« Covid-19 : marche des maraichers contre le confinement » (Chronique du Prof Yoka)

ngobila au marché
PAR Deskeco - 13 juin 2020 09:25, Dans Analyses

Confidence du chauffeur du ministre

9 juin 2020. « Zando », le grand marché est en ébullition. Confiné mais en ébullition avec l’irruption enragée des maraichers et des maraichères expulsés de la République Autonome de la Gombe (RAGE). Partie des abords frontaliers de la Gombe, là où désormais s’entassent vaille que vaille des maraichers-migrants hors-circuit, la marche des maraichers  s’est dirigée vers les installations du « zando », du marché central démantelées à la faveur du confinement. Foule immense, bigarrée : des mama-bateki (maraichères), des mama-cop (commissionnaires), des mama- bipupula (vendeuses de manioc), des mama-mapa (vendeuses de pain), des  mama-pawuni (bijoutières), des   mama-malewa  (gargotières), des mama-bilokos (liquidatrices des friperies). Mais aussi des    shegues  (enfants de rue), des libangistes (débrouillards), des chayeurs (petits revendeurs du petit commerce), des  londonniennes (prostituées), des  quados  (rechapeurs de pneus),  des  rec  ( receveurs, convoyeurs de taxi-bus), des  bongolateurs (cambistes au noir)…

 Marche à la fois carnaval et manif de protestation. Marche déterminée  à  récupérer les espaces naguère confisqués         d’autorité. Mais la police est là. Face à face police et marcheurs-maraichers. Et soudain, on ne sait pourquoi, tout dérape. Et c’est l’irréparable : de ce côté-ci, l’assaut      avec  gaz  lacrymogènes  et balles létales ; de ce côté-là, la riposte populaire avec caillassage.  La marche s’est terminée dans le désordre et les dégâts…

… Voilà le rapport que  j’ai  communiqué  par  téléphone, et  à sa demande, à mon patron le Ministre des Affaires Stratégiques et Tactiques ( à prononcer avec respect…). J’ai certifié     à mon Ministre  que j’avais été présent moi-même, moi-même témoin oculaire et auriculaire de la marche. Chuuut !   ce n’est pas tout à fait exact : en vérité cette version des faits, je   la   tiens   de la … secrétaire du Ministre qui habite dans les parages de l’ex-futur-marché. Elle-même me dit détenir sa version  de l’amie de sa cousine, elle-même maraichère.  L’amie  de   sa cousine elle, n’y était pas, à la marche… Elle a appris  tous les détails par whatsapp d’une consœur en principe présente sur les lieux de la protestation…

Aussitôt informé, en homme politique pratique, mon patron de Ministre m’a demandé de lui trouver l’une des responsables des marcheuses-maraichères. Evidemment j’ai réquisitionné    la consœur de l’amie de la cousine de la secrétaire du Ministre. Et je l’ai conduite auprès du Ministre. Extrait des échanges entre le Ministre et la maraichère :

« MINISTRE : Soyez la bienvenue, Mama-Moteki. Que s’est-il passé pour susciter tant de colère des maraichers et des maraichères ?

MARAICHERE :  Ministre, « Mvula epanzaka  matanga, kasi zando te (« la pluie disperse le deuil, mais jamais  le marché »)

MINISTRE :  Mais, Mama-Moteki, il y a le Covid-19, il y a incendie et péril en la demeure !

MARAICHERE : Ministre, « Zando ezali libumu ya mboka ; libumu      nzala, matoyi manbgongi » (« le marché est le ventre de la ville ; ventre affamé n’a  point d’oreille »)

MINISTRE : Mais, chère Mama-Moteki, le Covid-19 est là !   Il tue. Et tue en masse.

MARAICHERE : Ministre, Kuluna-virus ezali ndoki ya molili, nzala ezali ndoki ya moyi ;  nani monguna penza ! (« Corona-virus est un sorcier de l’ombre, la faim est un sorcier à ciel ouvert ; il ne faut pas se tromper d’ennemi ! »)

MINISTRE :  Mama-Moteki, la  mort  ne vous donc pas peur ? Vraiment ?

MARAICHERE :  Liwa ?  « Tolalaka na liwa, tolamukaka na liwa. Kuluna-virus ya bino, ya biso te » («  La mort ? Nous couchons avec elle ;  tous les jours nous lui survivons par  miracle… ». Corona-virus, c’est pour vous,  gens-d’en-haut ;  pas pour nous, gens-d’en-bas… »).

(YOKA  Lye)

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