ENA-RDC : le requiem au rendez-vous?

PAR Deskeco - 28 déc 2018 11:26, Dans Actualités

Bis repetita. Sous un soleil clément  de ce jeudi 27 décembre 2018, les éléments de la police dispersent en plein boulevard du 30 juin les 100 élèves de l’ENA-RDC venus réclamer les 3 mois de leur bourse devant le bâtiment du ministère des Finances.

Le bilan provisoire de ces heurts fait état d’un blessé parmi les énarques de la cinquième promotion baptisée Fleuve Congo. 13 mois auparavant, la même police brutalisait les 104 énarques de la promotion antérieure, baptisée Nelson Mandela, venus exprimer dans le calme leur inquiétude.  13 vestes déchiquetées, 5 élèves blessés au bras et au genou, 4 dos endoloris par des coups de crosse, 9 téléphones portables confisqués  et 2 énarques emmenés par la police… Tel fut le bilan de l’action musclée des « agents de l’ordre » face aux énarques venus manifester en silence. Leur faute, a-t-on appris plus tard, c’est de s’être rendus trop visibles à quelques mètres de la porte d’entrée de « Son Excellence ».

Finalement, en dépit de l’infortune, les Mandela ont dû réunir, en fin de journée, 35 dollars américains pour libérer leurs deux collègues écroués dans le container du sous-commissariat de la police, situé au croisement Batetela et Avenue de la Gombe. « Nous avons reçu notre baptême d’entrée dans la Fonction Publique » ironisa l’un d’eux faisant contre mauvaise fortune bon cœur.

 

Maison de verre pour un avenir flou

 

Hormis les bâtiments de l’ENA, le bâtiment vitré du ministère des Finances est le lieu le plus connu des énarques. Chacune des 5 promotions en a  une expérience particulière. La baie vitrée qui trône majestueusement sur le boulevard du 30 juin cache paradoxalement des lendemains aux issues incertaines pour les énarques congolais. « Il n’est déjà pas facile d’y avoir accès et être reçu est en lui-même un enjeu de taille », nous dit-on. Des sources concordantes, la clé de la manne mensuelle a un nom, celui du tout-puissant conseiller financier, Monsieur John Kitungwa. « Son seul aval requis pour tout paiement de bourse est le précieux sésame qu’on n’obtient pas sur une simple demande, fût-elle régulière », précise notre source. Mais-au-delà du rôle majeur de Monsieur le Conseiller, le cabinet du ministre du budget joue  bien sa partition dans la complication. « Des bons informatiques qui se perdent à répétition aux signatures qui  prennent des trimestres, l’énarque congolais aura tout entendu pour tromper sa faim grâce aux promesses qui n’ont rien à envier aux béatitudes », poursuit une autre source.

 

De son côté, la Direction de l’ENA n’aurait qu’un seul souci : en finir avec une promotion  et recruter la suivante. Mis à part quelques rappels fréquents du barème de sanctions, c’est du chacun pour soi.  « Un après-midi, après 4 mois sans bourse, le comptable entra dans l’auditorium pour nous exprimer sa joie du fait qu’aucun d’entre nous n’était mort, surtout que nous ne sommes pas venus pour l’argent », se rappelle un énarque.

 

Sans  bourse de vie, les énarques congolais voués à la précarité

 

A ce jour, les 103 énarques sortis de la quatrième promotion sont auréolés du titre d’administrateurs civils, portant à 342 le nombre des membres de ce Corps sensé correspondre au prestige de l’Alma Mater.  La réalité, elle, semble plus contrastée. Après une année sur fond d’arriérés des bourses de Mai et de Septembre, les voici voués aux bons soins de la mère nature. Depuis leur admission sous statut et leur affectation par un arrêté du Ministre de la Fonction Publique, signé le 7 novembre 2018, pas de prise en charge, pas de prime, pas de bon pour soins médicaux. La majorité continue d’attendre les affectations internes au sein des administrations d’accueil, où la mécanisation n’est pas acquise. « Certains parmi nous sont pères et mères de famille, d’autres occupaient certains postes dans le secteur privé. Maintenant, nous ne savons plus faire face à nos charges », se confie l’un d’eux.

 

Faute de campus, les énarques recrutés dans les provinces logent à l’internat de l’INPESS (l’Institut national pilote d’enseignement des sciences de santé), moyennant un loyer mensuel équivalent à 100 dollars américains. Fin novembre, la direction de l’INPESS demande à tous les Mandela hébergés dans son internat de quitter les lieux pour défaut de paiement avant le 22 décembre. La suite n’est pas difficile à deviner pour des personnes qui ont les poches vides.

 

« Depuis notre admission, nous avons appris à sauver les apparences par le port d’un costume soigné pour préserver l’image de marque. Il nous était formellement interdit de piper un mot de notre situation aux professeurs étrangers ou aux structures partenaires de l’Ecole. Un simple soupçon d’information faisait du présumé auteur un anti-patriote menacé par la Direction. Mais là, nous sommes à bout », nous confie un Mandela dont le trémolo de la voix cachait mal la détresse.

 

L’ENA-RDC est un Etablissement public créé par le Décret n° 13/013 du 16 avril 2013    du Premier Ministre Matata Ponyo. Elle a accueilli sa première promotion en 2014. Instrument-phare du processus de la réforme et du rajeunissement de l’administration publique congolaise, cette prestigieuse École forme le futur fonctionnaire, admis sur concours, à la gestion efficiente des politiques publiques en adéquation avec les enjeux contemporains et la géostratégie.

 

Le corps professoral, composé d’experts nationaux et internationaux, jouit jusque-là d’un traitement soutenu principalement par les coopérations belge et française. Certains postes de stage en cours de formation sont d’ailleurs offerts par la France et la Belgique. L’histoire rappelle qu’une première expérience en 1961 dota la RDC d’une Ecole Nationale de Droit et d’Administration (ENDA) qui fut fermée 10 ans après, sur décision politique, malgré la compétence et l’expertise de ses produits.

 

Dans un contexte où les hommes qui demeurent sont habitués à voir les institutions passer, l’actuelle ENA saurait-elle échapper à ce sort?

Collectif des élèves de lENA

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