L’Observatoire de la dépense publique (ODEP), un regroupement des organisations de la société civile de la RDC travaillant dans le suivi et le contrôle citoyen du processus budgétaire, vient de publier ce jour son rapport portant sur l’exécution du Budget 2019 (de janvier à septembre 2019).
Dans ce rapport que DESKECO.COM a consulté, l’ODEP constate que l’arrivée au pouvoir du président Félix TSHISEKEDI était perçue comme « une nouvelle opportunité de voir les conditions de vie de la population de la République Démocratique du Congo (RDC) s’améliorer à la faveur d’un début de normalisation des relations entre Kinshasa et ses partenaires ».
« Le nouveau chef de l’Etat congolais a promis de lutter contre la corruption, d'assainir la gestion des finances publiques et de mettre l’Etat au service de ses concitoyens. Malgré ses multiples promesses, l’étude menée par l’Observatoire de la dépense publique sur la gestion des finances de janvier à septembre 2019, illustre que ces promesses restent jusqu’à ces jours non tenus », note ce regroupement dans son rapport.
Dans cette étude, l’ODEP démontre que le programme de 100 jours, élaboré pour répondre aux besoins urgents des congolais, « a été géré en violation de la loi cadre régissant les finances publiques en RDC » alors que le pays, selon cette organisation, a enregistré ces dernières années « des nombreux progrès dans le secteur ».
Dès lors, malgré des efforts fournis sur le plan de la transparence, l’ODEP indique qu’entre janvier et septembre 2019, la gestion des finances a été caractérisée par ces 7 facteurs inquiétants »: « 1. Faible financement du programme de 100 jours ; 2. Prépondérance des marchés de gré à gré 3. Des projets sur financées et surfacturées ; 4. Faible exécution des projets « route » 5. Violation du circuit de la dépense publique et du Manuel de procédure ; 6. Concentration des ressources au sein des institutions ; 7. Défaut de suivi et de contrôle.
Et l’ODEP se justifie en ce sens :
1. Faible financement du programme de 100 jours
Le programme de 100 jours avait été estimé au départ à hauteur de 304 millions USD. Dans la phase de mise en œuvre, l’ODEP constate que les projets lancés ont une valeur de 2,481 milliards de dollars américains. Selon les informations recueillis auprès du Ministère du budget, du Fonds de promotion de l’industrie (FPI) et du Fonds national d’entretien routier (FONER), à fin septembre 2019 ce programme a connu un paiement avoisinant les 216 millions USD soit 71,05%. Les sources de financement sont les suivants : 10 587 873 USD du Fonds de Promotion de l’Industrie ; 24 millions USD du Fonds National d’entretien Routier et environ 181 millions du trésor public. Comparativement au volume des projets lancés depuis le début de l’année de 2,481 milliards USD, il s’observe un taux d’exécution de 8,7%. Cependant, les projets de l’ordre de 2,265 milliards USD n’ont toujours pas connu un début d’exécution.
2. Prépondérance des marchés de gré à gré
Dans la mise en œuvre, le Gouvernement congolais a passé une centaine de marchés publics sur 492 que comptait le programme de 100 jours, dont le budget s’élève à 2,813 507 milliards USD. L’exécution de ces marchés publics a été caractérisée par trois faits importants: l’absence de libellé complète de 21 projets d’une valeur de 1 764 256 USD; 54 projets d’un montant de 431 millions USD ont été effectués avec appel d’offre, contre 21 projets d’une valeur de 2 380 456 milliards effectués de gré à gré.
Sur 21 marchés passés de gré à gré, le budget de cinq (5) dépassent le seuil d’éligibilité de 4 millions USD pour être soumis à un appel d’offre international, notamment le Projet d'érection de 3000 maisons préfabriquées pour Militaires et policiers/Ville de Kinshasa ; la construction des dépôts et stations-services de Carburant à Mbuji-Mayi, Kananga et Mwene-Ditu ; la Construction et réhabilitation des bâtiments abritant la résidence et les bureaux du Président de la République et ses collaborateurs à la cité de l'UA et au Palais de la nation ; du projet de réhabilitation, modernisation et développement du Domaine Agro-Industriel Présidentiel N’Sele de LUKELENGE au Kasaï-Oriental ; et la Transformation des déchets ménagers à Kinshasa.
3. Des écoles sur financées et surfacturées
ODEP a constaté avec regret que la construction des bâtiments du complexe scolaire Mokengeli dans la commune de Lemba et de l'école primaire, maternelle du camp Colonel Tshatshi à Kinshasa a coûté plus chère à la république, voir même surfacturé. La première a été financée par le Fonds de Promotion de l’Industrie (FPI) à hauteur de 1 880 000 USD et la seconde chiffré à 3,299 millions USD par le trésor public. Pourtant, la Loi portant reddition des comptes de la loi des finances pour l’exercice 2015 renseigne que la construction d’une école de 6 salles de classe plus bureau, points, équipements coûte entre 125.000 USD et 130.000 USD. L’école la plus cher coûtait 150.000 USD.
