La question de la lenteur des virements internationaux est un sujet récurrent pour des milliers d’entreprises et particuliers congolais. Lorsque ces derniers interrogent leurs banques à propos du délai de traitement de telles opérations, qu’elles soient entrantes ou sortantes, il leur est répondu que le traitement s’effectue sous 48 à 72 heures. Dans les faits, il est pourtant plus que fréquent d’attendre jusqu’à deux ou trois semaines, voire un mois, pour finalement constater que les fonds ont été retournés, amputés de frais et commissions diverses. Cette situation découle directement de la dollarisation de l’économie congolaise. L’utilisation très majoritaire du dollar américain oblige les banques congolaises à traiter les virements domestiques de la même façon que les virements internationaux, ce qui engendre alors surcouts, complexité technique et retards fréquents.
Quid du virement International en RDC ?
Un virement international est une opération bancaire qui permet, depuis un compte ouvert dans les livres d’une banque congolaise, d’échanger de l’argent avec l’étranger, c’est-à-dire aussi bien en recevoir que d’en envoyer.
En République démocratique du Congo comme ailleurs, les transactions interbancaires domestiques libellées en devises étrangères suivent la même procédure que des virements internationaux. Or en RDC plus qu’ailleurs, la plupart des transferts domestiques ne se sont pas réalisés dans notre devise nationale, le franc congolais, mais en dollar américain.
Dans ce contexte, lors de la création d’une banque en RDC, l’une des conditions nécessaires à son fonctionnement est la contractualisation avec « des banques correspondantes à l’étranger », sans lesquelles il est impossible d’effectuer des transactions en devises étrangères. Au Congo, que ferait une banque incapable de traiter des transactions en dollar américain ? Beaucoup se rappelleront qu’Alliance Bank, établissement créée par l’homme d’affaires Pascal Kinduelo, ancien propriétaire de la Banque internationale de crédit (BIC), avec l’aval de la Banque centrale du Congo en 2016, n’a jamais ouvert ses portes au public faute de correspondants à l’étranger.
Pourquoi ces correspondants étrangers sont-ils incontournables?
Si les banques congolaises cherchent continuellement des banques correspondantes à l’étranger pour traiter leurs transactions en devises (dollar, euro, livre sterling, yuan, yen, …), c’est parce qu’il serait techniquement impossible de traiter des flux sans ces dernières. Comme on a coutume de dire dans le milieu bancaire « une devise ne quitte réellement vraiment son pays ». Concrètement, cela signifie que toutes les transactions traitées quotidiennement par les congolais et libellés en -dollar transitent par les Etats-Unis et par le système de la Reserve fédérale.
Cette circulation internationale des flux financiers passe par un savant jeu de compte à compte, quasi invisible du grand public. Une fois sa banque correspondante trouvée, la banque congolaise procède à l’ouverture du compte dans les livres dudit partenaire. On parle alors d’un compte Nostro de la banque congolaise dans les livres de son correspondant. Ce compte ouvert dans une devise étrangère servira ainsi de porte d’entrée et de sortie à la banque congolaise vers l’international.
Pour nous permettre de mieux comprendre le processus d’un virement international, prenons deux exemples.
- Un transfert des fonds en euro (EUR) entre une banque congolaise (Equity BCDC) et une banque française.
Imaginons le cas d’un parent en RDC, ayant un compte dans les livres d’Equity BCDC, et qui souhaite envoyer de l’argent à son enfant, étudiant en France. Considérons également que la BNP Paribas est la banque correspondante en euro d’Equity BCDC, c’est-à-dire que cette dernière détient un compte Nostro EUR dans les livres de la banque française.
Equity BCDC va transmettre un ordre de débit par l’intermédiaire de la messagerie SWIFT à la BNP Paribas. Cette dernière va débiter le compte Nostro EUR d’Equity BCDC dans ses livres pour la somme indiquée. Les coordonnées du bénéficiaire (numéro de compte et banque en France) mentionnées dans l’ordre transmis vont permettre à la BNP Paribas d’identifier la banque du bénéficiaire pour lui faire à son tour suivre les fonds par le système européen interbancaire (géré par la Banque centrale européenne). Notez que la banque du bénéficiaire peut être tout simplement la BNP Paribas, dans ce cas cette dernière se contentera simplement de créditer le compte du bénéficiaire dans ses livres, sans avoir besoin de passer par la Banque centrale européenne.
