Des comptes sur les réseaux sociaux ont semé la désinformation en soutien du magnat israélien Dan Gertler.
Global Witness a mis au jour un réseau en ligne de comptes, sites médiatiques et utilisateurs de la plateforme X aux allures de bots semant la désinformation. L’objectif : soutenir le magnat israélien Dan Gertler, sous le coup de sanctions, et attaquer les groupes de la société civile en République démocratique du Congo (RDC).
Des dizaines de comptes sur la plateforme X et au moins dix sites d’actualités congolais ont publié des affirmations trompeuses au mois de juillet prétendant qu’un tribunal arbitral israélien avait blanchi Gertler de toute accusation de corruption en RDC.
Un groupe de comptes aux allures de bots a ensuite disséminé ces déclarations et s’est servi des articles trompeurs pour militer contre les sanctions américaines frappant Gertler et même, dans certains cas, affirmer qu’il avait été accusé à tort de corruption.
L'homme d’affaires avait été sanctionné par Washington en 2017 pour avoir amassé une véritable fortune grâce à des « contrats miniers et pétroliers opaques en RDC à hauteur de centaines de millions de dollars ayant été le fruit de la corruption ». Ces affaires risquent de faire perdre plus de 3,7 milliards de dollars à la RDC à cause des transactions de Gertler, comme l'estime Le Congo N’est Pas à Vendre
(CNPAV), une coalition d’acteurs de la société civile dont Global Witness est membre.
La tentative manifeste de redorer le blason de Gertler en RDC risque de balayer sous le tapis les activités d'un acteur pourtant sous le coup de sanctions et met à mal tout le travail fait pour y assurer le respect des principes de transparence et d’éthique dans l’approvisionnement des minerais nécessaires à la transition.
Les activités coordonnées par ce qui semble être des bots suggèrent qu'il s’agit d'une campagne de désinformation organisée. Elle fait écho à une campagne de dénigrement pro-Gertler menée contre
Global Witness et contre l’ONG PPLAAF (Plateforme pour la protection des lanceurs d’alerte en Afrique) sur Internet en 2020.
Un acteur soi-disant blanchi
C’est mi-juillet que les affirmations trompeuses portant à croire que Gertler avait été blanchi de toute accusation de corruption en RDC sont apparues. Dans un premier temps, il s’agissait d’articles similaires, voire parfois identiques, publiés dans des médias en ligne congolais.
Ces articles renvoyaient à un reportage publié par Bloomberg quelques jours auparavant portant sur un arbitrage israélien datant de 2024 au sujet d'un litige entre Gertler et deux anciens investisseurs israéliens.
Selon Bloomberg, Gertler avait, pour la première fois, fait état selon ses propres mots de paiements qu’il avait versés à Augustin Katumba Mwanke, un homme de confiance de l’ancien président de RDC Joseph Kabila et de participations dans des entreprises que Gertler détenait pour le compte de Katumba, lors de sa déposition.
Les articles publiés par la suite sur des sites congolais ont affirmé que la décision israélienne au sujet de paiements donnés signifiait que les activités de Gertler en RDC avaient été intégralement blanchies.
Trois articles identiques publiés en français affirmaient la chose suivante : “Il s’agit de la première fois qu’un organisme juridique indépendant et autorisé examine toutes les informations sur l’activité de Gertler au Congo et conclut qu’aucun pot-de-vin n’a été remis.”
Cependant, l’arbitrage, que Gertler tente de faire annuler, portait sur une action civile entre partenaires commerciaux. Les décisions de tribunaux arbitraux sont privées et sont censées demeurer confidentielles entre les parties. Néanmoins, certaines des conclusions ont fait l'objet d'une couverture médiatique, notamment par Bloomberg.
Si l’arbitrage a conclu qu'il n’y existait pas d’« éléments convaincants » prouvant que certains versements effectués au bénéfice d’Augustin Katumba Mwanke étaient des pots-de-vin, il a également souligné qu’il n’examinait pas les paiements qui avaient déjà été qualifiés de pots-de-vin par le ministère américain de la Justice au moment de prendre des sanctions contre Gertler. Le tribunal a également rappelé que l’arbitrage privé avait uniquement vocation à résoudre le différend entre les parties et qu’aucun élément de la décision ne devait être utilisé par quiconque autre que ces parties.
