L’Agence de lutte contre la corruption est un « Parquet extraordinaire » sous l’autorité du Chef de l’Etat, dénonce Delly Sesanga

Delly sesanga
PAR Deskeco - 21 avr 2020 12:28, Dans Analyses

Le député national de la circonscription de Luiza dans la province du Kasaï Central vient de porter une critique sur  l’ordonnance n°23/13 portant création de l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption (APLC) rattachée à la présidence de la République. Sur ses 6 critiques portées  sur la conformité de cette ordonnance à la constitution et aux  du pays, Delly Sesanga assène que cette agence de lutte contre la corruption, au regard des prérogatives lui attribuées par l’ordonnance la créant, parait comme un « Parquet extraordinaire » sous la seule autorité du chef de l’Etat. Autant dire que le président de la République a ajouté à son pouvoir exécutif un autre pouvoir judiciaire. Ce qui énerve d’office le principe sacrosaint de la séparation des pouvoirs dans une République.

Dans son analyse critique sur sa conformité à la constitution et aux lois de cette ordonnance, le député de Luiza soutient que « l'Agence jouit des pouvoirs exorbitants sans contrôle politique et juridictionnel ».

« L'Agence de lutte contre la corruption est créée, comme un service spécialisé, placée sous l'autorité du Président de la République au sein de son cabinet [art. 1er). Son champ d'activité large est quasi indéterminé et elle jouit des pouvoirs exorbitants. Préventivement, elle détecte les infractions. Pendant l'enquête, elle réunit, établit les preuves, avec pouvoir d'entendre toute personne, et peut provoquer des poursuites. Elle assure la protection des témoins et des ceux qui ont dénoncé les infractions. L'Agence propose des procédures de confiscation des produits illicites et de recouvrement des avoirs, revenus et autres profits obtenus au moyen de ces infractions (art. 2) », fait remarque le président de l’Envol, parti politique de l’Opposition.

De ce constat, il en dégage 6 remarques par rapport à la conformité à la constitution et aux lois.

1. La première remarque tient à l'absence de contrôle des actes posés par cette Agence, dont le statut reste à définir ou regard des d'importantes prérogatives qui lui sont conférées par l'ordonnance. Placée sous l'autorité du Président de la République, l'agence est dans un régime d'opacité et d'irresponsabilité, dès lors que ses actes ne peuvent être connus du Parlement, en raison de l'autorité du Président de la République dont elle relève. Par ses missions, l'Agence accomplit, sans qualité légale, des actes d'instruction criminelle, pour les infractions dont elle est saisie ou se saisit d'office (art. 3). Par l'exercice de son autorité hiérarchique sur l'activité de l'Agence, le Président de la République se retrouve dans une disposition contraire au principe de la séparation des pouvoirs en ajoutant à l'exercice du pouvoir judiciaire à son pouvoir exécutif.

2. La deuxième remarque tient à la généralité du libellé des infractions susceptibles d'être recherchées par l'Agence. Elle est source d'abus, des tracasseries, d'insécurité juridique et judiciaire. Aussi, certaines législations, notamment en matière fiscale, douanière et de la réglementation de charge prévoient des procédures de recherche de poursuite, mieux organisées par les lois sectorielles avec des garanties juridictionnelles pour le justiciable, que l'ordonnances prétend anéantir, sans justifier de la compétence réglementaire du Président de la République pour les abolir.

 L'ordonnance viole les articles 122, 150, 149 et 19 de la constitution

3. La question porte sur la compétence matérielle du Président de la République de régler par voie réglementaire les matières contenues dans l'ordonnance n°20/013. Le domaine de la loi est défini par les articles 122 et 123 de la Constitution. Aux termes des points 1 et 6 de l'article 122, la loi fixe les règles en matières de libertés individuelles ainsi qu'en matières de libertés de procédure pénale. En statuant par une mesure réglementaire sur ces matières, qui reviennent du domaine de la loi, l'ordonnance n°20/13 viole les articles122-1 et 6 de la constitution. Car, il n'entre pas dans les pouvoirs du Président de la République de régler par l'ordonnance une matière qui relève du domaine de la loi.

4. Aux termes de l'article 150 de la Constitution, le pouvoir judiciaire est le garant de la liberté individuelle et des droits fondamentaux. En instituant le pouvoir judiciaire garant des libertés, la Constitution confie au pouvoir judiciaire, dans les conditions prévues par la loi, le monopole d'exercice de l'action pénale. Celle-ci comporte, au sens de l'article 19 de la Constitution, les phases de l'enquête et de l'instruction préjuridictionnelle. En voulant confier aux membres de son cabinet, qui n'appartiennent pas au pouvoir judiciaire, l'exercice des missions juridictionnelles dévolues par la constitution et les lois au seul pouvoir judiciaire, l'ordonnance n°20/013 viole l'article 150 de la Constitution.

5. D'un point de vue pratique, par ses pouvoirs aussi étendus, l'ordonnance crée, sans le nommer, un parquet extraordinaire sous l'autorité du Président de la République, qui devient un super procureur, fusionnant les pouvoir exécutif et judiciaire. Ce faisant, l'ordonnance viole l'article 149 alinéas 5 et 6, qui dispose qu'il ne peut être crée de tribunaux extraordinaires et d'exception sous quelque dénomination que ce soit. Qu'un tel service soit dénommé " Agence ", sa nature de parquet extraordinaire découle des prérogatives dont elle est pourvue par l'ordonnance qui la crée.

6. L'ordonnance viole enfin l'article 19 de la Constitution qui dispose que nul ne peut être soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne. En ouvrant la possibilité d'ouverture des enquêtes au niveau de l'Agence, y compris d'office, l'ordonnance n°20/013 bis soustrait le justiciable du juge naturel que la loi désigne.

Dans sa conclusion Delly Sesanga note : « Il convient donc d'une part de rapporter l'ordonnance n°20/013 portant création de l'Agence de prévention et de lutte contre la corruption, et d'autre part saisir cette opportunité pour définir une politique plus large, conforme à la constitution dans un cadre législatif exhaustif, cohérent et évolutif, au carrefour de tous les enjeux juridiques et techniques de la lutte contre la criminalité financière ».

Amédée Mwarabu

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