1er rapport intérimaire du président de la commission sur l'harmonisation du cadre réglementaire du marché de l'électricité en Afrique

PAR Deskeco - 18 mai 2018 08:51, Dans Actualités

I.          INTRODUCTION

Faisant suite à l’engagement que j’avais pris devant le Comité des Représentants permanents (COREP), le 7 mars 2018, j'ai le plaisir de soumettre le présent rapport au COREP sur les mesures prises par la Commission en vue de l'harmonisation du cadre réglementaire du marché de l'électricité en Afrique. Le rapport a été préparé par le Département des Infrastructures et de l'Energie de la Commission.

II.          CONTEXTE

Le secteur de l'énergie en Afrique continue de faire face à nombre de défis liés notamment à la faiblesse de la capacité de production et du rendement, à des coûts prohibitifs, au caractère instable et aléatoire de l’approvisionnement et à l’accès très limité à cette ressource. Ces défis ont eu un impact négatif sur le développement socio-économique du continent. La demande d'énergie moderne ne cessant de croître, il est essentiel de s'attaquer aux obstacles politiques, financiers et commerciaux qui entravent le développement du secteur de l'énergie sur le continent. Le développement des infrastructures et des marchés énergétiques régionaux est l'une des stratégies clés pour combler ces lacunes et venir à bout des obstacles identifiés. Dans le secteur énergétique, par exemple, un cadre réglementaire harmonisé, aux niveaux continental et régional, facilitera la création d'un marché africain de l'énergie, renforcera la participation du secteur privé dans le domaine énergétique, et facilitera la mobilisation des énormes ressources financières et techniques nécessaires pour fournir un accès  à l’énergie moderne à tous les Africains, comme stipulé dans l'Agenda 2063 de l'Union africaine (UA) et l'Agenda 2030 des Nations unies sur le développement durable.

Reconnaissant les avantages que le continent tirera de l’existence d'un cadre réglementaire harmonisé pour le secteur de l'énergie, les Ministres de l'Energie de l'UA, conformément à la Déclaration de Maputo du 5 novembre 2010 adoptée lors de leur première Conférence, se sont engagés à "harmoniser les réglementations et à promouvoir la bonne gouvernance, en vue de créer un climat propice à l'augmentation des investissements directs, tant nationaux qu'étrangers, et en particulier des partenariats public-privé". Les Ministres de l'Energie ont recommandé à la Commission de "renforcer et d'harmoniser les cadres juridiques et réglementaires dans le secteur énergétique africain".

Dans le cadre du suivi de cette recommandation, la Commission a élaboré un programme  relatif à l’examen des  cadres de réglementation énergétique, aux fins d’ identifier les lacunes, de  recommander les meilleures pratiques et de concevoir de plans d'action pour harmoniser les cadres réglementaires aux niveaux continental et régional dans le secteur énergétique africain, avec un accent particulier sur celui de l'électricité. Le programme a été élaboré en collaboration avec l'Union européenne (UE), dans le cadre de la Facilité d'assistance technique de l'UE (EU-TAF).

III.         ÉLABORATION D'UNE STRATÉGIE ET D'UN PLAN D'ACTION RELATIFS AUX CADRES RÉGLEMENTAIRES HARMONISÉS POUR LE MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ EN AFRIQUE

La première phase du programme, qui s'est déroulée de 2015 à 2016, a donné lieu à de vastes consultations avec les États membres, les Communautés économiques régionales (CER), les pools énergétiques, les associations régionales de réglementation, la Banque africaine de Développement (BAD), la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique (CEA), et des institutions panafricaines spécialisées, telles que l'Association des Régulateurs africains de l’Energie (AFUR), la Commission africaine de Normalisation électrotechnique (AFREC) et la Commission africaine de l'Energie.

Cette phase a abouti à l'élaboration d'une Stratégie et d'un Plan d'action. L'objectif principal était d'identifier et de détailler les différentes interventions qui soutiendront les instruments politiques et législatifs, ainsi que les mesures à prendre aux niveaux national, régional et continental pour assurer le développement des marchés régionaux de l'électricité. La Stratégie et le Plan d'action ont été adoptés par le Comité technique spécialisé sur les Transports, les Infrastructures transcontinentales et interrégionales, l'Energie et le Tourisme (STC-TTIIET) à Lomé (Togo), le 17 mars 2017, et par le Conseil exécutif  lors de  sa 31ème session ordinaire tenue à Addis Abéba, du 27 juin au 1er juillet 2017.