Tout au long de sa vie, Augustin Katumba Mwanke a occupé divers postes, tantôt officiels, tantôt inofficiels. Il a été élu député en 2006 et comme secrétaire exécutif du parti de la majorité présidentielle en 2007, selon des informations relayées par les médias.
Il a été décrit comme « une figure très influente au cœur du cabinet présidentiel de Kabila » et comme l’un des conseillers les plus influents du président exerçant un contrôle « de facto » sur les contrats miniers en RDC.
Dans son livre publié à titre posthume, Augustin Katumba Mwanke décrit comment il a négocié le « contrat du siècle » entre Sicomines et la RDC entre 2007 et 2008.
La publication d'un grand nombre d’articles par des médias de RDC affirmant que la décision avait blanchi Gertler tranche avec les accusations de corruption formulées de longue date à son encontre et ayant conduit le gouvernement des États-Unis à le sanctionner personnellement en 2017.
Par sa décision (prise dans le cadre d’une action civile entre partenaires commerciaux et non pas d’une enquête sur la légalité des activités de Gertler en RDC), le tribunal arbitral n’était pas compétent pour le blanchir de toutes les accusations de corruption et de pots-de-vin en RDC qui ont pu être formulées à son encontre par le passé, contrairement à ce que semblaient affirmer des médias congolais.
Global Witness a contacté M. Gertler pour recueillir ses commentaires. La réponse de son porte-parole :
« Cette décision fournit l'un des examens les plus détaillés de nos activités en RDC et conclut explicitement que rien ne portait à croire que nos activités aient été entachées de corruption. Le juge le souligne à de maintes reprises, si bien que toute couverture médiatique reprenant ces conclusions est journalistiquement correcte, même si cela ne concorde pas avec votre point de vue. » Le porte-parole de Dan Gertler a nié avoir lancé toute campagne médiatique en RDC en lien avec la décision du tribunal arbitral.
Des Comptes aux allures de bots exigent la levée des sanctions
Quelques jours après la publication des articles trompeurs, un groupe de comptes aux allures de bots sur X a affirmé que les sanctions américaines contre Dan Gertler en RDC étaient injustes compte tenu de son blanchissement présumé et que celles-ci nuisaient aux intérêts de la RDC.
Global Witness a découvert 40 comptes, tous créés au mois de février, postant des réponses similaires à un billet posté par Carbone Beni, qui se décrit comme étant « militant pro-démocratie », le 16 juillet sur X.
Les réponses soulevaient des arguments à l’encontre des sanctions frappant Gertler. L'une de ces réponses affirmait : « Chaque jour avec ces sanctions, la RDC perd des opportunités. La décision israélienne doit pousser les USA à agir rapidement pour corriger cette injustice. » Dans une autre, on pouvait lire : « Priver la RDC de ressources à cause de sanctions injustes est immoral. La justice israélienne ouvre la voie à un changement nécessaire. »
Outre les similitudes en termes de contenu des posts, l’analyse de l’historique des comptes suggère l’existence d'une campagne coordonnée. En effet, les comptes ont tous été créés en février 2025 et tous ont publié des posts aux mêmes dates.
Aucun de ces comptes n’a de propriétaire identifiable. Seul un des comptes comporte l’image d’une personne identifiable dans sa photo de profil et une recherche inversée montre qu’elle provient du site Web d’une marque de mode.
Les adresses e-mail associées avec chaque cluster de comptes suivent le même format. Chaque adresse e[1] mail commence par les deux premières lettres du nom affiché pour le compte en question et se termine par ce qui semble être un domaine Gmail.
Par exemple, un compte au nom de Divin Yondo est associé à l’adresse e-mail di********@g****.***, tandis qu'un compte affichant comme nom Gloria Binzala a été enregistré sous l’adresse e-mail gl***********@g****.***. Cela suggère qu’elles ont pu être créées de manière coordonnée. Global Witness ne peut écarter l’hypothèse selon laquelle le nom de personnes réelles aurait été utilisé comme façade sans que celles-ci en soient conscientes.
Les comptes semblent avoir été utilisés non seulement pour blanchir les activités de Dan Gertler, mais aussi pour discréditer les groupes de la société civile lui demandant des comptes.