- Un transfert des fonds en dollar entre deux banques congolaises
Comme évoqué plus haut, les transferts en devise étrangère entre deux banques congolaises empruntent également les canaux dits de « correspondance bancaire », et transitent donc par une ou plusieurs banques intermédiaires via le système de messagerie SWIFT.
Etienne, client à Equity BCDC, dépose au guichet de sa banque un ordre de virement de 1 .000 $ (milles dollars) au profit de sa fiancée, Andréa, cliente à la Raw Bank.
Si les deux banques ont le même correspondant, admettons Citibank NY, Equity BCDC demandera à la banque américaine de débiter son Nostro pour créditer ensuite le Nostro de la Raw Bank. Citibank NY fait alors du « compte à compte ». Une fois le crédit notifié par Citibank, la Raw Bank va à son tour créditer Andréa du montant imputé des frais.
Si Raw Bank, à la différence d’Equity BCDC, n’avait pas eu de compte dans les livres de Citibank NY, mais dans ceux de Bank of America, alors Citibank aurait adressé les fonds à Bank of America, en faveur d’Equity BCDC, par l’intermédiaire du système interbancaire Fedwire (géré par la Banque centrale américaine).
Quels sont les contrôles préalables à la réalisation d’une opération financière ?
Pour qu’une transaction internationale aboutisse, un certain nombre des préalables doivent être respectés de la part de toutes les parties impliquées (donneur d’ordre, banque du donneur d’ordre, banques correspondantes, banque du bénéficiaire et bénéficiaire).
- S’agissant du donneur d’ordre : il devra non seulement s’assurer que son compte est suffisamment approvisionné, mais également être en mesure de justifier la nature de la transaction. Ce dernier aspect permet de s’assurer que la transaction est conforme aux activités des parties prenantes, permettant ainsi de lutter contre la corruption et le blanchiment d’argent.
- S’agissant de la banque donneuse d’ordre, elle va s’assurer que le bénéficiaire n’est pas une personne blacklistée, ou, si la transaction est destinée à une société, que ses bénéficiaires directs ne soient pas sanctionnés ou impliqués dans le blanchiment ou financement du terrorisme. La banque du donneur d’ordre va également s’assurer de la légitimité de la transaction, c’est-à-dire qu’elle n’a pas été initiée frauduleusement par un imposteur.
- S’agissant des banques correspondantes et de la banque du bénéficiaire, elles s’assureront que la source de provenance des fonds est licite et que le donneur d’ordre n’est pas impliqué dans les activités de blanchiment ou financement du terrorisme. La banque du bénéficiaire vérifiera également la nature économique du flux entrant.
Quelle est la situation du système bancaire et réglementaire en RDC ?
Le secteur bancaire congolais est à ce jour extrêmement fragile et même dangereux pour le reste du monde pour les raisons suivantes :
- L’identification des clients personnes physiques et morales : il est aujourd’hui difficile pour une banque de pouvoir véritablement identifier un client personne physique. Cela découle du constat qu’il n’existe pas à ce jour de carte d’identité nationale. D’autres pièces généralement peu fiables et difficilement authentifiables sont généralement utilisées telles que la carte d’électeur, une attestation de perte de pièces ou encore un permis de conduire. De tels documents sont disponibles sur le marché parallèle à des coûts dérisoires. Cette question relative à la fragilité des KYC (Know Your Customer : Connaître son client) en RDC est fondamentale et concerne également les personnes morales dont les structures sont parfois complexes. La RDC est l’un des rares pays où une personne physique et/ou morale non résidente peut ouvrir et détenir un compte sans véritables contrôles.
