Hubert Kabasubabo* : « Covid-19 en géoéconomie mondiale et son impact économico-politique en RDC »

Hubert Kabasubabo
PAR Deskeco - 18 mar 2020 11:50, Dans Analyses

L’économie de la République démocratique du Congo ne sera pas épargnée par les impacts probables de la pandémie du coronavirus. Autant l’économie mondiale est déjà secouée à court terme par cette pandémie planétaire, autant la RDC doit se prémunir pour amortir les chocs probables. Dans sa tribune, le chercheur Hubert Kabasubabo donne des indications chiffrées de l’impact économique et financier du Covid-19 sur le train-train quotidien de la RDC. Et il dégage, comme proposition, une série de mesures urgentes que doit prendre le gouvernement Ilunkamba. Ci-après, l’intégralité de sa réflexion. 

La pandémie du coronavirus révèle la vulnérabilité de l’humanité, avec un péril de profonds bouleversements quasi-sismiques planétaires, surtout du système économique de la globalisation. Déjà sur tous les cinq continents, avec la chine et l’Italie comme épicentres, plus de 175 000 personnes sont infectées et 6 000 sont décédées. Si sur le plan sanitaire mondial les craintes d’une immense dévastation de l’espèce humaine sont virtuelles, c’est au point de vue économique que les conséquences sont déjà palpables.

Bloomberg projette  l’éventualité d’une déflagration financière mondiale  avec le risque de non paiement de plus de 19 000 milliards USD en dettes des corporations manufacturières, pétrolières et de l’aviation (Bloomberg, 16 Mars 2020). Le spectre des crises économico-financières de 1974 et 2008 profilent déjà à l’horizon, mais dans une version plus apocalyptique, assortie d’une hécatombe sanitaire humaine.

Si en ce qui concerne les Etats développés cette situation révèle «L’Impuissance de la Puissance» (pour paraphraser Bertrand Badie), la situation porte les éventualités d’effondrement social et économique pour les Etats fragiles comme la RDC. En effet, pour la RDC les projections portent mêmes les possibilités d’un ébranlement, loin au-delà d’un système sanitaire essentiellement en dégradation.

Dans cette optique, l’objectif de cette exploration est de fournir une certaine luminescence sur l’impact des conséquences géoéconomiques mondiales du coronavirus sur le plan économico-financier et sociopolitique en RDC. L’argument principal est que les répercussions systémiques en RDC seront mêmes amplifiées par les contradictions politiques existantes combinées à la fragilité financière due au recul économique de 2019.

In fine, la cogitation propose quelques pistes de leadership stratégique proactif pour produire les modalités et actions susceptibles de permettre à la RDC de juguler au minium les conséquences polygonales de cette pandémie en RDC.

LA CHINE COMME USINE DU MONDE : L’EXPANSIONNISTE DU CAPITALISME MONDIAL ET SA VULNERABILITE

Contrairement à ce que les économistes ont  proposé jusque-là comme schéma explicateur de l’émergence de la Chine comme usine du monde, ce phénomène n’est pas exclusivement une stratégie chinoise. Le capitalisme mondial, dans sa faculté d’auto-préservation, a produit et promu la Chine comme espace de réinvention de son système en asphyxie par le mode existentiel occidental moderniste-infinitiste.

Une exploration plus approfondie permet de discerner une stratégie d’auto réoxygénation du capitalisme dans son expansion mondialiste, par les multiples relocalisations des unités de production en Chine. Cette dynamique a été portée par la logique économiste classique essentielle de la maximisation du profit, exploitant la main d’œuvre abondante et moins couteuse en Chine.

Le transfert des technologies et des capitaux vers la Chine, avec d’immenses investissements, n’a fait qu’accompagner essentiellement la capitalisation du principal facteur de  production attractif et compétitif: la main d’œuvre aux couts porteurs d’optimisation de la profitabilité d’exploitation.

