Alors que la RDC s’approche des élections nationales, le gouvernement cherche à convertir sa forêt et sa faune sauvage en argent comptant

PAR Deskeco - 19 juil 2018 07:07, Dans Analyses

Tribune.

En avril dernier, j'ai appris que Monsieur Aimé Ngoy Mukena, le Ministre des Hydrocarbures, s’active pour un projet qui conduira à la désaffectation d’une large superficie de deux sites du patrimoine mondial de l'UNESCO - les parcs nationaux des Virunga et de la Salonga – en faveur de l’exploration pétrolière. Le Ministre de l’Environnement, monsieur Amy Ambatobe, est sollicité dans ce projet controversé. En pensant à ce que représentent les deux parcs nationaux pour mon pays, le monde et pour les générations présentes et futures, je me suis demandé si les deux Ministres méritent encore d’occuper leurs postes au gouvernement.

Le parc national emblématique de Virunga a été créé en 1925 et il est le tout premier parc en Afrique. Non seulement qu’il est le plus célèbre pour ses gorilles de montagne et ses paysages volcaniques, Virunga est également parmi les zones les plus riches en biodiversité de la planète. La Salonga, quant à elle, est la plus grande zone de forêt pluviale protégée des basses terres en Afrique. Elle abrite des espèces animales les plus rares au monde, tels que le paon du Congo et le bonobo, le plus proche parent des humains.

C'est précisément pour cette raison que ces parcs sont répertoriés comme sites du patrimoine mondial de l'UNESCO. De par ce statut, les activités d'exploitation pétrolière ou toute sorte d’activités commerciales y sont strictement interdites. Ils sont vitaux pour la survie même des générations actuelles et futures de la RDC. Malheureusement, il me semble que l’obsession du gouvernement de la RDC à vendre les forêts de la RDC est motivée par le besoin urgent d'obtenir de fonds conséquents pour la campagne électorale pour les élections nationales qui se pointent à l’horizon.

N’est-ce pas la même RDC qui a, de son propre chef, initiée à son temps les projets Virunga et Salonga et les a ardemment défendu devant l’UNESCO pour obtenir leurs inscriptions au patrimoine mondial? Comment comprendre que deux fils du pays sapent tout le travail sérieux mené par leurs prédécesseurs?

Le gouvernement actuel de la RDC semble opter pour se faire de l'argent facile dans ces régions. Le Ministre des hydrocarbures s'est associé à son collègue de l'Environnement pour désaffecter 21,5% des Virunga et une superficie non spécifiée de la Salonga, en contournant délibérément toute rigueur de la restriction légale qui pèse sur les sites du patrimoine mondial et en piétinant les fonctions même de ces sites.

Après avoir enclenché le processus pour désaffecter les parcs de Virunga et la Salonga en faveur du pétrole, le Ministre des hydrocarbures a déclaré sur la Télévision Nationale, le 12 juillet dernier, que “le gouvernement est conscient de ses engagements internationaux sur la conservation et la protection du parc national des Virunga et n'exploitera pas le pétrole dans ce site. Cependant il ne peut pas être empêché de réfléchir sur ses richesses pétrolières. Le Premier Ministre a demandé de proposer des solutions qui ne fâchent pas.”

A ce jour, cette déclaration est insuffisante et je souhaite voir un document officiel de ce même gouvernement qui stipule clairement l’abandon du projet de désaffectation et l'interdiction permanente de toute exploitation dans les zones forestières. En outre, je ne peux m'empêcher de constater que, contrairement au parc des Virunga, le Ministre des hydrocarbures n’a fait aucune mention de la Salonga et de toute autre aire protégée de la RDC dans sa déclaration. Ce qui m’interpelle car, autant que le parc des Virunga, la Salonga fait également partie des engagements de la RDC en matière de conservation.

L’organisation Global Witness a lié l'affaire actuelle de la Salonga à «un fraudeur condamné », un homme d'affaires impliqué dans le scandale « Car Wash » brésilien et de mystérieuses sociétés écrans.