- La lutte contre le blanchiment des capitaux : dans la plupart des banques les dispositifs de lutte contre le blanchiment des capitaux et le suivi des comptes des personnalités politiques sont quasi inexistants. Les outils d’alerte et de suivi sont très faibles et, dans la plus part des cas, manuels. Il n’existe pas à ce jour de base des données centralisée et accessible à tous. Nous constatons également un déficit de formation des agents bancaires les plus confrontés aux risques AML (agents en charge de l’ouverture des comptes, gestionnaire des comptes, chargé des opérations, etc…) qui constituent la première ligne de défense contre la corruption et le blanchiment d’argent et sont dès lors incapables d’anticiper et de détecter les cas de possibles fraudes.
- La Banque centrale du Congo : les obligations réglementaires en matière de lutte contre le blanchiment et la corruption sont minimes en RDC. A cela s’ajoute également une absence de contrôles par la Banque centrale du Congo qui ne se rend que trop rarement dans les murs des banques commerciales pour évaluer l’adéquation de leurs pratiques avec la loi. Plus inquiétant encore, la BCC contrevient elle-même aux règles les plus fondamentales de la lutte contre la corruption et le blanchiment en effectuant d’importants décaissements en liquide. Il existe pourtant une Cellule nationale des renseignements financiers (CENAREF), placée sous la tutelle du ministère des Finances, qui a pour mission de lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, mais sa marge de manœuvre est très réduite. Il serait préférable de rendre cette cellule autonome en la détachant complètement de la sphère politique. Les moyens humains, financiers, et logistiques mis à disposition de cette cellule sont également très limités pour que cette dernière ne soit efficace.
- Le Gouvernement Congolais : l’absence d’une politique gouvernementale pour réellement lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme est également considérée comme une source de la dégradation du secteur financier en RDC. Les politiques sont les premiers concernés ou cités dans les affaires de blanchiment des capitaux. Les gouvernements se succèdent sans qu’une réelle politique ne soit mise en place.
Les révélations faites en 2016 sur les malversations financières au sein de la BGFI avec le concours de la BCC et de la famille de l’ex président Kabila avaient eu un écho international. Les Lumumba Papers publiés par le journal Le Soir, en Belgique, avaient alors mis en lumière les travers du secteur bancaire en RDC. Après ces révélations, plusieurs banques correspondantes avaient décidé de se retirer du marché congolais. L’image très dégradée du secteur bancaire congolais fut une nouvelle fois écornée en 2018 avec les révélations du journal Jeune Afrique. Des transactions suspectes impliquant une nouvelle fois la BGFI, la BCC et un groupe d’entreprises liées aux proches de l’ex président Kabila ont été portées à l’attention du grand public. Plus récemment, en 2020, les travaux du PPLAAF et Global Witness ont dévoilé un système de blanchiment d’argent mis en place par l’homme d’affaires Dan Gertler avec le soutien d’Afriland RDC. Ce même établissement fut ensuite épinglé par l’organisation non gouvernementale The Sentry pour avoir facilité la réalisation de transactions en dollars américains sur ordre de ressortissants nord-coréens.
Pourquoi les banques internationales travaillent peu avec la RDC ?
Face à un environnement bancaire instable et très peu réglementé, plusieurs banques correspondantes étrangères ont préféré se retirer du marché congolais. Elles ne font pas confiance au système bancaire congolais et à sa capacité à pouvoir lutter réellement contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Elles redoutent l’influence politique sur le système bancaire alors que les politiciens sont les premiers à être concernés par des transactions opaques, comme l’histoire l’a bien démontré. Confrontées à un ratio « revenus / risque de réputation » plus que défavorable, les banques étrangères de premier plan ne travaillent aujourd’hui quasiment plus avec la RDC.
Pour les banques correspondantes qui continuent à opérer avec les banques congolaises, celles-ci doublent de vigilance dans le traitement des opérations. Elles prennent leur temps dans le traitement des opérations et n’hésitent pas à demander des documents supplémentaires pouvant justifier une transaction. Leurs services de conformité sont aux aguets car aucune banque ne souhaite être mêlée à une affaire de blanchiment d’argent ou de financement de terrorisme. Le fait également que ces banques correspondantes soient peu concurrencées sur le marché congolais leur permet de pratiquer des prix bien plus élevés qu’ailleurs. In fine, ce sont les Congolais qui paient le prix de la fragilité de leur système bancaire et réglementaire : transferts nationaux et internationaux en devises, retraits en espèces, opérations de change sont autant de services concernés par cette surfacturation.
