1. Introduction : un monde retourné
Chère Minouche, merci pour cet accueil chaleureux ! C’est un honneur pour moi de célébrer avec vous tous le 125e anniversaire de la London School of Economics — un moment de fierté pour les étudiants et le corps professoral, ainsi que pour les anciens.
En tant qu’ancienne de la LSE et Directrice Générale du FMI, je sais que nos institutions ont de nombreuses valeurs en commun. C’est ce que m’a rappelé l’an dernier une nouvelle grande sculpture — le globe — installée sur le campus de la LSE. Nous sommes reliés par notre perspective mondiale, en nous souciant grandement du monde dans lequel nous vivons et de son avenir.
Cette sculpture de Mark Wallinger ne pourrait mieux symboliser ce qui nous fait face aujourd’hui : notre monde est retourné par la pandémie — par la perte de plus d’un million de vies, par les retombées économiques pour des milliards de personnes. Dans les pays à faible revenu, les chocs sont de telle ampleur que nous faisons face au risque d’une « génération perdue ».
Pour affronter la crise, nous pouvons nous inspirer d’une précédente génération. En 1942, William Beveridge, ancien directeur de la LES, a présenté son célèbre rapport, à l’origine du National Health Service britannique. Et en 1944, John Maynard Keynes et Harry Dexter White ont présidé à la mise en place du système de Bretton Woods, qui inclut le FMI et la Banque mondiale.
Ils ont forgé un monde meilleur aux heures les plus sombres, au cœur de la guerre. Nous avons besoin de la même détermination aujourd’hui pour le monde post-pandémie — pour bâtir un monde plus inclusif et plus résilient.
C’est à cela que s’attacheront les 189 pays membres du FMI la semaine prochaine lorsque nous nous réunirons virtuellement dans le cadre de notre Assemblée annuelle. C’est à cela que je vais m’attacher aujourd’hui.
2. Perspectives mondiales : la longue ascension
Commençons par la situation économique. L’activité économique mondiale a enregistré une chute sans précédent cette année au deuxième trimestre, lorsqu’environ 85 % de l’économie mondiale s’est trouvée confinée pendant plusieurs semaines.
En juin, le FMI prévoyait une forte contraction du PIB mondial en 2020. Aujourd’hui, le tableau est moins catastrophique. Nous estimons maintenant que l’évolution des deuxième et troisième trimestres a été un peu meilleure que prévu, ce qui permet une modeste révision à la hausse de nos prévisions mondiales pour 2020. Et nous prévoyons encore une reprise partielle et contrastée en 2021. Vous verrez nos prévisions actualisées la semaine prochaine.
Si nous en sommes là, c’est en grande partie grâce aux mesures exceptionnelles qui ont empêché l’économie mondiale de s’effondrer. Les pouvoirs publics ont versé environ 12 000 milliards de dollars de soutien budgétaire aux ménages et aux entreprises. Et des mesures sans précédent de politique monétaire ont maintenu le flux du crédit, aidant des millions d’entreprises à rester à flot.
Mais certains ont pu faire plus que d’autres. Les pays avancés ont fait tout ce qu’il fallait. Les pays plus pauvres cherchent à faire leur possible.
Cet écart dans la capacité de réaction est l’une des raisons pour lesquelles nous prévoyons des résultats différenciés. Une autre raison est l’efficacité des mesures de maîtrise de la pandémie et de relance de l’activité économique. Pour de nombreux pays avancés, dont les États-Unis et la zone euro, le ralentissement reste extrêmement douloureux, mais il est moins sévère qu’attendu. La Chine enregistre une reprise plus rapide que prévu. D’autres pays sont encore en grande difficulté, et certaines de nos révisions des projections sont à la baisse.