a)     Stratégie pour l'élaboration d'un cadre réglementaire harmonisé pour le marché de l'électricité

La Stratégie d'harmonisation des cadres réglementaires du marché de l'électricité en Afrique vise à mettre en place un marché de l'électricité pleinement intégré, compétitif et harmonisé, afin d'accélérer le développement de l'Afrique et d'améliorer l'accès à l'électricité pour les Africains. Il a été conçu pour contribuer aux six (6) objectifs stratégiques suivants:

(i)        le développement de marchés de l'électricité efficients aux niveaux régional et continental, à travers des mesures et des changements de nature législative et réglementaire;

(ii)       l'amélioration de l'efficacité opérationnelle et de la performance de l'industrie de l'approvisionnement en électricité ;

(iii)      la création d'un environnement stable, transparent et prévisible pour attirer les investissements;

(iv)      l'amélioration des cadres des marchés de l'électricité pour accroître l'accès à l’électricité;

(v)       l'amélioration des cadres d'énergie renouvelable; et

(vi)      l'établissement de normes, de  règles  et de cadres pour l'efficacité énergétique.

(b) Plan d'action pour un cadre réglementaire harmonisé pour le marché de l'électricité

L'objectif du Plan d'action est d'identifier les actions, ainsi que les acteurs clés requis aux niveaux national, régional et continental, pour parvenir à une harmonisation de la réglementation continentale. Le Plan d'action a identifié les cinq piliers suivants autour desquels le processus d'harmonisation de la réglementation sera articulé  aux niveaux national, régional et continental:

(i)        créer un cadre réglementaire économique solide;

(ii)       établir un cadre réglementaire technique solide;

(iii)      créer un environnement favorable au marché de l'électricité;

(iv)      améliorer le cadre des énergies renouvelables; et

(v)       établir les normes, les règles  et les cadres pour l'efficacité énergétique.

Le Plan d'action reconnaît que les différents marchés sont à des stades différents en termes d’avancées, et que le développement et la libéralisation de ces marchés varieront en conséquence. Le Plan d'action est structuré comme un ensemble d’activités à exécuter de manière progressive. Il est organisé en phases successives, couvrant le court (3-5 ans: 2017-2021), moyen (6-8 ans: 2022-2024) et long termes (9-14 ans: 2025-2030). Il identifie également les ressources requises et recommande les programmes à mettre en œuvre au titre de  projets phares.

La mise en œuvre des activités à court terme, qui visent à préparer le terrain pour une harmonisation complète à moyen et à long termes, devrait coûter 12,3 millions d'euros. Ce montant couvre la préparation d'instruments clés pour la réglementation économique et technique, ainsi que pour la création d'un environnement favorable et d'un cadre pour les énergies renouvelables.

IV.        ÉTAT DE MISE EN ŒUVRE DE LA STRATÉGIE ET DU PLAN D'ACTION

À la suite de l'élaboration de la Stratégie et du Plan d'action, la Commission a axé la deuxième phase du programme sur leur mise en œuvre. Les ressources financières et techniques pour cette phase ont été obtenues auprès de l'EU-TAF. Les activités convenues dans le cadre de cette phase sont les suivantes:

(i)        réaliser une étude sur la politique des tarifs du réseau de transport harmonisé qui servira de base à l'élaboration de tarifs harmonisés pour les réseaux de transport régionaux, y compris les redevances de transit et les méthodes d'allocation des pertes, à appliquer par les pools énergétiques africains;

(ii)       mener une étude de cadrage pour établir une Unité de coordination et de soutien au sein de la Commission pour la mise en œuvre et le suivi de la Stratégie et du Plan d'action. L'Unité s'attachera à mobiliser l’engagement politique nécessaire et à assurer une coordination et un engagement politique forts entre toutes les parties prenantes, ainsi que le renforcement des capacités humaines et institutionnelles; et

(iii)      développer un modèle institutionnel et politique pour assurer une régulation technique et économique des micro/mini-réseaux.

La mise en œuvre de la deuxième phase a débuté en mai 2017, et s'est achevée en février 2018. Au cours de cette phase, la Commission, en consultation avec les parties prenantes, a examiné diverses méthodes tarifaires appliquées dans différentes parties du monde et les a classées selon leur pertinence dans le contexte africain sur la base des critères suivants:

(i)        l'efficacité économique;

(ii)       le recouvrement des coûts;

(iii)      la transparence;

(iv)      un signal de prix correct;

(v)       la simplicité d'application; et

(vi)      l’impact sur le réseau de transport.