Plus tard le même jour, à savoir le 16 juillet, ces comptes ont pris pour cible Jimmy Kande, directeur de la Plateforme pour la protection des lanceurs d’alerte en Afrique. Kande avait publié un post sur X accusant une « armée numérique » de « pseudo-experts » et de « relais médiatiques » d’avoir surgi pour déformer la réalité autour de l’arbitrage.
formulation similaire, du type « Gertler paie des impôts, toi tu ne payes que des mots #ContribuableVSPleurnicheur » et « Gertler a au moins le mérite d’exister, toi tu n’es qu’une ombre #RealitéVsFantasme ».
Des dizaines d’autres comptes qui semblent être faux ont également posté des réponses similaires à celles adressées à Carbone Beni. Ces comptes, qui ont été créés en mars, avril et juillet, sont soupçonnés d’être gérés par des bots en raison des similitudes en termes de comportements constatés et de la structure des adresses e-mail associées aux comptes en question.
Un groupe de comptes, tous ayant été créés en mars 2025, a posté aux mêmes dates que les 40 comptes créés au mois de février. Plusieurs de ces comptes n'ont qu'un ou deux followers et sont abonnés à des comptes publiant en russe. Les adresses e-mail enregistrées pour ces comptes ont toutes le même format, à savoir par exemple que les adresses e-mail utilisées pour les comptes @lotulukelela et @kasongo16738 sont it********@r******.** et bh********@r******.**.
Ceci suggère l’existence d’un large réseau coordonné de comptes aux allures de bots avec des séries de comptes potentiellement créés à différents intervalles.
Contacté pour obtenir sa réaction, Carbone Beni a indiqué que sa position vis-à-vis de Dan Gertler était tout à fait indépendante et qu'il ne pouvait être tenu responsable des actions, opinions ou commentaires d’autres utilisateurs sur X.
Les articles
Les articles originaux prétendant que Gertler avait été blanchi ont été publiés sur au moins 10 sites Web de médias congolais sur une période de deux jours au mois de juillet. Trois des textes contenaient les mêmes formulations.
Si ces articles donnent l'impression de s’inscrire dans une large couverture médiatique indépendante, plusieurs des sites semblent publier régulièrement des articles favorables à Deo Kasongo, dont on suppose qu’il est responsable de la communication de Dan Gertler en RDC. Rien ne porte à croire que Kasongo s’est rendu coupable de quoi que ce soit.
Global Witness a contacté tous les médias en question en leur offrant la possibilité de s’exprimer.
AfricaNewsRDC, Scoop RDC et Infos27 ont décliné tout commentaire suite à nos questions, tandis qu’AfricaNewsRDC et Scoop RDC ont indiqué être des médias indépendants.
Scoop RDC a également envoyé à Global Witness une copie d'une lettre ouverte qualifiant de « tentative manifeste d’intimidation » le fait que l’ONG ait contacté la rédaction. La lettre, qui est signée par des personnes travaillant pour 17 autres médias basés en RDC, indiquait que Global Witness « essayait de dicter le récit et de jouer le rôle de gendarme de la parole ».
Scoop RDC a également publié sur son site Web l’e-mail envoyé par Global Witness l’invitant à s’exprimer dans son intégralité. Le post en question comprenait une photo d’une membre de l’équipe de Global Witness avec ses coordonnées. Plusieurs autres médias ont également publié cette illustration avec les références détaillées de l’employée en question. Cela fait écho à des attaques personnelles similaires faites par certains de ces médias à l’encontre d’autres membres de la coalition de la société civile CNPAV.
Aucun des sites des médias n'a répondu aux questions envoyées par Global Witness pour savoir comment ils ont obtenu les informations relayées dans les articles quasi identiques qu’ils ont publiés ou comment ils ont indépendamment vérifié les informations en question.
Le porte-parole de Dan Gertler a déclaré que la couverture médiatique était une réponse indépendante à la couverture de l’arbitrage faite par Bloomberg et que ses représentants n’avaient pas publié de communiqué de presse à ce sujet. Il a ajouté que les journalistes indépendants en RDC continuaient à s’intéresser à leurs activités, renvoyant à la campagne de la coalition CNPAV encore en cours, qui concourrait également à cet intérêt.
Son porte-parole poursuit : « La diversité des opinions exprimées par les médias congolais en réaction à l’article publié par Bloomberg au sujet de l’arbitrage est la manifestation du principe de liberté de parole.
Une fois de plus, et ce, pour écarter tout doute, nous n’avons pas lancé de campagne médiatique en RDC à ce sujet.