4. Faible exécution des projets « route »
Comme Joseph Kabila, la priorité de Félix TSHISEKEDI est focalisée en grande partie sur la construction et réhabilitation des routes. Environ 136 millions USD avant été prévu pour le paiement de ces dépenses. Cependant, l’impact de ces projets sur les populations reste très limité. Sur une prévision de 3 385,5 Km de route retenus pour être réhabilités, ODEP a identifié 374.42 Km, qui sont en cours de réhabilitation. A cela s’ajoute l’aménagement de la voirie urbaine avec la construction des sauts-de-mouton dans la ville de Kinshasa. Le monitoring effectué par l’ODEP a démontré que les routes à réhabiliter prévus dans le cadre du programme de 100 jours ont connu un taux de réalisation de 80% dans la ville de Kinshasa, moins de 50% dans les restes des provinces. Par ailleurs, il s’inquiète du double financement des projets : « avenue de l’université à Kinshasa, alors que pour la même route 9 millions USD avaient été décaissés par le trésor public entre 2017-2018 et l’avenue ASSOSA, effectué par l’entreprise AORON SEFU », etc.
5. Violation du circuit de la dépense publique et du Manuel de procédure
Après analyse du rapport du Ministère du Budget de septembre, ODEP a noté que les dépenses de l’Etat ont été payées à hauteur de 3,328 357 milliards USD sur des prévisions linéaires de 4,316 158 milliards USD soit 77,11%. Comparé au budget annuel, il se dégage un taux d’exécution de 57,96%. Au cours de la même période, la Banque Centrale du Congo a indiqué dans son rapport que les opérations de la trésorerie ont été clôturées avec un déficit budgétaire de 255,548 millions USD. De même, la situation des avis de débit transmise à la chaîne de la dépense renseigne les dépenses de l’ordre de 444,205 millions USD. Comparées aux transferts, qui s’élèvent à 3,331 milliards USD, il se dégage un écart de 2,887 milliards USD. Selon le Ministère du Budget, cet écart important entre les avis de débits et les montants de transferts est dû à la transmission irrégulière ou la non réception des débits à la chaîne de la dépense par les services qui en ont la charge. Pour l’ODEP, cette situation traduit l’absence de discipline budgétaire et le faible niveau de transparence dans l’exécution de la dépense publique.
Ainsi, à fin septembre 2019, la mauvaise gestion des finances a porté un coup sur les réserves de change, qui se situaient à 869,88 millions de USD. Elles représentent une couverture d’environ 3 semaines d’importation des biens et services, soit un niveau inférieur au minimum requis de mois d’importations dans le cadre des critères de convergence macroéconomique de la SADC et du COMESA.
6. Concentration des ressources au sein des institutions
Après analyse de la situation des recettes, ODEP note que sur les prévisions des recettes domestiques à mobiliser de l’ordre de 4,979 milliards USD, le Gouvernement a réalisé 3,062 milliards USD soit 61,50%. En dépit du contexte économique peu favorable ayant entraîné la baisse drastique des recettes publiques, la Présidence de la République a dépassé son budget en sept mois. Si on y ajoute les dépenses de la Primature, du Sénat, l’Assemblée Nationale, des exécutifs provinciaux et le pouvoir judiciaire (rémunération et fonctionnement), le trésor public a déjà décaissé 1,326 milliards USD, soit 43,30% des recettes mobilisées pendant la période.
7. Défaut de suivi et de contrôle
La société civile a elle aussi noté un manque de suivi technique et de transparence des projets, malgré d’importants montants alloués au “contrôle, surveillance, suivi-évaluation des travaux” qui représentent environ 2% du coût total des travaux du programme d’urgence par volet et par zone. ODEP a noté la mise l’écart de l’administration du Ministère des infrastructure et travaux publics, sensé surveiller les travaux au profit de la Président de la République, alors que l’ordonnance-loi de 2017 pourtant attribution des ministères, ne lui reconnait pas ces prérogatives. En outre, des tâtonnements quant à la gestion du programme sont visibles. Le projet de construction par exemple de saut-de-mouton dans la ville de Kinshasa, prévu pour trois mois, ont connu un glissement de plus 6 mois. La plupart des projets sont exécuté sans plan d’exécution des travaux, note de calcul, contrat de base signé avec les entreprises, etc.
Par ailleurs, l’ODEP a noté le musèlement de l’Inspection générale des finances, qui n’a pas été en mesure d’effectuer ses missions de contrôle, conformément à la loi. Le parlement, autorité budgétaire, sensé contrôler l’action du Gouvernement a été moins actif. Conséquence, le collectif budgétaire sensé modifier la loi des finances 2019, à la suite de l’introduction non planifié du programme de 100 jours, n’a pas été déposé au Parlement par le Gouvernement.
Amédée MK