comptes monétaires. C’est dans ce cadre qu’il est apparu nécessaire de les aider avec une explication pédagogique et simple.
- Eclairage sur les mouvements du crédit net à l’Etat (CNE) dans le bilan de la BCC :
- Toute hausse du CNE implique nécessairement deux conséquences : soit une création monétaire (quand l’Etat règle ses opérations en utilisant la monnaie nationale ou quand la Banque centrale achète des titres de l’Etat sur le marché monétaire), soit une destruction des réserves en devises (quand l’Etat règle ses paiements en devises). Cependant, toute hausse du CNE ne signifie pas nécessairement un financement monétaire du déficit du Trésor public. Elle peut simplement traduire une consommation des dépôts de l’Etat logés dans ses différents comptes (compte général et sous comptes). Quand l’Etat rembourse également les bons du Trésor, si le montant des bons échus sont supérieurs à ceux des bons nouvellement émis, il s’en dégagera des émissions nettes négatives dont l’effet sera l’augmentation du CNE. Toute hausse du CNE dans le bilan de la BCC traduit l’existence d’un déficit des finances publiques. L’unique façon de baisser le stock du CNE est d’effectuer un ajustement budgétaire (mobiliser plus des ressources et contenir les dépenses en deçà des recettes). Entre janvier 2020 et mars 2021, le plan de trésorerie de l’Etat a été globalement déficitaire. Il n’y a donc pas eu d’ajustement budgétaire. Conséquence : le CNE a tendanciellement continué à augmenter. Or, tout déficit de l’Etat peut être financé par les canaux suivants : la consommation de ses dépôts préalablement constitués, les ventes des bons, des appuis budgétaires, des ventes d’actifs (concessions minières, etc.), des crédits bancaires. En RDC, il est interdit à la BCC d’accorder des crédits directs à l’Etat (Article 67 de la nouvelle loi de 2018 sur la Banque Centrale (mauvais lecteurs qu’ils sont, les auteurs en sont encore à la vielle loi de 2002) ; Quand le déficit est couvert : (i) Par emprunt (appuis budgétaires, ventes des bons du Trésor), on observe 2 temps :
Il y a d’abord une baisse du CNE à la réception de ces ressources [c’est ce qui s’est passé entre mars et avril 2020 quand l’Etat a reçu l’appui budgétaire du FMI d’environ 364 millions d’USD. Le CNE (palier 1), présenté dans la ligne intitulée simplement « Créances sur l’Etat » (juste en dessous de la ligne « Dépôts de l’Etat »), est passé 1.511 milliards de CDF à 1.015 milliards de CDF, soit une baisse de 496,8 milliards. Notons que ce poste représente un niveau de CNE avant déduction de la ligne « Dépôts de l’Etat ». Ces dépôts sont constitués, non pas des ressources du compte général du Trésor et des principaux sous comptes de l’Etat gérés par le Ministre des finances, mais uniquement des comptes C2D et autres comptes non gérés par ce dernier. Les auteurs confondent le poste intitulé « Créances sur l’Etat » et pensent qu’il s’agit des créances brutes sur l’Etat. Le CNE global (palier 2) – avec déduction des dépôts C2D et autres dépôts non gérés par le Ministre des finances – que l’on retrouve dans la ligne intitulée sur le tableau « crédit net à l’Etat », est passé de 1.388 milliards de CDF à 880,2 milliards de CDF. Ensuite, quand l’Etat se met à dépenser sur la base des ressources obtenues (c’est ce qui est observé immédiatement à partir du mois de mai 2020), le CNE reprend son augmentation tendancielle (cet aspect a échappé aux auteurs). Pour information, le sigle « C2D » désigne les fonds obtenus dans le cadre du « Contrat Désendettement et Développement », un des volets complémentaires de l’initiative PPTE ; (ii) Par consommation des dépôts (utilisation des excédents de trésorerie passés et/ou des ressources logées dans des sous comptes, tels que le fonds minier pour les générations futures, etc.) : il y a un seul temps, à savoir, les créances nettes sur l’Etat augmentent directement ;