Le trafic des animaux sauvages emblématiques

 Il y a un mois, il a été révélé que le Ministre de l’Environnement, Amy Ambatobe, planifiait  d'exporter six gorilles de montagne, huit bonobos, huit chimpanzés, quatre lamantins et dix okapis vers chacun de deux zoos en Chine. Toutes ces espèces sont menacées d'extinction; le bonobo et l'okapi sont uniques à la RDC. Il n’existe aucun programme en RDC de reproduction pour aucun d'entre eux - tous ces spécimens à exporter devraient être retirés de la nature. Aucun sanctuaire de gorilles n'accepterait la confiscation de ses animaux. Pour de bonnes raisons, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) interdit les transactions commerciales liées à toutes les espèces que le Ministre Ambatobe veut exporter, à l'exception de l'okapi.

Ce plan a suscité l'indignation mondiale. Plusieurs organisations internationales de conservation ont écrit aux responsables de la CITES, et je viens d’apprendre que le gouvernement de la RDC aurait déclaré qu'aucun accord n'avait été conclu et que la CITES évaluait la situation. Mais l’on ne sait confirmer une telle déclaration sans un document officiel qui stoppe Ambatobe et son plan. A y regarder de près, l’affaire impliquerait plusieurs responsables congolais et le Ministre Ambatobe ne serait que la partie visible de l’iceberg.

Allocation illégale des concessions forestières

 Ce n'est évidemment pas la première fois que le Ministre Amy Ambatobe cherche à hypothéquer le secteur forestier de la RDC. En février dernier, je me suis retrouvé devant un groupe de journalistes alors que je révélais l'attribution illégale par Ambatobe de trois concessions d'exploitation forestière couvrant une superficie de 6 500 km2 aux entreprises chinoises. Deux des trois concessions attribuées chevauchent la zone des tourbières récemment découvertes,  couvrant 145 000 km² et contenant près 30 milliards de tonnes de carbone. Un mois plus tard, il demandait l'autorisation du Premier Ministre Bruno Tshibala pour un vaste plan de commercialisation de quatorze autres concessions couvrant une superficie de la taille de la Belgique. En dépit de la pression médiatique et des réactions de la communauté internationale, rien n'indique que le gouvernement ait pris des sanctions contres ces actions illégales.

Briser le silence

En tant que militant de Greenpeace en RDC, il m’est inconcevable de voir un Ministre de l'Environnement mettre de côté tout sens de responsabilité pour la protection des forêts congolaises. Quelle légitimité pourrait avoir une personne qui poursuit des intérêts égoïstes au détriment de l'intérêt mondial de préserver cette forêt unique et magnifique? Quelle crédibilité peut-on accorder à un Ministre de l’Environnement qui s’adonne au trafic d'espèces menacées d’extinction alors qu’il a la charge de les protéger ? Comment peut–on garder à la tête d’un portefeuille aussi important, un Ministre qui planifie de détruire une grande superficie  des forêts les plus riches en biodiversité du monde? Comment peut-on prétendre organiser la 27ème conférence des parties (COP27) en 2021 sur le climat et poser anticipativement des actes hostiles tant à la biodiversité qu’aux engagements climatiques pris à Paris ?

En cette période où les espèces fauniques rares sont de plus en plus menacées et le climat mondial se réchauffe davantage, il est de la responsabilité de tout congolais et citoyen du monde de protéger des zones importantes telles que les forêts congolaises  et ce, au-delà de tout principe de souveraineté nationale. Il est évident que le peuple congolais ne peut compter sur l’actuel Ministre de l’environnement pour protéger nos forêts.

Nous avons l’obligation de protéger notre patrimoine forestier congolais contre la coalition des Ministres Ngoy Mukena et Amy Ambatobe qui s’apprêtent à le convertir en argent comptant, tout en sacrifiant les générations présentes et futures. Ils font passer leurs intérêts personnels avant ceux des congolais. Nous avons donc l’obligation de faire des bons choix de nos dirigeants aux prochaines élections.

Par Irène Wabiwa Betoko

Responsable de la campagne forêt

Greenpeace Afrique - RDC

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