En outre, divers modèles de coordination pour les marchés régionaux de l'électricité et les principaux aspects des micro/mini-réseaux ont été analysés, en explorant des modèles institutionnels et politiques. L'analyse comprenait des consultations avec les institutions compétentes ayant participé à l'élaboration de la Stratégie et du Plan d'action. Leur contribution a été sollicitée sur les questions suivantes:

(i)            des recommandations pour les modèles de tarifs de transport;

(ii)          des recommandations pour le modèle institutionnel et politique pour les micros/mini-réseaux; et

(iii)         des recommandations pour le modèle de l'Unité de coordination continentale.

Les conclusions suivantes ont été tirées:

(i)            la méthode du tarif de transport «MW-km avec flux de charge» a été retenue comme la plus appropriée. Selon cette méthode, le tarif est basé sur la distance de transmission supportée par les études de flux de charge. Il est apparu comme la meilleure méthodologie basée sur les critères indiqués ci-dessus ;

(ii)          en ce qui concerne les modèles de mini-réseaux, il a été conclu qu'il n'existe pas de modèle  type, universellement valable. Il a donc été convenu d'élaborer des lignes directrices qui aideront les États membres à élaborer des politiques et à adopter des modèles adaptés à leurs situations particulières. Les facteurs clés suivants ont été pris en compte : la distance par rapport au réseau, les plans d'extension du réseau, les ressources disponibles pour la production, les dispositions politiques, juridiques et institutionnelles concernant la participation du secteur privé et le régime tarifaire;

(iii)         en ce qui concerne l'Unité de coordination, il a été convenu qu’elle devrait être intégrée à la Division de l'Energie du Département des Infrastructures et de l'Energie de la Commission, et que son mandat ne devrait pas faire double emploi avec d'autres institutions,  y compris l'Agence du NEPAD.

Compte tenu de la méthode convenue pour la tarification des transmissions, il me plaît d’indiquer que  la politique des tarifs de transport et le plan de surveillance ont maintenant été élaborés et validés par les institutions concernées. En outre, un plan d'activités quinquennal et un plan de travail d'un an ont été élaborés au titre de la coordination continentale. Le recrutement par la Commission d’un expert en énergie pour piloter la coordination des activités d'harmonisation est en cours. Ces documents ont été présentés au sous-Comité sur l'Energie du STTIIET, le 23 mars 2018, à Nouakchott, en Mauritanie. Les Etats  membres, les CER, les pools énergétiques et d’autres institutions compétentes ont été invités à soutenir l'opérationnalisation de la méthodologie des tarifs harmonisés.

V.       PROCHAINES ÉTAPES

La troisième phase de la mise en œuvre des programmes de réglementation de l'énergie devrait débuter en mai 2018. Les activités seront axées sur le pilotage de l'application de la méthodologie des tarifs de transport, ainsi que sur la politique  et le plan de surveillance élaborés lors de la phase 2. Une réunion de tous les pools d'énergie et des institutions compétentes est prévue pour la deuxième semaine de mai 2018. Il est prévu de sélectionner deux pools d'énergie et une ligne de transmission comme projet pilote.

La phase pilote sera menée parallèlement à une formation intensive des institutions nationales et régionales concernées par le commerce régional de l'électricité, à savoir les pools énergétiques, les services d'électricité, les gestionnaires de réseau de transport, les autorités nationales de régulation et les Ministères de l'Energie des États membres.

Les résultats attendus de la phase pilote sont les suivants:

(i)            les Gestionnaires de Réseaux de Transport (GRT), les Autorités de Régulation des Marchés (ARM) et les autres parties prenantes auront une bonne compréhension de la méthodologie du tarif de transport;

(ii)          les régulateurs régionaux, les GRT et les ARM comprendront mieux le fonctionnement du modèle de calcul des tarifs;

(iii)         les GRT, les ARM, les régulateurs nationaux et régionaux, les CER et les autres parties prenantes de la région pilote sélectionnée ou du projet sélectionné seront soutenus dans la négociation des paramètres spécifiques du modèle de méthodologie du tarif de transport, afin de le rendre opérationnel;

(iv)         les GRT, les ARM et les autres parties prenantes de la région sélectionnée ou du projet pilote sélectionné bénéficieront d’orientations pour leur permettre de calculer le flux de charge pertinent et de mener d'autres études de système; et

(v)          tout défi  lié à la mise en œuvre sera identifié et relevé en temps opportun, afin de préparer le déploiement à grande échelle de la méthodologie tarifaire.