Les pays émergents ainsi que les pays à faible revenu et les pays fragiles restent dans une situation précaire. Ils ont des système de santé moins performants. Ils sont très exposés aux secteurs les plus touchés, tels le tourisme et l’exportation de produits de base. Et ils sont très dépendants des financements extérieurs. L’abondance des liquidités et le bas niveau des taux d’intérêt ont aidé bon nombre de pays émergents à emprunter de nouveau — mais aucun pays d’Afrique subsaharienne n’a émis de dette extérieure depuis mars.
Alors, mon message central est le suivant : l’économie mondiale émerge des profondeurs de la crise. Mais cette calamité est loin d’être derrière nous. Tous les pays font aujourd’hui face à ce que j’appellerai « la longue ascension » — une difficile remontée qui sera longue, inégale et incertaine. Et sujette à des retours en arrière.
Au moment où nous nous engageons dans cette « ascension », nous sommes tousunis par une même corde— et nous ne sommes aussi forts que les plus faibles des grimpeurs. Ils auront besoin d’aide pour monter.
Une extraordinaire incertitude pèse sur le chemin qui nous attend. Des avancées plus rapides sur le front des mesures sanitaires, comme les vaccins et les traitements, pourraient accélérer l’« ascension », mais la situation pourrait aussi s’aggraver, surtout en cas de forte augmentation des flambées épidémiques.
Les risques demeurent élevés , notamment ceux qui découlent de l’augmentation des faillites et des valorisations élevées sur les marchés financiers. Et de nombreux pays sont aujourd’hui plus vulnérables. Leur niveau d’endettement a augmenté à la suite des mesures budgétaires prises face à la crise et des fortes pertes de production et de recettes. Nous estimons que la dette publique mondiale atteindra un niveau record d’environ 100 % du PIB en 2020.
À cela s’ajoute maintenant le risque que les pertes d’emploi, les faillites et les perturbations de l’éducation laissent de profondes cicatrices économiques. Du fait de cette perte de capacité, nous prévoyons que la production mondiale restera à moyen terme très inférieure à nos projections pré-pandémie. Pour presque tous les pays, il y aura un retour en arrière sur l’amélioration du niveau de vie.
Cette crise a en outre aggravé les inégalités, en raison de son impact disproportionné sur les travailleurs peu qualifiés, les femmes et les jeunes. Il y a manifestement des gagnants et des perdants, et nous risquons de finir dans un monde à deux vitesses. Nous devons absolument trouver une issue.
3. La voie à suivre : affronter la crise et promouvoir les transformations
Alors, quelle est la voie à suivre ? Nous voyons quatre priorités immédiates :
- Premièrement, préserver la santé des populations. Les dépenses de soins, de tests et de traçage des contacts sont impératives. Comme l’est le renforcement de la coopération internationale pour coordonner la fabrication et la distribution des vaccins, surtout dans les pays les plus pauvres. Nous ne pourrons assurer partout une pleine reprise économique que si le virus est vaincu partout.
- Deuxièmement, éviter un retrait prématuré des aides publiques. Là où la pandémie persiste, il est essentiel de maintenir des ballons d’oxygène dans l’ensemble de l’économie, au profit des entreprises et des travailleurs — par exemple des reports de paiement d’impôts, des garanties de crédit, des transferts monétaires et des subventions salariales. Il est tout aussi important de maintenir la politique monétaire accommodante et les mesures de liquidités pour garantir les flux de crédit, surtout pour les petites et moyennes entreprises — et soutenir ainsi les emplois et la stabilité financière. Si ces ballons d’oxygène disparaissent trop vite, la longue ascension se muera en chute vertigineuse.
- Troisièmement, mener une politique budgétaire flexible et prospective , pour bien mettre en place la reprise. Cette crise a provoqué des transformations structurelles profondes, et les pouvoirs publics doivent jouer leur rôle en réaffectant le capital et la main-d’œuvre pour faciliter la transition. Il s’agira de stimuler la création d’emplois, en particulier l’investissement vert, et d’ amortir le choc pour les travailleurs : de la reconversion professionnelle et l’acquisition de nouvelles compétences à l’élargissement de la portée et l’allongement de la durée de l’assurance chômage. La préservation des dépenses sociales sera essentielle pour une juste transition vers les nouveaux emplois.
