La RDC et l’Angola ont multiplié, ces dernières années, des rencontres pour tenter d’aboutir à la mise en œuvre de la Zone maritime d’intérêt commun (ZIC) dont l’accord remonte en 2007. Après plusieurs rendez-vous en bilatéral, c’est finalement ce jeudi 13 juillet, à Kinshasa, que les deux pays vont signer un protocole d’accord sur l’exploitation et la production effective des hydrocarbures dans cette zone.
Cette date a récemment été confirmée par le ministre congolais des hydrocarbures, Didier Budimbu, lors de la 103ème réunion du conseil des ministres, vendredi 7 juillet dernier. Au cours de cette rencontre, souligne le compte rendu du gouvernement, le ministre de tutelle a présenté un rapport sur l’état d’avancement de ce dossier.
« La signature de l'accord sur la gouvernance et la gestion de la zone d'intérêt commun entre les délégués de deux gouvernements déclenchera à son tour les travaux de négociations du contrat de partage de production harmonisée entre les parties prenantes », rapportait le compte rendu de cette réunion du 7 juillet.
L’Angola seul bénéficiaire jusque-là !
Signé le 30 juillet 2007, à Luanda, capitale de l’Angola, l’accord sur la ZIC a pour objectif principal “ l’exploitation commune des hydrocarbures sans porter préjudice de la délimitation des frontières maritimes entre les deux pays ”.
« Si le nouveau partenariat est conclu dans la stratégie que la RDC puisse gagner en temps pour saisir l'arbitrage international, je peux dire que la RDC est dans la voie de gagner compte tenu d'un surplus de revenus que cela va apporter dans le budget mais si c'est pour faire plaisir à l'Angola compte tenu de ses assistances militaires qu'il apporte souvent à la RDC, je peux affirmer haut et fort que le gouvernement a hypothéqué l'avenir de Congolais pour beaucoup d'années parce que les autres blocs ne nous reviendront peut être plus jamais », dit, à ACTUALITE.CD, Lewis Yola, expert aval pétrolier et en négociation des contrats pétroliers.
Ce dernier cite les articles 76 et 56 de la convention de Montego Bay pour attester que la RDC peut prétendre exploiter seule ses blocs. « Il sied de noter que le plateau continental fait partie intégrante de la zone économique exclusive que la RDC doit en principe jouir pleinement de toutes les richesses présentes », soutient-il.
Dans le même ordre d’idées, Kristof Titeca, professeur à l'Institut de politique de développement de l'Université d'Anvers (Belgique) et dont le travail se situe à l'intersection des sciences politiques, du développement et des études régionales, clarifie un peu plus la situation. Pour lui, le pétrole jusqu’ici exploité par l’Angola dans cette zone revient à la RDC.
« Si on regarde d’une manière technique, ce pétrole appartient bien au Congo. Kinshasa avait plusieurs fois menacé de porter l’affaire en justice à l’international. Il y a même une loi que le président Kabila avait signée en 2009 qui délimitait plusieurs frontières maritimes, dont celles-là. Mais les démarches ne sont pas allées plus loin, même si le sujet est régulièrement remis sur la table, notamment par des députés congolais », confie ce chercheur à ACTUALITE.CD.
Et d’ajouter :
« Le Congo n’a jamais osé le faire depuis l’époque de Mobutu parce que l’Angola est trop influente et trop puissante dans la région. Ce différend a commencé dans les années 70 ».
Des précédentes tentatives soldées par l’échec
Cela fera bientôt 16 ans que l’accord sur la ZIC a été conclu entre la RDC et l’Angola. Mais depuis rien n’a été effectif. A l’origine, des incompréhensions entre les deux nations sœurs notamment sur le nombre de blocs qui concerneraient cette ZIC. Des rencontres ont été organisées en 2007, 2009 voire 2011 et plus récemment durant le mandat de l’actuel chef de l’Etat Félix Tshisekedi. Mais aucune issue satisfaisante à chaque fois.
« Selon la RDC (époque Kabila) on ne devrait pas se limiter qu'à un seul bloc, une chose que l'Angola ne voulait pas faire passer. Malheureusement ou heureusement l'administration Tshisekedi vient d'accepter une ZIC qui intègre qu'un seul, maintenant on se pose la question quid des autres blocs ? Surtout qu'ils ont une valeur économique consistante, cfr. bloc 15 », explique M. Yola.