Ainsi, d’innombrables entreprises considérées comme les fleurons de l’économie européenne et américaine (Coca-Cola, Apple, IBM, Lévi-Strauss, GM, Renault, Mercedes, Macdonald, Tesla) ont installé des unités de production en Chine. De même, beaucoup de ces entreprises ont fermé dans leurs pays des chaines de production de plusieurs pièces, produits chimiques, habits, chaussures, appareils électroniques, et machines  pour importer ces biens à moindre prix des usines montées en Chine.

Elle est aussi un immense marché pour le capitalisme mondial permettant de maintenir l’élan de l’augmentation des profits. La Chine comme usine du monde est donc un maillon intégré au système capitaliste mondial contrairement à la thèse exclusive de  «Chine communiste» dressée contre le bastion capitaliste libéral.

En fait, on peut même affirmer que la Chine est une extension du capitalisme mondial, sous couvert de la globalisation. Mao s’est retourné dans sa tombe : la Chine a sauvé le capitalisme libéral en lui offrant un espace de réoxygénation. On y cerne un pan de la thèse de la colonisation comme stratagème de sauvetage du capitalisme dans l’éloquente formule de Lénine.

LES CONSEQUENCES DE LA VULNERABILITE DE LA GLOBALISATION AVEC LA CHINE COMME USINE DU MONDE

Dans cette stratégie du capitalisme pour sa réinvention et son expansion mondiale, la Chine étant devenue l’usine du monde au profit des puissances financières internationales, elle est aussi automatiquement devenue la principale consommatrice des matières premières de la planète. Du pétrole, en passant par le coton, le sucre, les produits miniers, l’usine du monde en est le principal centre d’absorption.

Ainsi donc, aujourd’hui, la pandémie de coronavirus ayant obligé les chinois à fermer les usines, l’économie mondiale est sur l’irréversible pente de la récession. Durant les deux derniers mois, en Chine le secteur du commerce a connu une décroissance de 20,5 %, la production industrielle a chuté à 13,5% et les investissements en actifs fixes ont dégringolé à 25% (Julia Horowitz, CNN Business, 16 Mai, 2020).

Dans cette dynamique toutes les compagnies européennes et américaines ayant leurs usines et sources d’approvisionnement en Chine, vont aussi connaitre inéluctablement la fermeture sur une période plus ou moins longue, avec le risque de graves chutes des revenus. Déjà pour les USA, Goldman Sachs projette une contraction de l’économie américaine à 5% pour le deuxième trimestre (Business Insider, 17 Mars 2020).

Cet impacte porte quatre périls majeurs au plan géoéconomique et géostratégique générale sur tous les cinq continents.

Primo, il y a le non-paiement des dettes corporatives mondiales colossales, qui selon Bloomberg et CNN, s’élèveraient à plus de 75 000 milliards USD. Tablant sur la simulation de la Banque mondiale pour tester la résilience des banques subséquemment au « melt-down » financier de 2008, il est établi que Coronavirus causera le non-paiement de plus de 19 000 milliards USD de dettes des compagnies pétrolières, les compagnies aériennes, et les industries.

Secundo, la chute de revenus causera le non-paiement des salaires. Donc, il y aura contraction dramatique de la demande avec un effet boomerang sur les entreprises tant de services que manufacturiers dont les ventes vont culbuter. L’épargne sera affectée et donc les investissements aussi. Il y a aussi le tourisme qui en pâtira par le double effet de la crainte de contagion et le déficit des marges salariales réservées aux vacances.

Tertio, la trésorerie des Etats sera dramatiquement affectée par la chute des revenus des entreprises qui risquent de poster des pertes énormes, voire de tomber en faillite.

Quarto, au plan politique et sécuritaire, les conséquences risquent d’être aussi dramatiques. Les citoyens dont les rémunérations s’amenuiseront seront donc incapables d’acheter biens et services, s’en prendront à leurs gouvernements. Aux USA, si la récession continue jusqu’au troisième trimestre, le Président Trump peut perdre les élections.

