Communiqué
Participation aux travaux de la table ronde
Le 12 avril 2022, le Cabinet du Président de la République a convié des représentants de la société civile à la table ronde de restitution sur l’accord de règlement à l’amiable de tous les litiges entre la RDC et le groupe Ventora de l’opérateur économique Dan Gertler. Les représentants de sept organisations membres de la coalition Le Congo n’est pas à vendre (CNPAV) y ont été invités.1
Au cours de ladite table ronde qui s’est tenue le 13-14 avril 2022, le Directeur de Cabinet Adjoint du Président de la République André Wameso, principal intervenant, a projeté deux documents : (1) une version non signée du protocole d’accord de règlement à l’amiable de tous les litiges entre la RDC et Dan Gertler et (2) une annexe signée à ce protocole d’accord, intitulée « documentation définitive ». Aucune copie en dur n’a été remise.
Le CNPAV salue l’initiative qui a permis d’enrichir la compréhension des éléments contextuels ayant conduit à la signature du protocole d’accord ainsi que l’engagement du Président de la République concernant la participation de la société civile dans les processus futurs de renégociation de contrats miniers. Toutefois, ces démarches ne peuvent se substituer ni aux obligations de transparence auxquelles est sujette la République, ni aux prérogatives gouvernementales en matière de gestion du secteur extractif. Le CNPAV exprimera un avis séparé et détaillé sur lesdits processus.
Par ailleurs, la table ronde n’a pas permis d’effacer nos craintes par rapport au contenu de l’accord. Au contraire, plutôt que d’obtenir une compensation pour les pertes passées et futures subies à cause des transactions avec M. Gertler, ce sera la RDC qui paiera une compensation à Dan Gertler et non l’inverse. La présente déclaration vise à détailler de manière préliminaire ces craintes.
Obligation de publier l’accord et ses annexes
Le CNPAV constate la persistance des divergences résultant de la compréhension inexacte, par les membres de la Commission de négociation de l’accord, des exigences de transparence dans le secteur extractif et des dispositions légales et réglementaires concernant l’obligation de divulguer l’accord signé et toutes ses annexes.
Le CNPAV rappelle que la clause de confidentialité mentionnée dans cet accord est nulle et de nullité absolue en droit positif congolais dans le secteur extractif. En effet, la loi portant régime général des hydrocarbures,2 le code minier3 et les exigences de la
Ces organisations sont l’ODEP, le RECIC, Afrewatch, UNIS, Resource Matters, LUCHA et Filimbi. Suite aux divergences d’opinions sur l’accord, l’ODEP et le RECIC ont souhaité quitter la coalition. La présente déclaration émane des 14 membres restants de la coalition.
Norme de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE)4 consacrent la transparence de tout contrat portant ressources naturelles et ses annexes. Ces exigences de transparence et de divulgation s’appliquent au présent accord qui concerne le transfert de propriété des actifs miniers et pétroliers et règle la répartition de certaines recettes liées à ces actifs. Les exigences de transparence s’étendent également aux procédures d’acquisition et d’aliénation des licences.
Le CNPAV rappelle en outre que plusieurs règlements amiables similaires signés par la RDC et les opérateurs miniers ont été entièrement publiés par les gouvernements précédents. Il s’agit à titre illustratif de l’accord de règlement à l’amiable des différends signé entre la RDC et la Groupe Banro Corporation d’avril 2002, ou encore de l’accord de règlement à l’amiable de litige entre la RDC, First Quantum Minerals et ENRC du 1 mars 2012 relatif aux rejets de KMT, Frontier et Comisa.
