Confidence du chauffeur du ministre
9 juin 2020. « Zando », le grand marché est en ébullition. Confiné mais en ébullition avec l’irruption enragée des maraichers et des maraichères expulsés de la République Autonome de la Gombe (RAGE). Partie des abords frontaliers de la Gombe, là où désormais s’entassent vaille que vaille des maraichers-migrants hors-circuit, la marche des maraichers s’est dirigée vers les installations du « zando », du marché central démantelées à la faveur du confinement. Foule immense, bigarrée : des mama-bateki (maraichères), des mama-cop (commissionnaires), des mama- bipupula (vendeuses de manioc), des mama-mapa (vendeuses de pain), des mama-pawuni (bijoutières), des mama-malewa (gargotières), des mama-bilokos (liquidatrices des friperies). Mais aussi des shegues (enfants de rue), des libangistes (débrouillards), des chayeurs (petits revendeurs du petit commerce), des londonniennes (prostituées), des quados (rechapeurs de pneus), des rec ( receveurs, convoyeurs de taxi-bus), des bongolateurs (cambistes au noir)…
Marche à la fois carnaval et manif de protestation. Marche déterminée à récupérer les espaces naguère confisqués d’autorité. Mais la police est là. Face à face police et marcheurs-maraichers. Et soudain, on ne sait pourquoi, tout dérape. Et c’est l’irréparable : de ce côté-ci, l’assaut avec gaz lacrymogènes et balles létales ; de ce côté-là, la riposte populaire avec caillassage. La marche s’est terminée dans le désordre et les dégâts…
… Voilà le rapport que j’ai communiqué par téléphone, et à sa demande, à mon patron le Ministre des Affaires Stratégiques et Tactiques ( à prononcer avec respect…). J’ai certifié à mon Ministre que j’avais été présent moi-même, moi-même témoin oculaire et auriculaire de la marche. Chuuut ! ce n’est pas tout à fait exact : en vérité cette version des faits, je la tiens de la … secrétaire du Ministre qui habite dans les parages de l’ex-futur-marché. Elle-même me dit détenir sa version de l’amie de sa cousine, elle-même maraichère. L’amie de sa cousine elle, n’y était pas, à la marche… Elle a appris tous les détails par whatsapp d’une consœur en principe présente sur les lieux de la protestation…
Aussitôt informé, en homme politique pratique, mon patron de Ministre m’a demandé de lui trouver l’une des responsables des marcheuses-maraichères. Evidemment j’ai réquisitionné la consœur de l’amie de la cousine de la secrétaire du Ministre. Et je l’ai conduite auprès du Ministre. Extrait des échanges entre le Ministre et la maraichère :
« MINISTRE : Soyez la bienvenue, Mama-Moteki. Que s’est-il passé pour susciter tant de colère des maraichers et des maraichères ?
MARAICHERE : Ministre, « Mvula epanzaka matanga, kasi zando te (« la pluie disperse le deuil, mais jamais le marché »)
MINISTRE : Mais, Mama-Moteki, il y a le Covid-19, il y a incendie et péril en la demeure !
MARAICHERE : Ministre, « Zando ezali libumu ya mboka ; libumu nzala, matoyi manbgongi » (« le marché est le ventre de la ville ; ventre affamé n’a point d’oreille »)
MINISTRE : Mais, chère Mama-Moteki, le Covid-19 est là ! Il tue. Et tue en masse.
MARAICHERE : Ministre, Kuluna-virus ezali ndoki ya molili, nzala ezali ndoki ya moyi ; nani monguna penza ! (« Corona-virus est un sorcier de l’ombre, la faim est un sorcier à ciel ouvert ; il ne faut pas se tromper d’ennemi ! »)
MINISTRE : Mama-Moteki, la mort ne vous donc pas peur ? Vraiment ?
MARAICHERE : Liwa ? « Tolalaka na liwa, tolamukaka na liwa. Kuluna-virus ya bino, ya biso te » (« La mort ? Nous couchons avec elle ; tous les jours nous lui survivons par miracle… ». Corona-virus, c’est pour vous, gens-d’en-haut ; pas pour nous, gens-d’en-bas… »).
(YOKA Lye)