Tentative de solution par la BCC
L’économie de la RDC est prédominée par le dollar américain. Près de 90 % des dépôts et transactions sont libellées dans la monnaie américaine en raison du peu de confiance du public dans le franc congolais. Fort de ce constat, et souhaitant éviter que les transactions domestiques ne soient exposées aux frais des banques correspondantes, la BCC tente, en 2019, de mettre en place un système domestique de compensation (système ATS) destiné aux devises étrangères, et notamment au dollar américain. Un tel système aurait eu pour avantage de réduire les coûts et les délais de transfert, en permettant aux banques commerciales congolaises de ne plus emprunter le circuit international décrit plus haut.
En dépit de ces atouts, près de neuf mois après son lancement, et sous les pressions du Trésor américain, la BCC suspend définitivement le système ATS en décembre 2019. Les Etats-Unis considéraient cette initiative comme une tentative de soustraction des transactions en dollar aux filtres du régulateur américain (l’OFAC). Washington craignait d’une part qu’une telle infrastructure de paiement ne puisse donner lieu à des abus (blanchiment, financement du terrorisme, corruption, …) du fait de l’existence d’un système bancaire fragile. D’autre part, cette décision comportait vraisemblablement un volet économique. Le système ATS aurait privé les banques américaines de revenus confortables réalisés sur les paiements domestiques congolais.
Quelles recommandations peut-on formuler à l’attention du système bancaire et financier congolais ?
La problématique des délais longs dans le traitement des virements internationaux résulte de l’état actuel du système bancaire congolais considéré comme peu fiable, peu crédible et peu contrôlé de la part du système financier international. L’organe régulateur qui est la BCC a lui-même été impliqué dans des affaires supposées de blanchiment d’argent telles que signalées par plusieurs rapports d’ONG et médias.
Si le récent changement à la tête de la BCC voulu par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale semble être une bonne nouvelle, le renouveau de la BCC devra toutefois se concrétiser par ses actions afin de redorer son blason tant sur l’échelle nationale qu’internationale.
Plusieurs changements semblent aujourd’hui à portée de main :
- procéder à un audit propre de la BCC afin d’évaluer sa responsabilité sur la dégradation du système bancaire congolais sur les 10 dernières années ;
- prendre des mesures fortes sur l’identification des clients auprès de banques commerciales (cette mesure résultera également du gouvernement qui doit être à même de recenser sa population) ;
- jouer pleinement son rôle de régulateur, en sanctionnant les banques qui violent ses différentes instructions.
- vulgariser à l’échelle internationale les mesures prises pour faire face au blanchiment et au financement du terrorisme afin de regagner la confiance du secteur financier international ;
- le ministère des finances devra doter le CENAREF des moyens conséquents pour la réalisation de ses missions ;
- Poursuivre le rapprochement avec la Comesa qui a su renforcer les contrôles sur son secteur financier et construire ainsi un système de compensation régional supportant le dollar américain. Au-delà des simples flux domestiques, cela permettrait également à la RDC de se rapprocher de partenaires commerciaux panafricains.
- La mise en place d’une politique nationale par le gouvernement pour réellement lutter contre le blanchiment
- La mise à jour de la loi de 2004 contre le blanchiment et le financement du terrorisme devenue presque obsolète.
LA réduction des temps de traitement des virements internationaux passe l’amélioration de l’ensemble du système bancaire congolais.
Jimmy KANDE
Diplômé en Management Bancaire de L’Ecole Supérieure des Banques de Paris/Nanterre. Jimmy Kande a travaillé à la Banque Commerciale du Congo comme gestionnaire et analyste du risque crédit pendant 6 ans. Consultant financier, il est chercheur en économie politique au Groupe d’étude sur le Congo, Un projet basé à l’Université de New York. Il également président du Réseau Panafricain de lutte contre la corruption « UNIS » et membre de la coordination de la campagne « Le Congo n’est pas à vendre ».