Le CNPAV rappelle que tout refus de publier cet accord et ses annexes dans les délais légaux de 60 jours constitue une infraction d’entrave à la transparence réprimée par l’article 311 ter du code minier. Il va également à l’encontre des déclarations du Président Félix Tshisekedi liées à sa politique de bonne gouvernance et aux engagements du gouvernement dans le cadre de son programme avec le Fond Monétaire International.5
De ce qui précède, le CNPAV appelle l’État Congolais, à travers le Président de la République et le Premier Ministre, à faire publier cet accord ainsi que toutes ses annexes par les Ministères des Mines et des Hydrocarbures conformément au principe de bonne gouvernance, aux dispositions légales en RDC et aux exigences de l’ITIE en matière de divulgation des contrats et des transactions en lien avec les ressources extractives.
Contenu de l’accord
Engagement de la RDC à assister M. Gertler dans la levée des sanctions
CNPAV note avec stupéfaction l’inclusion dans l’accord d’une clause astreignant le gouvernement de la RDC à défendre l’accord auprès des médias, des ONG et de l’administration américaine afin d’obtenir la levée des sanctions américaines ciblées contre Monsieur Gertler et ses sociétés affiliées.
Cet engagement, quasi-immoral, pris par la RDC est totalement incompréhensible et inacceptable, d’autant plus qu’il risque d’occasionner l’utilisation d’autres importantes ressources financières du contribuable congolais à travers les actions de lobbying auprès de l’administration américaine.
Valeur des actifs récupérés et compensation à verser par la RDC
Le CNPAV salue l’action et l’engagement de l’État congolais à entamer le processus de récupération des actifs miniers et pétroliers bradés, tout en rappelant que ceci doit être fait dans l’optique de préserver les intérêts de la RDC.
Le CNPAV note que selon la présidence, la valeur des actifs pétroliers et miniers annoncés récupérés représenterait environ 2,5 milliards de dollars américains. Ce chiffre serait basé sur une évaluation effectuée par une firme canadienne non autrement identifiée et dont la copie n’a pas été présentée. Le CNPAV rappelle que les travaux d’exploration réalisés sur terrain ont été faibles et que M. Gertler lui-même n’est pas parvenu à revendre ses blocs pétroliers. Ainsi, le CNPAV demande à ce que les détails de l’évaluation canadienne soient partagés pour s’assurer qu’il n’y ait pas eu une surestimation de la valeur des actifs récupérés.
CNPAV note que l’Etat congolais s’est engagé à payer 240 millions d’euros pour compenser les investissements qu’aurait réalisés M. Dan Gertler sur l’ensemble des actifs miniers et pétroliers récupérés par la RDC. Cette somme sera due même si le Congo n’arrive pas à revendre les actifs. Le CNPAV note que ceci représente un risque d’endettement du pays.
Pertes passées non compensées et permis non récupérés
Le CNPAV note avec stupéfaction que l’accord ne comprend aucune compensation pour les énormes pertes et préjudices antérieurs subis par la RDC à la suite des actes de corruption pour lesquels M. Dan Gertler a été sanctionné. Pour rappel, le CNPAV a estimé ses pertes à près de 2 milliards de dollars américains.6
Par ailleurs, l’une des clauses présentées pendant la table ronde stipule que la RDC s’engage à ne pas se constituer partie civile dans les procédures internationales pour solliciter des indemnisations pour ces pertes passées. Cette approche de banalisation et de légitimation de graves crimes économiques passés constitue une jurisprudence dangereuse qui risque de plomber le processus de renégociation des contrats du même type, car d’autres corrupteurs et criminels économiques pourraient s’en prévaloir.
Le CNPAV constate en outre que l’accord présenté ne concerne qu’une partie des permis miniers détenus par Monsieur Gertler, à l’exclusion de bien d’autres, notamment les permis détenus par la société Orama dans le secteur du manganèse.7 Il n’y a pas non plus de clarté sur le sort des permis de rejets de cuivre-cobalt détenus par la société Evelyne Investment8 et par la société Interactive Energy,9 deux sociétés dont les bénéficiaires ultimes restent inconnus, mais qui pourraient avoir des liens avec Ventora. Ainsi, nous estimons qu’il n’y a pas de certitude que le Congo ait récupéré tous les actifs pétroliers et miniers de M. Gertler comme l’a affirmé la Commission des négociateurs de cet accord.