- Quatrièmement, gérer la dette — surtout dans les pays à faible revenu. Ces derniers sont entrés dans la crise déjà lourdement endettés, et ce fardeau n’a fait que s’alourdir. Pour combattre la crise et maintenir les soutiens publics vitaux, et pour éviter que les progrès accomplis ces dernières décennies sur le plan du développement ne soient annulés, ils auront besoin d’une aide supplémentaire — et vite. Ils doivent avoir accès à davantage de dons, de prêts concessionnels et d’allégement de la dette, alliés à une meilleure gestion de la dette et à une plus grande transparence. Dans certains cas, une coordination mondiale sera requise pour restructurer la dette souveraine, avec la participation totale des créanciers publics et privés.
Dans tous ces domaines, nos pays membres peuvent compter sur le FMI. Nous les aiderons à gravir la montagne. Nous chercherons à être leur « sherpa ». Nous les guiderons au moyen de conseils judicieux. Nous leur offrirons les formations dont certains ont peut-être besoin. Et surtout, nous leur accorderons une aide financière et nous allégerons la charge de la dette de ceux qui, sinon, n’arriveront peut-être pas au sommet.
Nous avons fourni des financements d’une ampleur sans précédent et dans des délais records à 81 pays. Nos engagements de prêts dépassent 280 milliards de dollars, dont plus d’un tiers ont été approuvés depuis mars. Et nous sommes prêts à faire davantage : nous disposons encore de ressources considérables, avec une capacité totale de prêt de 1 000 milliards de dollars, à mettre au service de nos membres au moment où ils s’engagent dans leur « ascension ».
Encore une fois, cette ascension sera difficile. Il nous faudra trouver de nouveaux sentiers pour gravir la montagne. Nous ne pouvons pas nous contenter de rebâtir la vieille économie, avec sa croissance poussive, sa faible productivité, ses fortes inégalités et l’aggravation de la crise climatique.
C’est pourquoi nous avons besoin de réformes fondamentales pour bâtir une économie plus résiliente — plus verte, plus intelligente, plus inclusive — plus dynamique. C’est là que nous devons orienter les investissements massifs qui seront nécessaires pour une reprise forte et durable.
Une nouvelle étude du FMI montre qu’une augmentation de l’investissement public de seulement 1 % du PIB dans les pays avancés et les pays émergents peut créer jusqu’à 33 millions d’emplois.
Nous savons que, dans bon nombre de cas, les projets verts bien pensés peuvent générer plus d’emplois et dégager des rendements plus élevés que les impulsions budgétaires conventionnelles.
Nous savons aussi qu’une transformation numérique accélérée est en cours, qui porte la promesse de gains de productivité et de nouveaux emplois mieux rémunérés. Nous pouvons libérer ce potentiel en dotant les systèmes fiscaux de nouveaux outils et en investissant dans l’éducation et l’infrastructure numérique. Notre objectif doit être que chacun ait accès à Internet et possède les compétences pour réussir dans l’économie du XXIe siècle.
4. Conclusion : continuez à grimper !
Tout cela est possible — parce que nous savons que de précédentes générations ont eu le courage et la détermination pour gravir les montagnes qui se dressaient devant elles. Aujourd’hui, c’est notre tour — notre montagne à gravir.
Comme l’a dit un montagnard : « Chaque sommet est à portée de main si vous continuez à grimper. »
Il en va de même pour la longue ascension et les politiques requises pour avancer. Unis par une même corde, nous pouvons surmonter la crise et bâtir un monde plus prospère et plus résilient pour tous.
Je vous remercie !
Kristalina Georgieva, Directrice Générale du FMI
Washington