Par ailleurs, cette situation peut aggraver le nationalisme des extrémistes de droite, tout en amplifiant la pauvreté dans les pays déjà assiégés par le terrorisme, poussant encoure beaucoup de jeunes à intégrer les organisations radicales.

Au plan militaire, il sera difficile pour les pays en guerre ou les puissances qui les assistent de réaliser  leurs dépenses militaires dans les proportions initialement calibrées pour atteindre les objectifs stratégiques. Le coronavirus est dont d’un péril géostratégique planétaire polygonale d’une ampleur jamais connue dans toute l’histoire de l’humanité.

LES REPERCUSSIONS DU CORONAVIRUS EN RDC : UNE MASSUE SUR UN PAYS DEJA EN INTENSE FRAGILITE ?

En RDC le coronavirus est comme la menace d’un coup de massue sur une société qui est déjà dans une extrême fragilité sur fond des contradictions politiques. Au plan économique et financier, déjà, au regard du budget de 11 milliards USD, le Ministère des Finances avait produit un plan de trésorerie démontrant un cash-flow total de prêt de 5 milliards USD. Et récemment, le Ministère des finances a publié les chiffres des flux de la trésorerie de Février 2020, qui indiquent un déficit de plus de 100 millions USD.

Les recettes sont de 260 millions USD et les dépenses élevées à 364 millions USD. Et dans ces dépenses 77,9 % sont relatives aux rémunérations et un minuscule 2,5 % aux investissements.  C’est la conséquence d’une gouvernance peu productive en 2019 ayant engendré le ralentissement de l’économie en 2019. La croissance a reculé à 4,6 % alors qu’elle était de 5,8 % en 2018.

Par ailleurs, les réserves en devises trouvées à plus de 1,2 milliard USD en 2019 sont tombées à moins de 800 millions USD. Ce recul a provoqué aussi une régression sociale. La RDC a perdu trois places sur l’échelle mondiale de l’indexe de développement humain, alors de 2001 à 2018, cet indicateur ne faisait que s’améliorer sur fond d’une croissance continue.

Dans cette fragilité déjà existante, les effets des répercussions géoéconomiques mondiales du coronavirus en RDC porte un large spectre. Au-delà des périls sanitaires qui, comme l’a observé le Dr. Muyembe, peuvent engendrer plus de 10 % de décès, on peut cerner cinq rayons de périls sur le plan économique, budgétaire-financier, social, politique et sécuritaire.

Sur le plan économique, la position de la Chine comme usine du monde a fait qu’elle importe et transforme plus de 80 % du cuivre et du cobalt congolais. La Chine importe aussi la plus vaste proportion de notre coltan. Les transactions commerciales entre la RDC et la Chine sont passées de moins de 25 millions USD en 2003 à plus de 2,8 milliards USD vers 2012-2013 voire plus en 2017-2018.

Avec le ralentissement vers la récession de la Chine comme usine du monde, il est donc fort probable que les exportations de cuivre, de cobalt et de coltan vers ce pays, ainsi que les importations congolaises en provenance de la Chine, connaissent un recul de l’ordre de 10 à 30 % dans les trois prochains mois. Cela veut dire que les recettes de l’ordre de 1,5 milliard USD en taxes douanières tel que prévu dans le budget pourraient connaitre une réduction de 100 à 200 millions.

De même les recettes en impôts, projetées à plus de 3 milliards USD, dont une large portion provient des entreprises minières dont les exportations connaitront un dramatique ralentissement pendant au moins trois mois, vont aussi probablement chuter à moins de 2 milliards USD. Et plus grave encore, les recettes des hydrocarbures envisagées à plus de 450 millions USD, en tablant sur le prix de 65 USD le baril, pourraient être révisées à moins de 200 millions USD,  étant donné que le prix du baril a dégringolé à 35 USD.

