Le Premier ministre Honoraire, Augustin Matata Ponyo, continue à faire le ponce Pilate dans le projet du Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo (PAIBL) qu’il avait lancé en 2013 alors qu’il occupait la Primature.
Interrogé dans l’enquête menée par quatre journalistes Congolais, l’homme à la cravate rouge se lave les mains et note que tout ce que l’Etat Congolais a décaissé comme fonds est arrivé à destination c'est à dire à l'entreprise AFRICOM chargée de la gestion technique et financière de Bukanga-Lonzo.
« Tous les fonds sont arrivés à destination et cette société sud-africaine n’a jamais dit qu’elle a retourné quoi que ce soit au Gouvernement. Par conséquent, s’il y a eu déconnexion entre l’exécution financière et l’exécution physique du projet, il faut poser la question à AFRICOM”. Et j’estime que le meilleur détournement des fonds qu’on puisse dire dans le PAIBL, c’est d’avoir arrêté l’exécution de ce projet. Sous d’autres cieux, des dirigeants responsables seraient poursuivis. Pire que ça, la vandalisation des équipements devrait faire l’objet des poursuites judiciaires », a répondu Matata Ponyo aux enquêteurs, battant en brèche toutes les allégations sur sa présumée responsabilité sur la gestion des fonds décaissés pour ce projet.
Justement, sur la question de détournement de fonds, l'actuel ministre des Finances, Sele Yalaghuli, indique que nulle part dans les audits financiers réalisés par des agences internationales sur Bukanga-Lonzo cela est signalé.
« La gestion du PAIBL est consignée dans les divers rapports d’audit (de 2014 à 2016) de deux cabinets d’audit de notoriété internationale, à savoir : Price Waterhouse et Ernst and Young. Nulle part dans ces rapports, il est fait mention de mauvaise gestion», a indiqué Selé Yalaghuli aux enquêteurs de ce rapport.
Cette enquête intitulée « Débâcle su Parc-agroindustriel de Bukanga-Lonzo : causes, responsabilités et perspectives » a été rendue publique ce lundi 25 janvier par quatre journalistes Congolais à savoir Israël Mutala (7sur7.ce), Éric Tshikuma (Zoom Eco), Rachel Kitsita (Actu30.cd) et Bienvenu Bandala.
Pour ces enquêteurs, l’arrêt de subsides du gouvernement pour financer le projet du Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo (PAIBL) est à la base de ce qu’ils qualifient de « débâcle » de Bukanga-Lonzo.
« Ayant pour objectif la quête de la souveraineté alimentaire et de la diversification de l’économie, le projet Bukanga-Lonzo est un très bon projet qui mérite la plus grande attention des plus hautes autorités publiques. Au terme de cette enquête, sa débâcle n’est due ni à une prétendue absence d’étude du sol, ni à un détournement des fonds, ni à la surfacturation de certains biens ou services. La raison principale de la débâcle du PAIBL est l’arrêt brusque de son financement par le gouvernement en février 2017 », soutiennent les quatre journalistes dans la conclusion de leur enquête.
Selon ces enquêteurs, AFRICOM, la firme sud-africaine en charge de la gestion technique et financière de Bukanga-Lonzo, a reconnu avoir reçu près de 153 millions USD du Gouvernement pour ce projet. Le ministère des Finances ainsi que la Banque centrale du Congo (BCC), relevés bancaires à l’appui, soutiennent aussi avoir décaissé près de 153 millions USD au profit de AFRICOM pour le compte du PAIBL. Aucune de deux parties n’a admis avoir perçu, pour l’un, ou octroyé, pour l’autre, la somme de 285 millions USD avancée par l’IGF (Inspection générale des Finances) dans son rapport divulgué fin 2020.
Menée pendant quatre mois, cette enquête met en exergue aussi l’hypothèse selon laquelle les lobbies des importateurs se seraient activés pour saboter le projet Bukanga-Lonzo étant donné que la RDC dépense près de 2 milliards USD chaque année pour importer les produits vivriers.
« Le PAIBL menaçait les intérêts économiques des hommes d’affaires puissants, en l’occurrence des importateurs des produits alimentaires, selon plusieurs analystes. Un marché d’environ 2 milliards USD par an que se partage une poignée de sociétés importatrices. Un marché très lucratif. Des observateurs soupçonnent ces gros importateurs d’avoir exercé un lobbying puissant pour faire infléchir la position du Gouvernement », soutiennent ces enquêteurs dans leur rapport de 42 pages.
Cependant, d’autres analystes interrogés dans le cadre de cette investigation pointent plutôt l’absence d’un leadership fort à même de porter le projet Bukanga-Lonzo après le départ de Matata Ponyo de la primature en décembre 2016.
« Les premiers ministres qui ont succédé Matata n’ont pas eu la carrure nécessaire pour être en mesure de s’attaquer de manière frontale et sérieuse à cette question. J’ai rencontré personnellement des experts de la BAD qui étaient prêts à reprendre le projet et je peux vous dire que les tergiversations du Gouvernement ont été d’une honte incroyable », a déclaré l’économiste Congolais Al Kitenge aux enquêteurs.
Le PAIBL a été créé sous le format partenariat-public-privé (PPP) en 2013 par le Premier ministre d’alors Augustin Matata Ponyo. L’Etat y a investi 153 millions USD sur les 520 millions USD prévus. Ce Projet aligné dans le Plan National d’Investissement Agricole (2013-2020) visant à faire du développement des filières agricoles et agro-industrielles l’un des principaux piliers de la croissance économique et atteindre le premier Objectif du Millénaire pour le Développement (OMD)- aujourd’hui ODD, fixé par l’ONU d’ici Panneau de signalisation de l’entrée du parc agro industriel de Bukanga-Lonzo en 2025, à savoir la réduction pour moitié de la pauvreté. Il faisait partie des projets intégrateurs devant participer à l’enclenchement du processus de diversification de l’économie congolaise au moment où la croissance économique était au rendez-vous pour réduire durablement la pauvreté, particulièrement celle des milieux ruraux.
Amédée Mwarabu