- Les auteurs devraient aussi noter que la présentation des statistiques a évolué à la suite des progrès dans les NTIC. Ainsi, la BCC a implémenté, depuis 2007, un système d’information moderne dont l’une des conséquences a été l’abandon de la vieille méthode de présentation des comptes monétaires, en particulier du CNE (qui suivait une logique manuelle). Les billets en circulation ne sont plus obtenus par une différence entre émissions et encaisses. Le CNE ne résulte plus de la différence entre créances brutes et dépôts de l’Etat. En fait, le CNE est directement présenté sur une base nette et est impacté par chaque opération du Trésor en dépenses et en recettes. La ligne « Dépôts de l’Etat » figurant au bilan de la BCC ne représente pas les ressources logées dans le compte général du Trésor, ni dans les sous comptes de l’Etat gérés par le Ministre des finances. La naïveté des auteurs est qu’ils ont cru que chaque mois, et ce, pendant plusieurs mois, les dépôts mensuels de l’Etat (provenant des impôts, taxes, ressources logées dans les sous comptes), étaient plafonnés autour de 50 – 70 millions de Usd (contrevaleur en dollar courant du chiffre retracé dans le poste « Dépôts de l’Etat » au bilan de la BCC) alors que paradoxalement, tous les tableaux statistiques sur les finances publiques, produits par la BCC et le Ministère des finances renseignent que l’Etat mobilise, chaque mois, au moins 250 millions d’USD seulement au titre d’impôts et taxes !!! Ainsi, s’agissant du poste « Dépôts de l’Etat », les auteurs devraient se rappeler l’explication donnée au point A. Notez bien : Tous les postes figurant au bilan de la BCC et représentant des créances sur l’Etat, qu’ils soient intitulés « CNE » ou simplement « Créances sur l’Etat », sont établies sur une base nette. Aucun de ces postes ne représentent des créances brutes. Mais ils ont été présentés en 2 paliers. Les auteurs ont menti que la hausse du CNE après avril 2020 est synonyme des avances au Trésor alors que, dans leur fond intérieur, ils savent que, depuis l’obtention des appuis budgétaires en 2020 et la mise en place du pacte de stabilité, la BCC n’a accordé aucune avance à l’Etat. Voici un secret qu’ils n’ont pas voulu divulguer au grand public : c’est grâce à la BCC que le pacte de stabilité est respecté, la BCC ayant maintenu, contre une marée des dépenses, le verrou central du pacte de stabilité (gestion sur base caisse des finances publiques). Les auteurs doivent noter aussi que la présentation des comptes monétaires de la RDC connaîtra, d’ici à juin 2021, une autre évolution à la suite de l’application du Manuel 2000 des Statistiques Monétaires et Financières du FMI. Les améliorations conceptuelles significatives qu’apportent le Manuel 2000 feront automatiquement disparaître ce genre de débat inutile.
- De la programmation monétaire 2021 : le pragmatisme de la BCC
Les auteurs de l’article relèvent que la programmation monétaire 2021 élaborée par la BCC présente des incohérences. Selon les auteurs, les indications publiées sur la page 79 du Rapport sur la Politique Monétaire en 2020 présente une hausse du CNE de 276,8 milliards de CDF en 2021. Ceci traduirait un financement monétaire, contrairement à l’engagement pris par la BCC à respecter le pacte de stabilité. Avant de critiquer, ils auraient mieux fait de chercher à comprendre le processus d’élaboration de la programmation monétaire par la BCC.
La programmation recours à une méthodologie rigoureuse qui prend en compte les projections de tous les secteurs macroéconomiques (secteurs réel, extérieur, monétaire et des finances publiques). Les prévisions de l’activité économique et des prix, des recettes et dépenses du trésor, des paiements extérieurs et du taux de change, fournissent les bases de la projection des comptes monétaires (avoirs extérieurs nets, CNE, crédit au secteur privé, masse monétaire, base monétaire) qui sont présentés dans les bilans respectifs de la BCC et de secteur bancaire. S’agissant en particulier de la prévision du CNE, elle est déterminée sur la base des prévisions du plan de trésorerie de l’Etat (solde de trésorerie prévisionnel). Notons que l’exercice de programmation monétaire veille « toujours » à la cohérence des projections monétaires avec les projections sectorielles (cohérence comptable et cohérence économique). Les supports informatiques qui sont utilisés à cet effet (ex. modèle de prévision avec tableur Excel), sont déjà conçus sur la base des interrelations entre les comptes macroéconomiques et des dispositions sont déjà intégrées pour vérifier automatiquement la cohérence des projections. C’est cette cohérence qui sous-tend dès lors la cohérence des politiques macroéconomiques (politiques monétaire, budgétaire, de change, etc.).