Royalties de KCC, Metalkol et Mutanda qui continueront à bénéficier Dan Gertler
CNPAV fustige le fait que l’accord confirme le droit de M. Gertler de poursuivre la perception intégrale des royalties de ces trois projets miniers (Mutanda, Metalkol et KCC) jusqu’à l’échéance de l’exploitation de ces mines. Le CNPAV rappelle que selon ses analyses,10 ces royalties étaient acquises de manière illégale et devraient revenir à l’État et à la Gécamines. Le CNPAV fustige cette tentative de légitimation et de légalisation de l’acquisition frauduleuse des actifs miniers et pétroliers, y compris la privatisation des royalties de Mutanda, Metalkol et une majorité de KCC.
La présidence a expliqué que la Gécamines percevrait une compensation de 249 millions d’euros comme le trop perçu par M. Dan Gertler des royalties de KCC.
D’après les calculs du CNPAV, ces royalties valent pourtant 1,085 milliards de dollars en chiffres absolus, et 380 millions en valeur actualisée nette.11 Ainsi, la compensation offerte semble en-dessous de la valeur de l’actif.
Plus inquiétant encore, il y est probable que la Gécamines ne touchera jamais cet argent. En effet, la Gécamines avait reçu un prêt de M. Dan Gertler d’un montant de 191 millions d’euros,12 qui aurait contribué au financement du processus électoral de 2018. Ce montant sera déduit de la compensation pour les royalties de KCC, ramenant la compensation pour la Gécamines à 58 millions de euros. Il faudra en plus déduire la compensation de 240 millions d’euros pour les « investissements » de M. Gertler dans les blocs pétroliers et les permis miniers.
Conclusion préliminaire sur base des informations présentées
CNPAV note avec stupéfaction que tout compte fait, c’est la RDC qui paiera 189 millions d’euros à Dan Gertler, plutôt que l’inverse. La RDC doit payer ce montant une année après la signature de l’accord, et ce, indépendamment de la vente ou pas des actifs récupérés. Par ailleurs, M. Gertler continuera de percevoir les royalties des mines de KCC, Mutanda et Metalkol, estimées à un total de 1,7 milliards de dollars en chiffres absolus sur les 20 ans à venir.
En revanche, les gains pour la RDC sont renvoyés au futur—lors de la vente hypothétique des actifs récupérés, et ce, sans compensation d’énormes pertes passées enregistrées par le peuple congolais dans les transactions avec M. Dan Gertler.
De ce qui précède, le CNPAV note qu’au regard des informations à sa disposition, l’accord signé entre la RDC et l’homme d’affaire Dan Gertler est totalement déséquilibré et profite plus à M. Dan Gertler et son réseau, et ce, au détriment des citoyens congolais.
Le CNPAV annonce qu’il mettra prochainement à la disposition du gouvernement et de l’opinion nationale et internationale les éléments techniques problématiques et détaillés sur ledit accord.
Perspectives
CNPAV informe l’opinion qu’elle maintiendra sa campagne citoyenne en vue d’obtenir la publication de l’accord et toutes ses annexes, et (ii) la récupération intégrale et effective de tous les actifs miniers et pétroliers frauduleusement acquis par Dan Gertler et l’ensemble de son réseau, en particulier les royalties des projets KCC, Metalkol et MUMI;
Le CNPAV se dit disposé à maintenir des échanges constructifs avec les autorités de la RDC en vue de la récupération totale et transparente des actifs bradés au détriment de la population congolaise. A cet égard, le CNPAV soumettra au gouvernement congolais la liste additionnelle d’actifs détenus par le réseau de Dan Gertler ainsi que toutes les autres informations utiles ;
Le CNPAV s’engage à promouvoir le contrôle citoyen sur l’utilisation des actifs qui seront formellement récupérés.
Fait à Kinshasa le 21 avril 2022