« Ces derniers mois, nous avons publié deux rapports pointant les inexactitudes dans l’analyse de la coalition CNPAV sur l’achat des actifs miniers. Cependant, ils n’ont rien à voir avec la procédure d’arbitrage. La couverture congolaise reflète donc les points de vue et les analyses des médias locaux et non un travail coordonné de notre part. »
Des affirmations qui pullulent sur X
Les articles publiés par les médias ont été encore amplifiés à l’époque par toute une série d’utilisateurs
de X autres que les comptes aux allures de bots.
Plusieurs comptes aux nombreux followers ont partagé ce qui est manifestement de la désinformation, ainsi que des posts attaquant la coalition CNPAV tout au long du mois de juillet et comprenant une vidéo dont les images ont vraisemblablement été générées via l’IA.
L’identité des personnes derrière certains des comptes est incertaine, même si certaines des bios suggèrent des liens avec le monde des médias et de la communication. Ces comptes ont des milliers,
voire des dizaines de milliers de followers. Au moins cinq des comptes X ont également publié des posts soutenant Deo Kasongo et son groupe de communication Divo.
Global Witness a invité M. Kasongo et le groupe Divo à s’exprimer, mais n’a pas reçu de réponse. Notre enquête n’a pas trouvé d’éléments portant à croire que Deo Kasongo est responsable des comptes et des médias diffusant la désinformation.
Recommandations politiques :
Réaffirmer l’intégrité des sanctions pour corruption (et de l’OFAC, l’organisme de contrôle financier américain)
Les gouvernements doivent réaffirmer publiquement et conjointement que les sanctions pour corruption restent applicables à moins d’être annulées par une procédure pénale ou judiciaire crédible, et non par un arbitrage commercial privé. Cela empêcherait que des décisions (telles que l’arbitrage israélien) soient faussement présentées comme blanchissant un acteur donné.
Lutter contre la désinformation sapant la reddition de comptes
Les gouvernements, plateformes et organismes internationaux doivent condamner les campagnes de désinformation coordonnées ciblant des journalistes ou des acteurs de la société civile jouant le rôle d’observateur ou tentant de blanchir des personnes sous le coup de sanctions. Lorsque surgissent des éléments portant à croire à une activité de la part de réseaux de bots ou à des campagnes médiatiques, les gouvernements et les plateformes numériques doivent publier des rapports vérifiant les informations en question pour en stopper la diffusion.
La politique de X précise clairement qu'il est interdit d’« amplifier (...) artificiellement des informations ou d'adopter un comportement qui manipule ou perturbe l'expérience des utilisateurs » et que les utilisateurs manquant à cette règle verront la visibilité de leurs posts réduite et, dans les cas les plus graves, leur compte suspendu. X doit enquêter sur la liste des bots potentiels que nous avons identifiés dans ce cadre pour savoir s’il y a eu violation de leur politique et investir davantage pour empêcher toute manipulation du débat démocratique.
Protéger les espaces pour la société civile
Les États doivent s’engager à protéger les ONG, les lanceurs d’alerte et les journalistes contre toute
campagne de dénigrement numérique et contre toute manœuvre d’intimidation. Cela implique entre autres de financer des mesures de sécurité numérique et de réfuter publiquement toute campagne de dénigrement dans les plus brefs délais.
Exiger la transparence de la part des plateformes numériques
Il doit être exigé (mondialement et non seulement dans une juridiction donnée) que les plateformes rendent publique la suppression de tous faux comptes agissant de manière coordonnée, publient les données sur les réseaux liés à une influence politique ou commerciale et collaborent avec les groupes de la société civile pris pour cible.
Mettre fin aux lacunes juridiques dont bénéficient les acteurs sous le coup de sanctions
Les différents pays doivent collaborer pour veiller à ce que les personnes sous le coup de sanctions ne puissent pas faire appel aux services de sociétés de relations publiques, lobbyistes ou sociétés écrans pour blanchir leur réputation ou des actifs par-delà les frontières. Toute tentative de faire usage de la désinformation pour faire retirer une personne de la liste des sanctions doit être considérée comme unesoustraction aux sanctions au sens étendu.
Renforcer la coordination internationale
Les États-Unis, l’UE, le Royaume-Uni et leurs alliés doivent mettre en place un groupe de travail international pour surveiller la désinformation relative aux cas de corruption et y apporter une réponse.