L’ingrédient supplémentaire (que les auteurs ne connaissent pas), qui est introduit par la Banque Centrale, c’est la dimension macroprudentielle, qui insère dans les prévisions la mesure de l’évaluation des risques endogènes et exogènes sur la politique monétaire et le secteur financier (une explication sommaire en est donnée plus loin). La finalité de l’intégration de cette dimension est de conférer à la politique monétaire une dimension prospective. Ceci confère à la programmation monétaire (notamment du CNE) un caractère moins rigide qui tient compte, non seulement des prévisions présentées par les représentants des secteurs spécifiques (ex : prévisions du plan de trésorerie par le ministère des finances), mais aussi des évaluations éventuelles des risques pouvant survenir (ce que ne considèrent généralement pas les représentants des ministères des finances). Il sied de relever que, dans ce domaine, les banques centrales ont acquis une longueur d’avance étant donné leur expertise dans la surveillance du secteur financier et l’utilisation des modèles d’alerte précoce. Ces derniers permettent de rechercher et d’identifier tous les facteurs de risque potentiels, d’estimer l’ampleur de l’impact attendu et la probabilité de réalisation des risques identifiés. Cette info est ensuite incorporée dans la prévision en vue de conférer à la politique monétaire une dimension macroprudentielle, transversale et prospective. C’est ce qui a été fait avec la programmation monétaire en 2021. Elle prévoit bien une hausse des créances nettes sur l’Etat de 276,8 milliards de CDF. Elle a tenu compte, non seulement du PTR prévisionnel de l’Etat, mais aussi des ajustements nécessaires à opérer compte tenu du niveau élevé des risques budgétaires et d’une probabilité de plus en plus élevée de leur réalisation. La notation élevée du risque budgétaire est expliquée par l’épuisement des moyens de couverture du déficit du Trésor public : épuisement des appuis budgétaires ; chute des ventes des bons du Trésor suite aux pertes en capital pour les investisseurs ; consommation accélérée des dépôts logés dans les sous comptes de l’Etat en dehors des prévisions du PTR (cas du fonds minier pour les générations futures) ; faible effort de mobilisation des recettes publiques. Les auteurs et les lecteurs sont invités à lire l’évaluation sommaire des risques présentée à la page 70 du Rapport sur la Politique Monétaire. Les auteurs ont poussé la hardiesse jusqu’à prendre comme référence légale pour leur analyse une ancienne loi sur la Banque Centrale (la loi n°005/2002 du 07 mai 2002) alors que nul n’est censé ignorer la loi. Mal informés, Ils ne savent même pas, plus de 2 ans après la promulgation de la nouvelle loi organique n°18/027 du 13 décembre 2018 portant organisation et fonctionnement de la BCC, que le cadre légal a connu une évolution.
- Conclusion
Les grossières erreurs de raisonnement et de jugement contenus dans l’article « Relecture de la programmation monétaire », montrent que ses auteurs sont affectés par un biais de surconfiance. En surestimant leur maitrise du sujet abordé, ils ont gravi ce que Dunning et Kruger ont appelé « la montagne de la stupidité ». Un ancien haut responsable israélien qualifierait leur article de « mauvais travail effectué par de mauvaises personnes ». Ces auteurs, dont les cœurs sont lents à comprendre au point de désirer, comme des bébés monétaires, le lait macroéconomique, plutôt qu’une nourriture plus solide, sont invités à emprunter la vallée de l’humilité proposée par les deux psychologues.
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