Donc, de manière générale, même le forecasting de la trésorerie à $5 milliards par le ministère des Finances devra être révisé en deca de 4 milliards USD. Cette projection porte des effets dramatiques sur le plan social. On peut y épingler l’augmentation des arriérés des assemblées provinciales et les rétrocessions aux provinces, le retard dans le paiement des soldes des militaires et la rémunération des fonctionnaires (dont certains sont en grève ou menacent d’y aller), le retard des projets qui patinent déjà, et le déficit en réponse aux besoins sociaux.

Etant donné que le Président est rentré des USA sans promesse ferme d’aide à la hauteur des besoins de la reconstruction colossale de ce sous-continent, l’horizon est donc très sombre sur le plan social. Même l’aide bilatérale et multilatérale risque d’être perturbée.

Au plan politique, l’intensification de la grogne sociale, les promesses dont la réalisation trainera, les projets abandonnés, la révision probable du budget à la baisse, seront exploités par la société civile et l’opposition pour brandir l’inadéquation des gouvernants au sommet de l’Etat. Dans un contexte où ces gouvernants souffrent lourdement de la perception d’une crise de légitimité électorale, il va s’y ajouter la crise de la légitimité de performance.

Concernant l’aspect sécuritaire, les contraintes financières imposeront la révision de certaines dépenses relatives aux opérations tactiques notamment dans l’engagement des FARDC dans le Nord Kivu, le Sud Kivu et l’Ituri. Donc, il peut y avoir recul ou stagnation de l’action sécuritaire à l’Est. Cette projection multi-systémique démontre donc que la RDC est dans une fragilité préexistante qui va amplifier les répercussions des effets géoéconomiques du Coronavirus dans ce pays.

CONCLUSION : L’URGENCE D’UN BRAINSTORMING GOUVERNEMENTALE DE REORIENTATION STRATEGIQUE SUBSTANTIELLE

Les projections effectuées dans cette réflexion ne constituent pas un oracle divin. Il n’y a donc pas une condamnation irréversible à l’hécatombe en RDC. Cependant les stratégistes internationaux prévoient une reprise en U et non en V dans les trois prochains mois, même si on découvre la cure et le vaccin.

Donc, les gouvernants de la RDC doivent impérativement faire preuve d’ingéniosité d’homme d’Etat pour une action d’anticipation sur les répercussions multi-systémiques du coronavirus en RDC.

Une rencontre formelle de marketing politique sans profondeur et dénuée de sagacité stratégique sera inféconde. La première action fondamentale consiste à initier un atelier en brainstorming de réorientation stratégique (repenser les objectifs et actions les plus prioritaires) et opérationnelle (recherche des modalités optimales de l’augmentation des revenus et de la réduction des dépenses).

Les autres actions correctives à envisager sont la rationalisation structurelle de la présidence par la réduction de la moitié du personnel et des dépenses colossales de cette institution. De même il faut procéder à un remaniement du gouvernement en réduisant sa taille à 30 postes ministériels. Ces deux actions à elles seules peuvent permettre déjà de réaliser des économies de plus de 50 millions USD par mois.

Ensuite, il est urgent d’implémenter le plus urgemment possible les dispositifs d’élimination de la fraude fiscale et douanière et arrêter de discourir à ce sujet. Sur le même axe, il est urgent de mettre en place une modalité de taxation du niobium qui est dans le coltan et dans le pyrochlore. Et plus déterminant, les gouvernants doivent faire preuve de réalisme pour obtenir au moins 10 milliards USD auprès des Chinois (qui veulent déjà démontrer leur sens de solidarité mondiale), afin d’accélérer la reconstruction modernisatrice de ce sous-continent.

Le taux d’endettement de la RDC étant à moins de 20 % du PIB (alors qu’il est de plus de 80% pour certains pays Africains), en plus des solutions sanitaires et humaines contre le coronavirus, ces fonds aideront à propulser la RDC vers l’émergence en 2030.

*Kabasubabo H.K (libre-penseur, écrivain, chercheur en gouvernologie)*

 

 

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