Les enseignements tirés au cours de la phase pilote après six à douze mois seront utilisés pour affiner la méthodologie et les directives, qui seront ensuite présentées au STC-TTIIET, pour adoption. La troisième phase comprendra également une composante sur l'établissement de normes, de règles  et de cadres pour l'efficacité énergétique. Elle inclura l’élaboration de la politique d’étiquetage énergétique et l'éco-conception (Eco-Design) au niveau continental. Ces démarches seront  initialement axées  sur l'efficacité énergétique des bâtiments (en particulier l'éclairage), l'éclairage public, les chauffe-eau solaires, les pertes techniques, la correction du facteur de puissance, etc. Dans le cadre de ce module,  un pays par CER  bénéficiera d’un appui pour développer et appliquer des directives spécifiques en matière d'étiquetage énergétique de produits spécifiques.

VI.        DÉFIS

La mise en œuvre du programme relatif au cadre réglementaire harmonisé des marchés de l'électricité a jusqu'à présent été possible grâce au soutien financier et technique de l'UE. Étant donné l'importance du programme pour l'intégration continentale et la compétitivité de l'Afrique, il est nécessaire de diversifier les sources de financement et, en particulier, d'accroître l'autofinancement par les États membres.

En outre, il est important d’achever la mise en place des infrastructures physiques reliant différents marchés et pools énergétiques, afin de réaliser le marché de l'électricité et d'harmoniser les cadres réglementaires pour le soutenir. Malheureusement, des retards considérables ont été observés dans plusieurs interconnexions régionales. Le soutien des États membres et des CER, en collaboration avec les investisseurs impliqués dans ces projets, est nécessaire et urgent, pour réduire ces retards.

Le marché continental de l'électricité dépendra du bon fonctionnement des pools énergétiques et des organismes de réglementation régionaux. Cependant, ces organismes souffrent souvent de retards de paiement des contributions par les Gouvernements et les fournisseurs d’électricité, ce qui nuit à leur capacité à mener à bien leurs principales  activités.

VII.       OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS

La Stratégie et le Plan d'action précisent clairement les actions requises aux niveaux national, régional et continental pour réaliser le marché continental de l'électricité envisagé. Un engagement et une participation volontaristes des États membres sont nécessaires pour atteindre les objectifs énoncés. Je voudrais donc lancer un appel aux membres du COREP pour qu'ils abordent ces questions avec leurs capitales respectives, en gardant à l’esprit la nécessité d’agir vite.

Les actions attendues des États membres à ce stade de la mise en œuvre du programme d'harmonisation des cadres réglementaires en matière d'énergie sont les suivantes:

(i)            mettre en œuvre, au niveau national, les actions   liées  en grande partie aux  réformes dans le secteur de l'électricité, afin que les cadres politiques, juridiques, réglementaires et institutionnels nationaux soutiennent le commerce transfrontalier de l'électricité avec des tarifs reflétant la compétitivité des coûts;

(ii)          veiller à ce que les CER développent des politiques et allouent des ressources adéquates pour soutenir les institutions régionales existantes pour faciliter le commerce régional de l'électricité;

(iii)         habiliter les autorités régionales à exercer des fonctions de réglementation relatives au commerce transfrontalier de l'électricité;

(iv)         s’abonner  dans les délais aux pools énergétiques et aux organismes de réglementation régionaux;

(v)          renforcer les institutions compétentes, accélérer la mise en œuvre des composantes nationales du Plan d'action et participer activement à la phase pilote en vue de la création du marché continental de l'électricité; et

(vi)         apporter les contributions financières requises pour  la mise en œuvre du Plan d'action.

L'opérationnalisation de l'Unité de coordination continentale est également cruciale. Le recrutement du chef d'équipe de l'Unité de coordination est en cours, mais des ressources humaines additionnelles sont nécessaires pour rendre l'Unité pleinement opérationnelle. Il est important que la Commission continue à recevoir le soutien de l'UE-TAF jusqu’au moment où l’Unité sera opérationnelle et entièrement financée.

Je suis convaincu que la Commission peut compter sur le soutien du COREP dans ses efforts pour harmoniser les cadres réglementaires en matière d'énergie et mettre en place un marché de l'électricité unifié en Afrique. Un tel marché stimulera grandement l’effort d'intégration régionale dans cet important domaine.

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