Et d’évaluer les pertes déjà concédées par la RDC et le niveau d’investissements réalisés à ces jours dans cette zone au profit de l’Angola. « Aujourd'hui, les informations les plus claires sont celles du Bloc 15, dont l'importante partie du gisement se trouve dans la zone congolaise. La production baril journalier est d'environ 200 000 barils, avec toutes ces années passées d'exploitation, nous pouvons estimer plusieurs millions perdus par la RDC ».
Un rapport détaillé d’une mission officielle effectuée à Luanda, du 3 au 4 août 2011, rapporte des recommandations formulées par la délégation congolaise conduite par Gustave Beya Siku, directeur de cabinet de Joseph Kabila alors président de la République. Des recommandations qui se rapprochent de celles régulièrement formulées par la société civile.
« La prudence dans la mise en œuvre de l'accord du 30 juillet 2007, eu égard, d'une part au caractère provisoire de cet arrangement entre Etats et, d'autre part, à l'incertitude du potentiel en hydrocarbures et aux difficultés d'exploitation dans cette zone ; De s'investir dans le recouvrement des espaces maritimes conformément aux prescrits de la loi n°07/004 du 16 novembre 2007 autorisant la ratification de l'Accord du 30 juillet 2007 et de la loi n°09/002 du 07 mai 2009 portant délimitation des espaces maritimes de la RDC ; L'activation de la mise sur pied de la commission conjointe RDC-Angola pour la délimitation de la frontière maritime, conformément au procès verbal des travaux préparatoires relatifs à la visite officielle du Président de la RDC à Luanda du 24 au 30 juillet 2007 et, préalablement, la désignation des membres de la partie congolaise dans cette commission ; La préparation des dossiers techniques et juridiques et l'élaboration des termes de référence des négociations avec l'assistance d'experts externes ».
Encore une possibilité d’arbitrage ?
L’exploitation dans la ZIC et dans d’autres blocs que la RDC peut toujours revendiquer a commencé depuis belle lurette. Les opérateurs comme Chevron ou Total y travaillent sous la houlette de l’Angola. Mais à en croire l’expert Lewis Yola, l’arbitrage reste encore possible. La principale force de la RDC reste sa loi de 2009 sur ses frontières maritimes.
« La Convention de Montego Bay est un outil important pour la RDC parce qu'elle recommande aux pays signataires de consulter toujours les experts de l'ONU avant de faire exécuter leur délimitation du plateau continental (article 77), ce qui n'a pas été fait par l'Angola. Donc on trouve encore important que la RDC fasse recours à l'arbitrage international pour se rétablir dans ses droits maritimes étant donné qu'elle a aussi sa loi de 2009 sur la délimitation du plateau continental ainsi les juges l'opportunité de réparation de dommages causés à la RDC », indique Lewis Yola.
La question de limites des frontières maritimes entre la RDC et l’Angola a commencé depuis des lustres. D’après un état des lieux sur le dossier sorti en 2018 par le ministre congolais des hydrocarbures, la préoccupation a été inscrite dans les discussions lors d'une des rencontres de la grande commission mixte RDC et Angola durant la deuxième République.
Cependant, la léthargie politique qui a caractérisé ce régime n'a pu permettre l'organisation de la suite des pourparlers entre les deux pays. C’est seulement en 2000, avec l'intérêt grandissant de la RDC de jouir pleinement de ses ressources naturelles en générale et pétrolières en particulier dans le bassin côtier, que les autorités ont amorcé les contacts avec l'Angola pour trouver une solution à l'amiable à la question, en tenant compte des relations politiques et de fraternité prônées par les deux gouvernements.
Et tout commence le 21 janvier 2000, quand le ministre d'Etat en charge du pétrole pour la RDC et son homologue angolais signent un accord intitulé “Couloir maritime” dans lequel les deux parties conviennent d'établir un couloir de 4 kilomètres de largeur à partir de l'embouchure du fleuve Congo, comme prolongement du territoire de la RDC dans la zone maritime en de délimiter les frontières latérales entre les deux Etats. Cet accord ne présentant pas des dispositions raisonnables d'une délimitation des frontières a été dénoncé quelques mois plus tard par le gouvernement de la RDC.
A la suite de cet échec, un mémorandum d’entendement a été signé entre les deux parties, le 18 juin 2003. Dans ce document, l’Angola visait à revenir sur le couloir maritime, alors que la RDC croyait déjà à une exploitation commune des hydrocarbures en attendant la délimitation des frontières. Ledit mémorandum a fini par être remplacé par l’accord sur la ZIC du 30 juillet 2007 au motif qu’il tendait à fixer les frontières maritimes de la RDC.
Japhet Toko