Deux lanceurs d’alerte ayant agi dans l'intérêt public ont été condamnés à mort par le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa Gombe, à leur insu et en leur absence.
Le 26 février 2021, l'avocat de l'Afriland First Bank a annoncé dans une interview à la presse que Navy Malela et Gradi Koko, deux anciens employés chargés de l'audit au sein de la banque, avaient été condamnés à mort en septembre 2020.
Dans le cadre de leur travail au sein d’Afriland, MM. Navy Malela et Gradi Koko avaient identifié d’importantes irrégularités au sein de leur institution financière. Ils avaient ainsi lancé l’alerte en interne, puis transmis des documents à des ONG et des journalistes, en prenant d’énormes risques pour leur sécurité personnelle, et celle de leurs familles. Un d’entre eux a été sérieusement menacé et ils n’ont eu d’autre choix que de s’exiler à l’étranger où ils vivent cachés et dans des conditions difficiles.
La procédure judiciaire initiée à leur encontre par Afriland et ayant conduit à leur condamnation à mort a été entourée de nombreuses irrégularités. Le CNPAV dénonce en particulier un processus judiciaire irrégulier et biaisé, qui a aussi fait l’objet d’un reportage sur RFI. La journaliste de RFI a également dénoncé, entre autres, ce qui semble être un faux jugement circulant dans la presse et
sur les réseaux sociaux.
“Nous condamnons la procédure judiciaire biaisée visant à incriminer les deux lanceurs d’alerte d’Afriland First Bank. Il est scandaleux que deux individus, œuvrant avec courage pour l'intérêt commun, aient été condamnés à mort, sans avoir eu même l'opportunité d'être entendus ou défendus. Et cela contre tout bon sens et jusqu’à présent dans le silence total des autorités publiques de notre pays. Une fois de plus, l’instrumentalisation de la justice et l’impunité viennent entacher le mandat du Président Félix Tshisekedi”, a déclaré Jean Claude Mputu, porte-parole du
CNPAV.
Parmi les irrégularités identifiées, il y avait l'existence de deux procédures simultanées concernant la même fuite de documents bancaires d'Afriland. La première, dont PPLAAF avait connaissance et pour laquelle elle donc pu désigner un avocat pour comparaître lors d’une audience au Tribunal, et qui a été reportée puisqu’Afriland ne s’est jamais présentée à l’audience. Et la deuxième procédure qui a été révélée plus récemment et qui s'est déroulée à l'insu de l'avocat du PPLAAF ou de MM. Malela et Koko. C’est lors de cette deuxième procédure en privé que le tribunal a condamné à mort les deux lanceurs d’alerte, à leur insu et en leur absence.
Cette deuxième procédure n'a pas été inscrite sur le rôle du tribunal. De plus, les citations directes obtenues par le PPLAAF, prétendument utilisées pour appeler M. Malela et M. Koko à comparaître devant le Tribunal dans cette deuxième procédure, ont été signées par leurs prétendus voisines mais le nom de ces voisines ne sont connus d'aucun des deux lanceurs d’alerte.
“Cette condamnation est un véritable abus de procédure judiciaire visant à intimider les défenseurs des droits humains, en particulier les lanceurs d’alerte. Comment est-il possible de tenir des audiences secrètes, devant le même tribunal avec les mêmes juges ? Comment juger et condamner à mort des personnes sur la base de citations directes absolument irrégulières ? Et comment est-il possible que le juge ait prononcé la peine capitale à l’insu des personnes jugées?”, demande Maître Henri Wembolua Otshudi, Avocat et défenseur des droits humains.
“Cette peine est complètement disproportionnée d’autant que ces deux citoyens devraient être félicités et remerciés, et non poursuivis et condamnés”, poursuit Maître Henri Wembolua Otshudi.
“Le CNPAV est solidaire de Navy et Gradi, qui ont tout sacrifié pour défendre leurs valeurs, et leur pays. Les lanceurs d’alerte assurent la redevabilité et l’équilibre du pouvoir - il faut à tout prix les protéger”, explique Jean Jacques Lumumba, lanceur d’alerte et Président de UNIS.
Les irrégularités que ces deux lanceurs d’alertes avaient identifiées, ainsi que les documents qu’ils ont partagés avec PLAAF, Global Witness et plusieurs médias internationaux ont formé la base
d’enquêtes exposant un apparent réseau de blanchiment d’argent qui aurait permis à Dan Gertler de contourner les sanctions américaines et de continuer ses activités en RDC. Leurs documents semblent également montrer des liens de la banque avec le Hezbollah, la Corée du Nord, et le
retrait de plus de $4.4 millions du compte du sénat de la RDC, juste avant les élections congolaises de 2018.
Dan Gertler et Afriland First Bank ont nié toutes les allégations de malversations et toute tentative de se soustraire aux sanctions américaines ou d'enfreindre les lois sur le blanchiment d'argent.
Afriland First Bank a fourni une longue réponse à RFI. M. Gertler et Afriland ont tous deux déclaré que les documents partagés par la Navy Malela et Gradi Koko étaient falsifié et ont menacé de poursuites les organisations qui ne veulent pas détruire ces documents.
"Plutôt que de condamner à mort deux courageux lanceurs d’alertes, la RDC ferait mieux d'enquêter sur les pratiques illégales et de corruption au sein de Afriland First Bank et les nombreuses accusations de corruption et blanchiment à l'encontre de Dan Gertler, soupçonné d’avoir fait perdre à la RDC au moins $1.36 milliards en deux années,” continue Jean Claude Mputu, porte-parole du CNPAV.
Le CNPAV appelle les autorités congolaises, et tout particulièrement le président Félix Tshisekedi, qui s’est engagé à lutter contre la corruption, et le Conseil Supérieur de la Magistrature à enquêter sur les circonstances de ce procès, à s’engager pour la protection des lanceurs d’alerte et de la liberté d’expression et de garantir l’indépendance de la justice congolaise.
Communication du CNPAV