Le Phénix est cet oiseau légendaire qui se reproduit de lui -même en renaissant de ses cendres. Quand il sent sa fin venir, il construit un nid de branches aromatiques et d'encens. Il y met le feu et se consume dans les flammes. Des cendres de ce bûcher surgit le nouveau Phénix. La controverse sur le financement monétaire du déficit de l'État communément dénommé "la planche à billets" ressemble au Phénix : elle renait, à intervalles répétitifs et par enchantement, des cendres qui l'ont consumée du fait de ses conséquences graves sur la société et l'économie.
Le prétexte a été cette fois-ci les achats massifs des titres privés par les grandes banques Centrales dans le cadre des politiques monétaires non conventionnelles. L'argumentaire en faveur le financement monétaire du déficit public de l'État
- les ressources issues du financement monétaire seront affectées, par des dirigeants à l'état d'esprit réformé qualitativement, au financement des investissements productifs, notamment les infrastructures de base en matière de transport, de logistique, de desserte en eau et en électricité et d'intrants agricoles;
- le delta de production qui résultera de cette affectation judicieuse aux investissements productifs donnera lieu à un rapport coût-bénéfice positif dès lors que sa croissance sera supérieure à la hausse du niveau général des prix suscitée par la création monétaire ex nihilo. Ce delta de production, sur la base de ce qui précède, fait office de seigneuriage monétaire positif. Pour rappel, le seigneuriage monétaire7 se définit comme le revenu réel produit par la création monétaire ou l'augmentation ex nihilo de la masse monétaire. Ainsi, le seigneuriage est égal au produit de la croissance de la masse monétaire multiplié par la masse monétaire réelle.
- L'État se prive des "ressources disponibles" résultant du financement monétaire et procède à des coupes sombres de dépenses en raison des préceptes venus d'ailleurs. Il laisse la population dans la pauvreté et le sous-développement en se mortifiant dans la recherche irréaliste et improductive de la stabilité du niveau général des prix.
Les réponses à l'argumentaire des inconditionnels du financement monétaire du déficit public sont les suivantes: Primo, les ressources issues du financement monétaire du déficit public, quelque soient leur affectation et la qualité des dirigeants, procèdent d'une création monétaire ex nihilo (faite à partir de rien). Elles entrainent un excès de monnaie non désirée. Secundo, Cet excès de monnaie se traduit très rapidement par une inflation forte (un impôt invisible qui va grever tous les revenus indistinctement). Cette inflation annihile tout le bénéfice à moyen et long terme attendu de l'affectation du financement monétaire du déficit aux investissements productifs.
A ce propos, l'histoire de la RDC nous rappelle les ravages de l'hyperinflation des années 1990 à 2000 dont l'économie et la société congolaises portent encore les stigmates: la dépréciation du taux de change et la hausse du niveau général des prix ont été si vertigineuses que la mémoire collective a retenu l'expansion terrible des cimetières au cours de ces années ainsi que l'appauvrissement quasi généralisé. Pour quel gain en termes réels?
Tercio, la situation est encore plus grave lorsque l'État ne rembourse pas le crédit au titre de financement monétaire. Or, les États modernes ont pris l'habitude de ne pas rembourser le crédit au titre de financement monétaire du déficit public au motif qu'ils étaient les actionnaires uniques des Banques Centrales. Compte tenu des conséquences néfastes de l'inflation sur l'économie et la société nées de la création monétaire non remboursée, les États, de commun accord, ont décidé de ne plus recourir au financement monétaire du déficit public et de se prononcer pour l'indépendance des Banques Centrales. HITLER a financé la deuxième guerre mondiale aux moyens notamment de la planche à billets (financement monétaire du déficit public non remboursé). L'hyperinflation qui en a résulté a précipité la fin du régime hitlérien.
Quarto, le seigneuriage monétaire est positif lorsque la croissance de la masse monétaire est supérieure à celle du niveau général des prix du fait surtout que l'État rembourse au fur et à mesure sa dette. Mais lorsque le financement monétaire n'est pas suivi de remboursement, la croissance monétaire excède l'inflation et provoque la situation de seigneuriage monétaire négatif.
Quinto, il est à peine croyable qu'une partie de l'élite continue à soutenir le financement monétaire du déficit dans un pays où la mobilisation des recettes publiques est l'une des plus faibles au monde. La pression fiscale au sens large mesurée par le ratio recettes hors dons sur PIB est de 13% en moyenne en RDC contre 19% pour les pays africains au Sud du Sahara. Au lieu d'insister sur la réforme, voire la refonte du système fiscal en vue de la mobilisation des recettes pour reconquérir le terrain perdu, une polarisation est portée sur le financement monétaire du déficit public abandonné par la quasi-totalité des États.
Sexto, il serait plutôt judicieux pour cette élite d'encourager et relayer les efforts des gouvernants qui ont tourné le dos au financement monétaire du déficit public et s'engager résolument, à l'instar d'autres pays, dans la recherche des voies susceptibles d'engranger suffisamment des ressources saines pour le financement du développement. Il existe une division du travail dans les pays en développement entre la politique monétaire et la politique budgétaire: focalisation sur les objectifs de stabilité macroéconomique pour l'une et polarisation sur les objectifs de croissance et de développement pour l'autre. Une bonne partie de ces inconditionnels justifie le recours par tous les moyens au financement monétaire du déficit par des faits ci-après:
Le déficit des États-Unis est couvert par le financement monétaire. Il faut distinguer le déficit public du déficit extérieur. Les États-Unis financent plutôt son déficit extérieur avec la monnaie nationale, le dollar américain, en sa qualité de monnaie internationale de réserve et d'intervention.
Le déficit public des États Unis est couvert par les fonds prêtables sur les marchés financiers. La Fédérale Réserve procède régulièrement depuis la crise financière de 2008 à des achats massifs des titres privés. Ce n'est pas pour financer le déficit public américain mais plutôt dans le cadre de sa politique monétaire d'open market et des interventions non conventionnelles d'assouplissement quantitatif.
Des réformes de fonds s'avèrent cruciales en RDC, notamment la réforme du système bancaire et financier par le biais du développement du marché des titres publics que privés pour la création des marchés financiers, la refonte de la fiscalité et du régime des assurances, la révision des lois sur le commerce, sur la protection de la propriété privée, les investissements, la concurrence et le contrôle des monopoles, la révision de la loi foncière …
- Analyse tirée du rapport 2021 de la Banque centrale du Congo